Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

samedi 15 octobre 2011

Le prix Nobel de médecine 2011 : un succès pour la recherche française


Le prix Nobel de médecine 2011 : un succès pour la recherche française

La France a eu cette année sa part de la moisson des Prix Nobel, avec le prix Nobel de Médecine et de physiologie décerné à Jules Hoffmann et partagé avec l'Américain Bruce Beutler et le Canadien Ralph Steinman.
Jules Hoffmann, né en 1941 au Luxembourg, a effectué sa thèse à Strasbourg  puis est entré au CNRS en 1964, où il a créé une unité de recherche consacrée à l’étude de la réponse immunitaire chez les insectes. Entre 1994 et 2006, il  a dirigé l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS ; il est également Professeur à l’Université de Strasbourg
Jules Hoffmann a été récompensé pour sa découverte des mécanismes de « l’immunité innée ». Ces mécanismes d’immunité, parmi les plus anciens dans l’évolution, et première ligne de défense avant  l’intervention de mécanismes plus spécifiques n’en sont pas moins efficaces. C’est ainsi, explique Hoffmann, que «  les insectes se défendent remarquablement bien contre les infections, notamment par la production de puissants peptides [petites protéines] à large spectre d'activité contre les bactéries et les champignons ». L'immunité innée est une « défense immédiate et générale », qui ne vise pas spécifiquement un germe infectieux  en particulier et ne mémorise pas  son identité.
En étudiant ce mécanisme chez les insectes, le Pr. Jules Hoffmann a découvert en 1996 un récepteur appelé TOLL responsable de l’immunité innée. Suivront ensuite la découverte chez les mammifères, dont l’homme, de récepteurs apparentés (TLR - Toll-Like Receptors - au nombre de 13 actuellement). Ces découvertes peuvent mener à l’invention d’antibiotiques ou d’antifongiques radicalement nouveaux utilisant ces mécanismes d’actions jusqu’ici ignorés – et l’on sait combien l’émergence de nouvelles souches résistantes et l’abandon par les grandes firmes pharmaceutiques de la recherche sur les antibiotiques rend de telles découvertes nécessaires.
Il a fallu plus de quarante ans de recherches sur l’immunité chez les insectes - un sujet qui, au départ, n’intéressait pas grand monde à part Hoffmann -, pour parvenir à une découverte qui peut mener, dans vingt ou trente ans, à de nouveaux médicaments. Cette découverte doit beaucoup au génie et l’obstination de Jules Hoffmann, elle doit aussi beaucoup au système CNRS qui a su miser sur lui dans les années 60, lui a permis de développer librement des recherches fondamentales et l’a soutenu et Jules Hoffmann a d’ailleurs rendu hommage à l’organisme de recherche.
Aviesan (Alliance pour la Vie et la Santé, présidée par André Syrota) a donc eu raison de souligner que « ce nouveau Nobel attribué 3 ans après celui décerné à Françoise Barré Sinoussi et Luc Montagnier démontre s'il le fallait, l'excellence de la recherche académique française dans le domaine des sciences du vivant ».
Très bien, mais une question  : est-on sûr que le CNRS d’aujourd’hui, contraint de naviguer entre la recherche finalisée pilotée par l’ANR et les ego des diverses Universités, soit capable de donner leur chance aux jeunes Hoffmann d’aujourd’hui ?

Un échec pour l’innovation : l’aventure Entomed

Un autre aspect de la carrière de Jules Hoffmann a été davantage passé sous silence : Le Pr Jules Hoffmann est en effet à l’origine de la création de la société Entomed en fin 1998. Après un capital initial de 10 millions d’euros, Entomed a levé 20 millions d'euros début 2001 et compté jusqu’à 14 salariés en 2004 avant de fermer en 2005, faute de pouvoir lever de nouveaux fonds.
Son objectif consistait à développer à partir de substances naturelles produites par les insectes, de nouvelles molécules contre les infections fongiques graves et les infections bactériennes multirésistantes. Entomed s’est heurté à la difficulté de produire chimiquement ses composés – et l’année internationale de la chimie est l’occasion de rappeler que celle-ci a encore des progrès à faire- et n’a eu aucune chance d’explorer les potentialités des récepteurs TOLL de façon plus classique.
Rappelons que la mise au point d’un médicament avant sa mise sur le marché coûte environ un milliard d’euros !
Si le Prix Nobel du Pr Hoffmann est emblématique de la qualité de la recherche française, l’échec d’Entomed n’en n’est pas moins emblématique de l’échec de l’innovation française, qui est surtout un échec du financement de l’innovation. Très clairement, Entomed était sous capitalisée. Le capital risque français est inapte à soutenir de tels projets – d’ailleurs Entomed  a échoué durant la phase d’amorçage, et les expériences étrangères, et, en particulier américaines , ont montré que le capital- risque est souvent inadapté dans cette phase trop risquée. Entomed n’a bénéficié d’aucune aide d’un champion français ou européen. Une politique du type de celle L’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII), préconisée par le rapport Beffa aurait pu apporter une solution ;- mais rappelons que cette agence, après une brève existence- a été dissoute pour cause de vindicte sarkozyste et de bureaucratie européenne…
Le prix Nobel permettra-t-il de relance dans de meilleures conditions l’expérience Entomed ? Espérons-le, la découverte de traitement contre les nouvelles bactéries résistantes est une urgence sanitaire mondiale.

samedi 1 octobre 2011

Pour une véritable politique d’innovation, refonder l’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII)

Pour une véritable politique d’innovation, refonder l’Agence pour l’Innovation Industrielle (AII)


La banque publique d’investissement ne suffira pas

Si la constitution d’une banque publique d’investissement constitue un instrument indispensable pour que la France redevienne un pays innovant, pour qu’une politique de réindustrialisation soit menée, ce n’est pas suffisant. La recherche, l’innovation, le développement confiés (uniquement)  à des banquiers, ça ne le fait pas !  La banque publique d’investissement ne pourra rien sans une véritable politique industrielle permettant des innovations de rupture via des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle.

Le rapport Beffa

 Le rapport Beffa (2004 déjà, que de temps perdu) constatait que la France a connu des succès remarquables, par le biais de grands programmes de recherches et d’innovation directement impulsée par l’Etat ; c’est ainsi que se sont constitués de grands points forts de l’industrie française, tels l’aéronautique, le spatial, le nucléaire civil, les composants électroniques, les transports ferroviaires…
Cette intervention directe de l’Etat fondée sur le triptyque recherche publique/entreprises publiques/commandes publiques n’est plus possible aujourd’hui. Pour y remédier, M. Beffa proposait la création d’une agence  dotée de moyens importants (2 milliards d’euros).  L’AII (Agence pour l’Innovation Industrielle) devait financer et suivre dans la durée des « programmes mobilisateurs pour l’innovation industrielle »,  conduisant à des innovations de rupture préparant les produits, les procédés, les industries de demain.

Les programmes mobilisateurs d’innovation industrielle (PMII)

L’AII a pour but de financer des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle caractérisés par
- une rupture technologique qui a toutes chances de modifier les conditions de vie de demain et génératrice d’externalités
 - un risque technologique important, longue durée de développement (cinq-quinze ans)
 - une structure collaborative, comprenant une au plusieurs PME, un grand groupe, des équipes publiques, le porteur de projet étant de préférence une PME. En effet, il est généralement considéré que l’effort principal d’innovation est  maintenant porté par de petites entreprises au sein de clusters, et c’est ce type d’organisation qui manque cruellement en France.
Dans le domaine des l’énergie solaire, de la nanoélectronique, des piles à combustible, des biotechnologies, « il existe un potentiel important d’innovations de grande ampleur, qui ont toutes les chances de modifier les conditions de vie de demain et de créer d’importantes externalités technologiques » constatait le rapport Beffa. Ces perspectives nécessitent des investissements élevés et de longues périodes de développement, elles sont marquées aussi par des paris technologiques présentant un certain risque. Les entreprises soumises à des exigences financières à court-terme, aux fluctuations des taux de change et boursières n’investissent plus à des horizons aussi éloignés : il y a là une véritable défaillance de marché - un critère important pour la Commission de Bruxelles.


Bilan et disparition de l’AII

Entre 2005 et 2007, en  deux ans, l’AII a initié 18 programmes pour 1.5 milliards d’euros d’aide publique complétés par un engagement de deux milliards des partenaires privés. Parmi ces programmes, ADNA (Biomérieux, Généthon, Transgène, 103 ME), pour le développement de la médecine personnalisée ; Biohub (chimie végétale comme substitut à la pétrochimie, piloté par Roquette, 98 ME), Iseult (RMN à très haut champ pour l’imagerie, Guerbet, CEA 54 ME), Nanosmart (SOITEC, développement de nouveaux composants électroniques associant plusieurs métaux, 80 ME), Neoval (Siemens France, transport modulaire automatique sur pneu,62 ME)…
Puis l’AII a été supprimée, pour deux raisons principales ; par vindicte politique, elle n’a pas eu l’heur de plaire au nouveau pouvoir sarkozyste ; et aussi, par des difficultés bureaucratiques créées par une Commission européenne uniquement intéressées par des distorsions de concurrence prétendument engendrés par des investissement aussi important et pas du tout concernée par les problématiques d’innovation et de réindustrialisation.
 L’AII a été dissoute et partiellement intégrée dans OSEO, avec une diminution importante des moyens et des ambitions. Cela correspond à une trahison complète de sa mission première, la culture OSEO/Anvar correspondant à un saupoudrage assez peu efficace de subventions pour des innovations d’ampleur limitée,  ce à quoi l’AII était justement censée remédier. Oseo-Anvar n’a pas su ou pu mener une politique d’innovation d’envergure, ni même poursuivre vraiment les programmes initiés par l’AII. Où en sont-ils, personne ne le sait ; or la politique de l’innovation a avant tout besoin de continuité
Pour comble, il y a deux ans, lors de la nomination de son nouveau président, l’Etat, dans la foulée du grand emprunt, demandait à OSEO de « s’occuper de projets plus risqués avec davantage de ruptures technologiques que ceux actuellement soutenus par OSEO » et de redresser le faible taux de participations des PME aux grands programmes d’innovation, notamment ceux financés par des subventions européennes. Autrement dit, après avoir supprimé l’Agence pour l’Innovation Industrielle, le gouvernement avouait qu’OSEO n’avait pas pris le relais, et lui demandait de faire ce que la banque OSEO n’a jamais su ou pu faire, et qui n’est d’ailleurs pas le rôle d’une banque : financer des innovations de rupture.

La banque publique d’investissement ne fera pas mieux. Il faut recréer une Agence pour l’Innovation Industrielle, fonctionnant selon les principes et le mode indiqués par le rapport Beffa : détecter, promouvoir, organiser des programmes mobilisateurs d’innovation industrielle (PMII)