(Compte-rendu d’une conférence de M. Elie Cohen, pour l’AJEF 9 janvier 2013)
L’effondrement industriel de la France est une réalité
Dans les dix dernières années, la France a connu un effondrement industriel profond et violent. L’industrie, au sens large, est passée de 18 % à 12.5 % de la valeur ajoutée, l’industrie française est 15ème sur 17 de l’Eurozone (le Royaume-Uni, prétendument désindustrialisé, et même l’Italie sont devant), 2 millions d’emplois industriels, soit 40% ont été perdus. La part de marché de l’industrie française est passée de 18% à 9%.
Si l’on parle en production manufacturière
Elie Cohen a réfuté toutes les contestations ou relativisations de ce constat. Qu’il s’agisse de la production manufacturière ou de l’industrie large comprenant les services associés, les chiffres indiquent le même effondrement, et sont comparables de pays à pays. L’industrie n’est pas remplacée par les services et la désindustrialisation n’est nullement un signe de développement d’une économie.
L’industrie possède en effet trois caractéristiques qui la rendent irremplaçable comme moteur de l’économie : elle est l’activité la plus génératrice de gains de productivité et de croissance ; 80% du commerce international concerne des produits industriels ; 85 % des recherches ont pour objet l’industrie.
Un pays qui se désindustrialise s’endette en permanence en raison d »un déficit structurel de ses échanges, il n’investit plus en recherche, n’innove plus, cesse sa croissance. Ainsi s’amorce un cercle vicieux
A contrario, les pays comme l’Allemagne et les pays nordiques qui ont gardé une forte industrie, innovent, exportent et se renforcent
Compétitivité coût et hors coût
La campagne électorale en ce domaine s’est jouée sur un clivage droite (l’origine du problème, c’est la compétitivité coût et particulièrement les trente-cinq heures !) –gauche (c’est le manque de recherche, d’innovation, les erreurs de stratégie des entreprises) qui est la cause de l’effondrement industriel
Elie Cohen, avec une certaine ironie, reconnaît au rapport Gallois le mérite d’avoir créé un consensus sur ce que répétaient depuis des années la plupart des économistes : le décrochage industriel français est une réalité, nous avons en dix ans perdus dix points de compétitivité face à l’Allemagne, ce qui nous place avec une compétitivité en gros équivalente (il y dix ans, nous avions dix points d’avance).
La conséquence en est très nette et immédiate dans l’automobile : il y a dix ans, PSA était plus puissant, plus profitable, avait une meilleure image que Volkswagen. ; le solde automobile français était positif de 9 milliards, il est maintenant négatif de 2 milliards.
Alors s’enchaîne un cycle .vicieux : le manque de compétitivité coût fait décroître les marges des entreprises, qui ne peuvent plus innover et donc perdent aussi en compétitivité hors-coût. Cet enchaînement a conduit à une crise préterminale de l’automobile- Renault a baissé de 50% sa production en France_, laquelle, avec m’ensemble des sous-traitants représente encore un cinquième de l’activité manufacturière.
Alors s’enchaîne un cycle .vicieux : le manque de compétitivité coût fait décroître les marges des entreprises, qui ne peuvent plus innover et donc perdent aussi en compétitivité hors-coût. Cet enchaînement a conduit à une crise préterminale de l’automobile- Renault a baissé de 50% sa production en France_, laquelle, avec m’ensemble des sous-traitants représente encore un cinquième de l’activité manufacturière.
C’est donc à la fois les compétitivités coûts et hors coûts qui sont en cause ; et il faut et un choc de compétitivité, et un plan.
L’exemple du solaire américain montre la difficulté de réagir à une situation trop dégradée : L’administration Obama a découvert qu’elle investissait lourdement dans une recherche dont son pays ne pouvait profiter car il n’avait plus la base industrielle suffisante.
D’autre part, l’entrée de la Chine dans le système commercial international crée une situation nouvelle qui remet en cause la théorie des avantages compétitifs et de la spécialisation de Ricardo. En raison de sa population, de sa population formée, de sa technologie, de son capital financier, la Chine possède un avantage compétitif absolu.
Face à la situation de désindustrialisation, la France étant gravement touchée, mais pas la seule, il y a un retour de la politique industrielle, on réadmet que la main visible de l’Etat peut être utile.
Normalement, ce retour de la politique industrielle devrait être une bonne nouvelle pour la France. Elle n’est pas dépourvue d’atouts : de bonnes infrastructures, un bon système de formation d’ingénieurs, une culture scientifique et technique ancienne, un état acquis à la croissance endogène. Et, de plus, la France , dans les trente glorieuses a inventé un modèle particulièrement réussi de politique industrielle, basé sur les grands projets (aéronautique, nucléaire…), ce qu’ Elie Cohen a appelé « le colbertisme high tech », avec un rôle important de la commande publique, de la recherche et des entreprises publiques plus ou moins monopolistiques, la constitution de champions nationaux, une planification stratégique.
Ce modèle a fonctionné pendant les « vingt glorieuses » (1950-1970), mais insiste Elie Cohen, il ne fonctionne plus, pour plusieurs raisons. Il correspondait assez largement à une situation de rattrapage (dans les Telecom, le nucléaire civil, avec l’achat de licences américaines…), et ce qui a servi à rattraper n’est pas forcément adapté à l’innovation véritable. Il s’appuyait sur une volonté d’indépendance nationale technologique, la possibilité de mesures protectionnistes, d’interventions étatiques, de dévaluations pour retrouver une compétitivité coût quand nécessaire, toutes choses qui nous sont désormais interdites dans le cadre de l’Europe. Il correspondait à une situation où les marges des entreprises étaient fortes (la production primait sur la libre concurrence) et les prélèvements sociaux faibles (ils ont augmenté d’un point par an sous Giscard et le chômage, en cas de formation, était indemnisé à plus de 100%, ce qui a fait de Giscard le Président le plus socialiste que la France ait connu, selon Cohen) ; l’investissement en recherche et développement pouvait représenter 4% du PIB, alors que nous avons renoncé à tenir les objectifs de Lisbonne – 3%- (seuls l’ Allemagne et les pays nordiques s’en approchent, nous sommes à un peu plus de 2%)
Un certain nombre d’erreurs ont été commises qui sont à l’origine du déclin de l’industrie française: face à la crise pétrolière, puis aux autres crises, l’Etat stratège a laissé la place à un Etat brancardier (d’après le titre d’un des ouvrages les plus connus de M. Cohen). Le choix de l’Europe, les dogmes du libre échange et de la politique de la concurrence ont interdit les recettes du passé, et les conséquences n’en ont pas été tirées, notamment en termes de politique macroéconomique ; la mondialisation et le poids particulier de la Chine constituent des défis nouveaux.
La réalité de la désindustrialisation et de ses dangers a été perçue par le pouvoir politique vers 2005, sous le second septennat Chirac. Sur les conseils d’ailleurs parfois divergents d’un certain nombres d’économistes, dont Elie Cohen, quatre principales stratégies ont été mises en place :
- Le retour des grands projets, permettant des innovations de rupture par l’organisation de grands projets collaboratifs, sous une forme renouvelée : ce fut la création de l’AII (Agence pour l’Innovation Industrielle), inspirée par le rapport Beffa
- La Datar a proposé de s’inspirer de la politique des clusters (USA) ou districts (Italie du Nord) : silicon valley, plastic valley…, dans lesquels l’activité industrielle se développe dans un territoire restreint grâce à la collaboration de grandes entreprises, de PME et de centres de recherches travaillant dans un même secteur : ce fut la stratégie des pôles de compétitivité
- Un financement plus adapté des PME et de leurs cycles de vie, permettant l’expansion de PME plus fortes, innovantes et exportatrices- dont nous sommes dépourvus contrairement à l’Allemagne : ce fut la transformation de l’Anvar en Oseo
- La création d’un environnement plus favorables à l’investissement dans la recherche et le développement : ce fut le crédit d’impôt recherche, qui a effectivement contribué à sauver un nombre importants d’emplois dans la recherche.
Selon Elie Cohen, chacun de ces remèdes avait ses mérites, mais, s’ils n’ont pas, ou pas assez bien fonctionné, s’ils n’ont pas réussi à renverser la désindustrialisation, c’est qu’ils ont été lancé tous en même temps, sans organisation, sans hiérarchisation, et avec un saupoudrage des moyens absolument contraire aux recommandations initiales.
Elie Cohen est le plus dubitatif sur la stratégie type AII, dont il dit qu’impliquant une intervention directe de l’Etat dans des grands projets innovants, il ne peut que se heurter à la politique de la Commission de Bruxelles.
Je ne partage pas son avis à ce sujet. L’AII n’a existé que deux ans, pour de tristes raisons de règlement de compte entre sarkozystes et chiraquiens, et il est vrai qu’elle se heurtait à des tracasseries bruxelloises pénibles et incertaines. Néanmoins, elle avait pu initier un certain nombre de grands projets (imagerie médicale, bioraffinerie, filière hydrogène…). D’autre part, Bruxelles exigeait qu’il existe une défaillance de marché, et j‘ai l’impression que l’idée que les marchés puissent être défaillants quelque peu progressé ces dernières années. Ensuite, si les pays européens remettent à l’honneur la politique industrielle, l’idée finira bien par arriver jusqu’à la Commission Européenne …
Elie Cohen semble plutôt privilégier le financement des PME, soulignant qu’en Allemagne, les PME ne sont taxées que sur leurs bénéfices, ce qui permet leur développement, alors qu’en France une partie trop importante des taxes repose encore sur le CA ou la masse salariale.
Il défend aussi la stratégie des pôles de compétitivité, à condition qu’elle soit recentrée, débureaucratisée et avec de vrais objectifs industriels : environ 5 à 7 pôles étaient prévus, pour 500 millions d’euros, ils sont 71, pour des raisons de susceptibilité locale, pour le même budget, et leur direction est essentiellement universitaire, sans vision, ni expérience industrielle.
Elie Cohen : L’État brancardier : politiques du déclin industriel 1974-1984, Paris, Calmann-Lévy-St Simon, 1989, Le colbertisme high-tech : économie du grand projet, Paris, Hachette Pluriel, 1992, La tentation hexagonale : la souveraineté à l’épreuve de la mondialisation, Fayard, 1996, L’ordre économique mondial : essai sur le pouvoir régulateur, Fayard, mars 2001, Le nouvel âge du capitalisme, Fayard, octobre 2005, Penser la crise, Fayard, avril 2010
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