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dimanche 13 janvier 2013

Le grand retour des politiques industrielles


(Compte-rendu d’une conférence de M. Elie Cohen, pour l’AJEF 9 janvier 2013)

L’effondrement industriel de la France est une réalité

 Dans les dix dernières années, la France a connu un effondrement industriel profond et violent. L’industrie, au sens large, est passée de 18 % à 12.5 % de la valeur ajoutée, l’industrie française est 15ème sur 17 de l’Eurozone (le Royaume-Uni, prétendument désindustrialisé, et même l’Italie sont devant), 2 millions d’emplois industriels, soit 40% ont été perdus. La part de marché de l’industrie française est passée de 18% à 9%.
Si l’on parle en production manufacturière
Elie Cohen a réfuté toutes les contestations ou relativisations de ce constat. Qu’il s’agisse de la production manufacturière ou de  l’industrie large comprenant les services associés, les chiffres indiquent le même effondrement, et sont comparables de pays à pays. L’industrie n’est pas remplacée par les services et la désindustrialisation n’est nullement un signe de développement d’une économie.
L’industrie possède en effet trois caractéristiques qui la rendent irremplaçable comme moteur de l’économie : elle est l’activité la plus génératrice de gains de productivité et de croissance ; 80% du commerce international concerne des produits industriels ; 85 % des recherches ont pour objet l’industrie.
Un pays qui se désindustrialise s’endette en permanence en raison d »un déficit structurel de ses échanges, il n’investit plus en recherche, n’innove plus, cesse sa croissance. Ainsi s’amorce un cercle vicieux
A contrario, les pays comme l’Allemagne et les pays nordiques qui ont gardé une forte industrie, innovent, exportent et se renforcent

Compétitivité coût et hors coût

La campagne électorale en ce domaine s’est jouée sur un clivage droite (l’origine du problème, c’est la compétitivité coût et particulièrement les trente-cinq heures !) –gauche (c’est le manque de recherche, d’innovation, les erreurs de stratégie des entreprises) qui est la cause de l’effondrement industriel
Elie Cohen, avec une certaine ironie, reconnaît au rapport Gallois le mérite d’avoir créé un consensus sur ce que répétaient depuis des années la plupart des économistes : le décrochage industriel français est une réalité, nous avons en dix ans perdus dix points de compétitivité face à l’Allemagne, ce qui nous place avec une compétitivité en gros équivalente (il y dix ans, nous avions dix points d’avance).
La conséquence en est très nette et immédiate dans l’automobile : il y a dix ans, PSA était plus puissant, plus profitable, avait une meilleure image que Volkswagen. ; le solde automobile français était positif de 9 milliards, il est maintenant négatif de 2 milliards.
Alors s’enchaîne un cycle .vicieux : le manque de compétitivité coût fait décroître les marges des entreprises, qui ne peuvent plus innover et donc perdent aussi en compétitivité hors-coût.  Cet enchaînement a conduit à une crise préterminale de l’automobile- Renault a baissé de 50% sa production en France_, laquelle, avec m’ensemble des sous-traitants représente encore un cinquième de l’activité manufacturière.
C’est donc à la fois les compétitivités coûts et hors coûts qui sont en cause ; et il faut et un choc de compétitivité, et un plan.
L’exemple du solaire américain montre la difficulté de réagir à une situation trop dégradée : L’administration Obama a découvert qu’elle investissait lourdement dans une recherche dont son pays ne pouvait profiter car il n’avait plus la base industrielle  suffisante.
D’autre part, l’entrée de la Chine dans le système commercial international crée une situation nouvelle qui remet en cause la théorie des avantages compétitifs et de la spécialisation de Ricardo. En raison de sa population, de sa population formée, de sa technologie, de son capital financier, la Chine possède un avantage compétitif absolu.
Face à la situation de désindustrialisation, la France étant gravement touchée, mais pas la seule, il y a un retour de la politique industrielle, on réadmet que la main visible de l’Etat peut être utile.

La France et la politique industrielle – l’Ancien Temps

Normalement, ce retour de la politique industrielle devrait être une bonne nouvelle pour la France. Elle n’est pas dépourvue d’atouts : de bonnes infrastructures, un bon système de formation d’ingénieurs, une culture scientifique et technique ancienne, un état acquis à la croissance endogène. Et, de plus, la France, dans les trente glorieuses a inventé un modèle particulièrement réussi de politique industrielle, basé sur les grands projets (aéronautique, nucléaire…), ce qu’ Elie Cohen a appelé « le colbertisme high tech », avec un rôle important de la commande publique, de la recherche et des entreprises publiques plus ou moins monopolistiques, la constitution de champions nationaux, une planification stratégique.
Ce modèle a fonctionné pendant les « vingt glorieuses » (1950-1970), mais insiste Elie Cohen, il ne fonctionne plus, pour plusieurs raisons.  Il correspondait assez largement à une situation de rattrapage (dans les Telecom, le nucléaire civil, avec l’achat de licences américaines…), et  ce qui a servi à rattraper n’est pas forcément adapté à l’innovation véritable. Il s’appuyait sur une volonté d’indépendance nationale technologique, la possibilité de mesures protectionnistes, d’interventions étatiques, de dévaluations pour retrouver une compétitivité coût quand nécessaire, toutes choses qui nous sont désormais interdites dans le cadre de l’Europe. Il correspondait à une situation où les marges des entreprises étaient fortes (la production primait sur la libre concurrence) et les prélèvements sociaux faibles (ils ont augmenté d’un point par an sous Giscard et le chômage, en cas de formation, était indemnisé à plus de 100%, ce qui a fait de Giscard le Président le plus socialiste que la France ait connu, selon Cohen) ; l’investissement en recherche et développement pouvait représenter 4% du PIB, alors que nous avons renoncé à tenir les objectifs de Lisbonne – 3%- (seuls l’ Allemagne et les pays nordiques s’en approchent, nous sommes à un peu plus de 2%)
Un certain nombre d’erreurs ont été commises qui sont à l’origine du déclin de l’industrie française: face à la crise pétrolière, puis aux autres crises, l’Etat stratège a laissé la place à un Etat brancardier (d’après le titre d’un des ouvrages les plus connus de M. Cohen). Le choix de l’Europe, les dogmes du libre échange et de la politique de la concurrence ont interdit les recettes du passé, et les conséquences n’en ont pas été tirées, notamment en termes de politique macroéconomique ; la mondialisation et le poids particulier de la Chine constituent des défis nouveaux.

La France et la politique industrielle – les Nouveaux temps

La réalité de la désindustrialisation et de ses dangers a été perçue par le pouvoir politique vers 2005, sous le second septennat Chirac. Sur les conseils d’ailleurs parfois divergents d’un certain nombres d’économistes, dont Elie Cohen,  quatre principales stratégies ont été mises en place :
- Le retour des grands projets, permettant des innovations de rupture par l’organisation de grands projets collaboratifs, sous une forme renouvelée : ce fut la création de l’AII (Agence pour l’Innovation Industrielle), inspirée par le rapport Beffa
- La Datar a proposé de s’inspirer de la politique des clusters (USA) ou districts (Italie du Nord) : silicon valley, plastic valley…, dans lesquels l’activité industrielle se développe dans un territoire restreint grâce à la collaboration de grandes entreprises, de PME et de centres de recherches travaillant dans un même secteur : ce fut la stratégie des pôles de compétitivité
- Un financement plus adapté des PME et de leurs cycles de vie, permettant l’expansion de PME plus fortes, innovantes et exportatrices- dont nous sommes dépourvus contrairement à l’Allemagne : ce fut la transformation de l’Anvar en Oseo
- La création d’un environnement plus favorables à l’investissement dans la recherche et le développement : ce fut le crédit d’impôt recherche, qui a effectivement contribué à sauver un nombre importants d’emplois dans la recherche.
Selon Elie Cohen, chacun de ces remèdes avait ses mérites, mais, s’ils n’ont pas, ou pas assez bien fonctionné, s’ils n’ont pas réussi à renverser la désindustrialisation, c’est qu’ils ont été lancé tous en même temps, sans organisation, sans hiérarchisation, et avec un saupoudrage des moyens absolument contraire aux recommandations initiales.
Elie Cohen est le plus dubitatif sur la stratégie type AII, dont il dit qu’impliquant une intervention directe de l’Etat dans des grands projets innovants, il ne peut que se heurter à la politique de la Commission de Bruxelles.
Je ne partage pas son avis à ce sujet. L’AII n’a existé que deux ans, pour de tristes raisons de règlement de compte entre sarkozystes et chiraquiens, et il est vrai qu’elle se heurtait à des tracasseries bruxelloises pénibles et incertaines. Néanmoins, elle avait pu initier un certain nombre de grands projets (imagerie médicale, bioraffinerie, filière hydrogène…). D’autre part, Bruxelles exigeait qu’il existe une défaillance de marché, et j‘ai l’impression que l’idée que les marchés puissent être défaillants quelque peu progressé ces dernières années. Ensuite, si les pays européens remettent à l’honneur la politique industrielle, l’idée finira bien par arriver jusqu’à la Commission Européenne
Elie Cohen semble plutôt privilégier le financement des PME, soulignant qu’en Allemagne, les PME ne sont taxées que sur leurs bénéfices, ce qui permet leur développement, alors qu’en France une partie trop importante des taxes repose encore sur le CA ou la masse salariale.
Il défend aussi la stratégie des pôles de compétitivité, à condition qu’elle soit recentrée, débureaucratisée et avec de vrais objectifs industriels : environ 5 à 7 pôles étaient prévus, pour 500 millions d’euros, ils sont 71, pour des raisons de susceptibilité locale, pour le même budget, et leur direction est essentiellement universitaire, sans vision, ni expérience industrielle.

Elie Cohen : L’État brancardier : politiques du déclin industriel 1974-1984, Paris, Calmann-Lévy-St Simon, 1989, Le colbertisme high-tech : économie du grand projet, Paris, Hachette Pluriel, 1992, La tentation hexagonale : la souveraineté à l’épreuve de la mondialisation, Fayard, 1996, L’ordre économique mondial : essai sur le pouvoir régulateur, Fayard, mars 2001, Le nouvel âge du capitalisme, Fayard, octobre 2005, Penser la crise, Fayard, avril 2010

dimanche 6 janvier 2013

Politique de recherche_faudra-t-il choisir ?

Le boson de Higgs ; et après ?

Sélectionnant dans son numéro de décembre les dix plus grandes découvertes de l’année, La Recherche place évidemment au premier plan la découverte au CERN du boson de Higgs confirmant la théorie de la matière élaborée dans les années 60 – le modèle standard de la physique des particules. Très schématiquement, il existe trois interactions fondamentales : forte, qui explique la stabilité des noyaux atomiques, électrofaible (faible et électromagnétique) et la gravitation. La force électrofaible s’exerce par l’échange de bosons W et Z découverts au CERN en 1983, la masse des particules par l’échange de bosons de Higgs, découverts le 4 juillet 2012.
C’est la construction du LHC (Large Hadron Collider) un accélérateur de particules de 27 km de diamètre, commencé en 1998 et inauguré en 2008 qui a permis cette découverte. Selon Forbes, cette découverte a un coût de 10 milliards de dollars : 4 milliards pour la construction du LHC, 6 milliards pour le coût des expériences (détecteurs, fonctionnement, personnel) depuis le début du projet.
La caractérisation du boson de Higgs (spin, masse, désintégration, interactions) devrait permettre de conforter ou d’infirmer des théories physiques comme la supersymétrie – et la stabilité ou non de l’univers à une échelle de dix milliards d’années-, ou la nature de la matière sombre (>80% de la matière dans l’univers !). Le fonctionnement jusqu’en 2015 du LHC devrait permettre de commencer à répondre à certaines de ces questions, mais les physiciens rêvent déjà d’un accélérateur plus puissant de 80 km de diamètre. A quel coût ? Cela engagerait  l’ensemble des ressources mondiales en physique des particules sur plusieurs décennies ! Grâce à des investissements massifs, la physique des particules se passe aujourd’hui en Europe.

Génome humain : où en  sont la France et l’Europe ?

En deuxième plan, La Recherche place le programme Encode, suite du programme génome humain débuté en 1989, grâce à l’apparition puis au perfectionnement d’automates de séquençage de l’ADN. Dès 1995, le premier génome (code génétique complet) bactérien est publié, puis c’est en 2001 le premier génome brut humain après une compétition acharnée entre le programme public international (HUGO –Human genome organization,) et le programme privé de la société Celera de l’ancien marine Craig Venter, et en 2003, deux ans avant la date prévue, la séquence humaine complète (2 milliards de nucléotides, soit l’équivalent de 2000 livres de 500 pages). Ces résultats sont propriété commune de l’humanité et utilisables gratuitement par tous. Le programme génome humain proprement dit a été achevé avec 2 ans d’avance sur les prévisions et un coût de 2.7 milliards de dollars (au lieu des 3 prévus)
La contribution de la France (à travers essentiellement le Genoscope) a été le séquençage du chromosome 14, conduisant notamment à la découverte de 6 nouveaux gênes impliqués dans des maladies génétiques. Elle représente 2.8% du projet, loin derrière les USA (60.8%), le Royaume uni (29%), le Japon (5%).

Après le génome

Ce programme, malgré son succès, se terminait sur une surprise et un goût d’inachevé : le génome humain ne comprend que 25.000 gènes (l’estimation initiale était plutôt de 100.000), soit l’équivalent de celui de caenorhabditis,  un vers d’un mm de long…ce qui signifie que 97% de l’ADN n’aurait pas de signification (ADN poubelle) ! C’est ce défi que relève le programme Encode (450 chercheurs essentiellement aux USA, 185 millions de dollars) depuis 2003. Dans une série de 30 articles publiés en 2012 dans Nature, les chercheurs d’Encode montrent qu’en fait 80% de l’ADN est transcrit en une activité biochimique, dont seule une petite partie (10%) est connue- il s’agit de la régulation –activation ou inhibition- d’autres gènes. Il reste donc énormément à comprendre, sur un plan fondamental (qu’est-ce qui régule l’expression du code génétique dans les différentes cellules, les différences entre deux individus), avec l’espoir de mieux connaître les prédispositions ou facteurs de risques à certaines maladies, ou facteurs environnementaux, voire conditions psychologiques.
Ajoutons que les progrès technologiques dans le décryptage de l’ADN vont bientôt permettre à chacun d’avoir accès à son code génétique pour une somme modique, ce qui va complètement révolutionner la médecine, en permettant l’avènement de la médecine personnalisée, mais aussi en posant de redoutables problèmes sociétaux, de thérapeutique, de  confidentialité, d’assurance…
La France est assez peu présente dans ces recherches génomiques, à l’exception d’un programme original, et qui mériterait sans doute davantage de moyens, les programmes Metahit et Metacardis  de séquençage de la flore intestinale (plus de 170 espèces chez chaque individu, et plus de cent fois plus de gènes que le génome humain – la flore intestinal compte dix fois plus de cellules que le corps humain). Or, les variations de cette flore intestinale semblent liées à des maladies cardiométaboliques comme l’obésité, le diabète, la coronaropathie, la maladie de Crohn

Génome ou Physique des particules : des choix à faire ?

La France et l’Europe dominent aujourd’hui la physique des particules, grâce à cet immense succès qu’est le CERN et aux moyens conséquents qu’a su obtenir et mettre en oeuvre la communauté des physiciens en ce domaine qui apparaît comme privilégié. Faut-il aller plus loin et à quel rythme ? Construire un nouvel anneau, ou attendre de nouvelles avancées technologiques qui permettront de continuer l’exploration des théories fondamentales de la matière à moindre coût. En tous cas, le financement de ces recherches ne pourra être que mondial, avec une participation fortement accrue des pays non-européens.
Par contre en biologie, alors que les USA et la Chine –qui possède désormais le plus grand centre de séquençage d’ADN- font un effort massif autour du génome, justifié par le besoin de connaissances fondamentales et les immenses applications prévisibles en terme de santé, l’Europe et la France paraissent en retrait. La communauté des biologistes n’apparaît pas aussi unie et organisée que celle de la physique des particules autour de programmes ambitieux et fédérateurs. Or, nous ne pouvons pas nous permettre de rester en arrière si nous voulons que l’avenir en matière de biologie et de santé s’écrive ailleurs qu’aux USA ou en Chine.
Génome ou Physique des particules, faudra-t-il choisir ? Il est probable que oui, et pourtant il ne semble pas que la question –délicate- soit débattue, ni dans la communauté scientifique, ni dans les assises de la recherche, ni dans les instances politiques de décision - le ministère de la recherche au premier plan. Il ne faudrait que ce choix soit fait par défaut, en toute obscurité – et encore serait-il plus aisé si nous étions sur la voie des objectifs de Lisbonne : 3% du PIB consacrés à la recherche et au développement ; or, nous en sommes loin -2%-, contrairement aux USA, au Japon, à certains pays nordiques, bientôt à la Chine..