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mercredi 20 février 2019

Les clowneries de l’Ademe


Donc, la dernière clownerie de l’Ademe  (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), c’est son évaluation de l’évolution du Mix électrique jusqu’en 2060 publiée en décembre 2018. Elle recommande en substance d’arrêter les centrales existantes avant leur fin de vie, les remplacer massivement par des installations solaires et éoliennes (multiplication par plus de dix des puissances installées actuelles), et développer une économie de l’hydrogène avec les surplus d’électricité des périodes favorablement ventées et ensoleillées.
En gros, mettez des éoliennes et des panneaux photovoltaïques partout et vous aurez un jus pas cher. Et surtout moins cher qu’avec du nucléaire. Et David Marchal, Directeur adjoint « Productions et énergies durables » assène : «la place très prépondérante des ENR dans le système électrique français est sans appel (…) et le nucléaire de nouvelle génération (type EPR) n’apparaît pas compétitif». Tel que . Et largement repris par la presse, on s’en doute.

Sauf que c’est du complet bullshit, une pure honte, une opération de propagande digne de la Pravda ou de la Propaganda Staffel. Et que s’il y avait une loi sur les fake news, il faudrait d ’urgence l’appliquer à la direction de l’Ademe.


Commentaire de l’Académie des technologies : « L’Académie des technologies, comme elle l’a déjà écrit, s’inscrit pleinement dans la politique de développement des énergies renouvelables. Elle considère que la réussite de cette politique suppose des hypothèses réalistes. C’est pourquoi elle estime que les conclusions de l’étude de l’ADEME doivent être prises avec une très grande prudence. Elles ne devraient en aucun cas servir de base à des décisions de politique publique »

En langage d’académicien, c’est assez saignant. Et les explications ne le sont pas moins :

1. « L’approche de l’ADEME se concentre sur le secteur Electrique. Cependant les hypothèses qu’elle prend impactent les autres secteurs énergétiques et particulièrement le Gaz. Il existe des interactions entre ces secteurs ; par exemple, l’ADEME propose le développement d’importantes quantités de biogaz, notamment à partir d’hydrogène produit par électrolyse. Cependant on peut douter que cette stratégie soit compatible avec les contraintes propres au stockage et au transport de l’Hydrogène dans le secteur Gaz ».

C’est gentiment dit. On pourrait dire autrement. L’électricité pour produire l’hydrogène par  électrolyse de l’hydrogène, elle vient d’où ? du biogaz ? Et les shadocks pompaient, pompaient…

2. L’ADEME envisage une quasi-stagnation de la demande d’électricité jusqu’en 2060, malgré de nouveaux usages. Cette hypothèse est plus basse que celle retenue par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) du Ministère de l’Environnement. Sur une aussi longue période, la prise en compte d’une croissance, ne serait-ce que de 1% par an, modifierait radicalement les résultats.
(Commentaire ; le rapport sur l’intelligence artificielle de Villani envisage un doublement de la consommation électrique. Lancer une recherche sur un moteur de recherche consomme autant qu'une ampoule basse consommation de 12 watts, allumée pendant une heure ! L’envoi  d’un mail consomme enre 4 et 50g de CO2, en cas de pièce jointe importante !)

Faudra que l’Ademe m’explique, surtout si en plus on remplace les diesel par des voitures électriques !

3. Malgré ces hypothèses basses sur la demande, les trajectoires de l’ADEME n’assurent pas la neutralité Carbone en 2050 – ce qui est pourtant un objectif gouvernemental - ni même en 2060. A cet horizon, les trajectoires de l’ADEME requièrent des importations significatives d’électricité, pour pallier les aléas du soleil et du vent. Mais les pays limitrophes seront soumis à des conditions météorologiques analogues, et ils ne seront pas en mesure de garantir les besoins français d’électricité… surtout ceux qui auront renoncé au nucléaire.

4. Les coûts induits sur le secteur Gaz par le Mix électrique envisagé ne sont pas présentés. L’ADEME fonde à tort ses conclusions sur la seule économie de l’Electricité, sans prendre en compte les nécessaires investissements et d’exploitation du secteur Gaz.

(et ajoute-t-on ne prend pas en compte ce qu’induit le fait de dépendre fortement de fournisseurs gaziers come la Russie ou l’Algérie, en terme de souveraineté et de marge de manœuvre !)

5. De nombreuses hypothèses économiques retenues par l’ADEME paraissent très discutables. Ainsi, le facteur de charge de la production éolienne terrestre adopté par l’ADEME est sensiblement supérieur au facteur de charge actuel ; cependant l’ADEME admet que les futurs sites seront moins bons que les sites présents, ce qui est inévitable.
Les installations de production d’hydrogène auront des facteurs de charge faibles, et les rendements attendus des processus de conversion (électrolyse d’électricité excédentaire, transport, stockage d’hydrogène, production d’électricité à partir de l’hydrogène) se heurtent à des limites physiques ; ils sont, in fine, très faibles.

Mais l’Ademe a visiblement décidé d’ignorer les bases de la physique, ou de les révolutionner !

6. Certaines perspectives d’évolution des coûts d’investissement des énergies renouvelables sont surestimées par l’ADEME ; par exemple des baisses encore très significatives de l’éolien terrestre – technologie mature – sont peu probables.

7. La valeur économique de l’électricité. Il est bizarre que dans toutes les autres simulations, sauf celle de l’Ademe, les ENR intermittentes ( solaire et éolien) ne parviennent pas à évincer le nucléaire. Bien plus, partout, on observe une corrélation négative avec le coût de l’électricité- plus il y a d’ENR variable dans le mix électrique, plus l’électricité est chère. C’est quand même bizarre !
Explication : l’Ademe néglige complètement la valeur réelle économique de l’électricité. Lorsque les ENR variables tournent à plein régime, et que le besoin d’électricité est faible, la valeur de l’électricité produite est très faible…Il est arrivé même qu’elle soit négative ; le 1er janvier 2018 ,en France ! EDF était obligé de payer pour que des clients achètent  le courant que les éoliennes produisaient à plein tube  – alors que toute le monde était sous la couette et que personne n’en avait besoin !
A l’inverse un moyen de production pilotable (comme le nucléaire…) qui permet  de répondre à la demande lorsqu’elle s’exprime … vous permet vendre votre électricité  très chere, en présence d’une forte demande et de l’absence de compétiteur renouvelable….
Bref, après avoir ignoré les lois élémentaires de la physique, l’Ademe s’assoit sur celles de l’économie ! Des clowns, vous dis-je !
9. Le communiqué de presse annonçant cette étude affirme dans son premier paragraphe que « le développement de la filière EPR ne serait pas compétitif ». Cependant cette affirmation est contredite par l’étude présentée, comme cette note le démontre.  Ni l’étude, ni le communiqué de presse, ne relèvent une des importantes conclusions de l’étude elle-même : seul un renouvellement partiel du parc nucléaire permettrait la neutralité Carbone en 2050, qui est un objectif gouvernemental nécessaire pour contenir l’augmentation de température de l’atmosphère terrestre en-deçà de 1,5°C.

En ce qui concerne le nucléaire, historique, là, c’est carrément drôle : l’ Ademe recommande de fermer les réacteurs nucléaires actuels plus vite… car leur trop bas coût de production d’électricité gène le déploiement des ENR non pilotables, handicapées par ce concurrent trop efficace !!
Après s’être assis sur les lois de la physique, puis sur celles de l’économie, l’Ademe se fiche visiblement du prix que les consommateurs paient leur électricité. Ils aiment voir du monde dans les rond points ?
10. L’ADEME ne semble pas prendre en compte de manière réaliste deux difficultés d’un système électrique fondé sur une proportion importante d’énergies intermittentes : la garantie du synchronisme – clef de la stabilité du réseau - et l’ajustement aux variations rapides et fréquentes de la charge.

En fait, l’Ademe s’appuie sur des hypothèses qu’on peut qualifier d’ «héroïques» sur nombre d’éléments du système électrique. Par exemple, presque toutes les consommations sont supposées être asservies à la variabilité des productions des éoliennes et des installations photovoltaïques développées à grande échelle. Toutes les consommations d’eau chaude sanitaire, 75% du chauffage électrique, 38 à 56% des produits blancs (électroménager…), 50% des usages industriels (!), 80% des recharges des véhicules électriques sont « effaçables » selon ces hypothèses ! Cela conduirait à une puissance effaçable de 60 GW ! Alors que RTE et la société spécialisée E.Cube estiment le potentiel de demande pilotable grâce aux smart grids à 9,3 GW, et celui pilotable dans l’industrie de 4,5 à 6,5 GW ! Ca, c’est de l’héroïsme !
Cela veut dire en fait que particuliers et industriels seront priés d’utiliser l’énergie quand elle est produite et non quand ils en ont besoin ! Big Brother décidera quand on pourra consommer de l’électricité. Tiens, et si c’était ça le vrai intérêt du compteur Linky, qui permet au gestionnaire de vous effacer du réseau quand il veut ? Ca va pas aider à l’acceptabilité sociale des Linky ni calmer les résistances qui se manifestent déjà….
Ensuite, l’Ademe fait l’hypothèse d’un triplement des interconnexions (de 12 à 36 GW) avec des systèmes étrangers lesquels évoluent comme par magie pour servir les besoins français tant en exportations qu’en importations.  Nos voisins se dotent de capacités de stockage énormes, et leurs productions sont miraculeusement là en cas de besoin et pas là lorsque nous pouvons exporter. C’est assez arbitraire ! Et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est plutôt l’inverse qui semble se produire, au vu des plans de transition de nos voisin ; ils comptent visiblement sur le nucléaire français pour les fournir  lors des pics de demande ou d’effondrement des énergie renouvelables non pilotables…
Comment dire ? Cela pourrait être drôle s’il ne s‘agissait pas d’énergie, c’est-à-dire la source de toute vie, et plus encore civilisée ! Là, c’est tragique, et plus encore si gouvernement et media (qui ont un grand rôle à jouer) accordent la moindre crédibilité à l Ademe et à son directeur. En tout état de cause, une mesure immédiate s’impose : l’équiper d’un gros nez rouge et de  pantoufles de 55. Comme ça, on saura qui parle !
Il y a au sein de l’Ademe un certain nombre de scientifiques et d’ingénieurs, dont je n’ose pas imaginer l’état mental. Il leur reviendra sans doute assez rapidement de choisir entre leur conscience et leur honneur professionnel, et le rôle qu’on leur fait jouer.
Bibliographie : Trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060, Commentaires d’une étude ADEME publiée le 10 décembre 2018, Synthèse de l’avis de l’Académie des technologies ; Dominique Finon, directeur de recherche émérite au Cnrs, économiste (avec l’aide de Sylvestre Huet pour la rédaction). http://huet.blog.lemonde.fr/2019/01/31/le-plan-tout-renouvelable-de-lademe-conteste/


vendredi 8 février 2019

L’Europe de l’énergie… encore un échec !


Transition énergétique et charbon : l’Allemagne nous enfume !

Ah oui, et au sens figuré et, au sens propre.

Résumé des faits : La commission allemande sur la sortie du charbon a proposé un plan censé permettre à l’Allemagne de se débarrasser de cette source d’énergie, la pire pour le climat et la pollution….  en 2038 !!!

En 2018, le charbon (lignite- le pire du pire en matière de pollution- et houille réunis) a compté pour près de 38% de la production allemande d’électricité. L’Allemagne est le pays de l’Unuion Européenne qui consomme le plus de charbon (71 mtep par an) – contre 48.7 pour la Pologne …et 9.1 pour la France. L’Allemagne s’est même permis ces dernières années d’ouvrir de nouvelles mines  (cf ll)a mine géante de charbon de Garzweiler, voir mon blog du 14 juillet 2018 Raisons de détester l’Eurokom 8 : A la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne). Malin, comme ça les Allemands pourront afficher une baisse plus rapide leur charbon….

En fait, les Allemands, en matière de transition énergétique, ont remplacé le nucléaire…par du gaz et du charbon. ( ben oui, on a beau mettre du solaire et de l’éoline, de toute façon, il faut les compléter par des énergies pilotables.  Et ça se voit : France : 5.80 tonnes CO2 par habitant, Allemagne : 8.8 tonnes CO2 par habitant. Ça se voit et ça se respire aussi, lors des épisodes de pollution à répétition….Et merde pour la pollution et merde pour le climat

Voyons le plan allemand : L’Allemagne prévoit donc d’abandonner le nucléaire d’ici 2022 et, peut-être, le charbon en 2038. Cela suppose qu’en l’absence de vent et de soleil, l’approvisionnement électrique sera assuré par du gaz naturel et du stockage d’électricité.

L’Allemagne pourra-t-elle accroître ses importations de gaz, alors qu’en Europe les réserves de cette ressource fossile s’épuisent et que la production décline?  En tout état de cause, cela suppose une dépendance de plus en plus étrite vis-à-vis de la Russie.  Concernant le stockage d’électricité, aucune technologie n’est actuellement mature à grande échelle et cela implique d’importantes pertes énergétiques, à compenser par une surproduction conséquente.

Sachant que le climat est en jeu (donc l’avenir de la planète et, incidemment, le nôtre), le pari allemand est plus que risqué. S’il fonctionne, l’Allemagne aura mis très longtemps à sortir du charbon, émis beaucoup de gaz à effet de serre, et restera dépendante du gaz naturel (ressource fossile et russe). S’il échoue, ce qui semble probable, tant ce plan fait peu de cas de la physique la plus élémentaire,  l’Allemagne continuera à brûler du charbon et nous en paierons tous l’addition.

Il est vrai que compte-tenu de sa durée, ses auteurs ne seront plus en poste au moment d’en dresser le bilan… dans 19 ans. Bravo pour l’irresponsabilité !


Allemagne 19 ans, Royaume-Uni 4 ans !

Et là où l’Allemagne nous enfume encore en plus, pour ne pas dire se fiche de nous, c’est sur la durée de sa sortie du charbon 19 ans !!!  Prenins l’exemple du Royaume-Uni : en résumé, alors que l’Allemagne prévoit de sortir de ses 38% de charbon en 19 ans, le Royaume-Uni a presque fini de le faire en 4 ans…

Comment ont-ils fait ? Au Royaume-Uni, l’électricité provenait, en 2013, à 37% du charbon. Quatre ans plus tard, en 2017, cette part était tombée à 6,7 %. Ce repli impressionnant s’explique par l’instauration en 2013 d’un prix plancher de 18£ par tonne de carbone émise. Cela signifie qu’indépendamment des fluctuations du marché européen des quotas d’émission de CO2, les énergéticiens britanniques savaient qu’ils paieraient au minimum 18£/tonne de CO2, et que ce prix minimal augmenterait avec le temps. Cette mesure a ôté au charbon sa compétitivité économique. Il a ainsi été remplacé par du gaz naturel, également une source d’énergie fossile, mais qui émet deux fois moins de CO2 par unité d’énergie produite, une diminution de la consommation électrique et des énergies renouvelables (éoliennes principalement).

L’extraction de gaz au Royaume-Uni s’effondrant depuis le passage de leur pic de production en 2000, le recours à cette source d’énergie pour remplacer rapidement le charbon est transitoire. À plus long terme, le gaz devrait être remplacé par de l’énergie nucléaire (bas carbone), renouvelable (éolienne) et des importations d’électricité depuis le continent. De fait, l’Angleterre a un ambitieux programme de construction de nouveaux nucléaire, comportant au moins deux EPR.

Donc la recette : la volonté de sortir du charbon rapidement par la fixation d’un prix véritablement incitatif du CO2, du gaz, du nucléaire, et, à plus long terme, du nouveau nucléaire.

L’Allemagne fait exactement le contraire : sortie en priorité du charbon, puis du nucléaire. Petit calcul :  combien l’Allemagne aurait pu éviter d’émissions de CO2 en décidant de sortir en priorité du charbon plutôt que du nucléaire.

En 2010, avant le début des fermetures de réacteurs, l’Allemagne a produit 133 TWh d’électricité d’origine nucléaire sur l’année. En 2018, après avoir fermé plus de la moitié de ses capacités, elle en a produit 72,1 TWh. Sur son cycle de vie (exploitation, infrastructures, chaîne d’approvisionnement…) le nucléaire émet 12 gCO2éq/kWh et le charbon environ 1000 gCO2éq/kWh.

Ainsi eut-elle fait le choix de sortir du charbon plutôt que du nucléaire, l’Allemagne aurait pu aujourd’hui éviter chaque année l’émission de 60,2 millions de tonnes équivalent CO2 de gaz à effet de serre. Lorsqu’elle sera complètement sortie du nucléaire en 2022, cette valeur s’élèvera à 131 MtCO2éq/an (soit environ 14% de la totalité des émissions domestiques allemandes, tous secteurs confondus: électricité, transports, chauffage, industrie, agriculture…).
Une proposition plus sage aurait donc été de geler la sortie du nucléaire (voire de décider la construction de nouvelles centrales) et de sortir le plus vite possible du charbon puis du gaz.

Mais l’Allemagne se fiche de tout, du climat, de la pollution de l’Europe, du monde, sauf des intérêts électoraux des politiciens allemands

Pour plus de précision, cvf. (Maxence Cordiez, https://twitter.com/maxcordiez?lang=frLe plan de sortie du charbon en Allemagne est-il réaliste)

La « plaque de cuivre » n‘est pas pour demain. Le quasi black out du 10 janvier

La « plaque de cuivre », c’est le fantasme d’une interconnexion parfaite des réseaux électriques européens… sachant que les distances et les pertes sont quand même assez fixées par les lois élémentaires de la physique.

Eh ben, c’est pas pour demain, et à vrai dire la fragilité du réseau européen devient inquiétante. Si ça continue, les autorités nationales exigeront bientôt un retour à davantage d’autonomie, des protections et des déconnexions.

Donc, jeudi 10 janvier, à 21h02 précisément (il faisait pourtant pas un froid polaire !) RTE a demandé aux industriels « électrointensifs » les aciéries, les raffineries, les cimenteries, de réduire immédiatement leur consommation. Sinon, il aurait fallu demander aux Français d’économiser l’électricité ou planifier une baisse générale de tension générale. Au pire, c’est-à-dire en cas de risque de black-out, on passerait au plan d’urgence, à savoir des coupures massives avec des régions entières plongées à tour de rôle dans le noir…

Plus de 1500 Megawatt ont été ainsi économisés,  ce qui correspond à l'équivalent de la production de deux réacteurs de Fessenheim. Cette interruption a duré de 20 à 45 minutes selon les entreprises, de quoi sécuriser le réseau. C'est la première fois que ce levier d'urgence est activé depuis sa création il y a 4 ans.

Que s‘est-il passé ? la fréquence du système électrique français et européen (les réseaux sont interconnectés) est passée très en dessous de 50 Hz, Or, quand la fréquence s'écarte trop de ce niveau, le système électrique pourrait connaître des coupures importantes, voire un black out ».

Pourquoi ? Ben, le pire est peut-être que l’on ne sait pas, et que, un mois après, on ne sait toujours pas. À l'origine, un problème dans nos importations. En clair : l'un de nos voisins n'a pas fourni ce qu'il s'était engagé à fournir. À 21 heures, la France importait de l'électricité à l'Allemagne et à la Belgique. Mais il n'est pas sûr que le problème vienne de chez eux, car le réseau européen est entièrement connecté. Les réseaux d'électricité européens sont interdépendants et un manque de production dans un pays, même temporaire, peut se traduire par une coupure chez ses voisins.

Une enquête a été ouverte pour identifier les raisons de cet événement, menée auprès du Réseau européen qui regroupe 41 gestionnaires européens de réseau d'énergie. L’hypothèse actuelle ? Le gestionnaire français du réseau électrique explique notamment cette baisse de fréquence par des problèmes récurrents entre le Kosovo et la Serbie (Eh oui, le Kosovo a le pouvoir de mettre à genou le réseau électrique européen !) et par « un problème technique sur les moyens de mesure du gestionnaire allemand sur l'interconnexion entre l'Allemagne et l'Autriche » ( ça devient une habitude, en Allemagne, de truander toutes leurs mesures ?)

Plutôt inquiétant, non ?

Pour rappel, en décembre 1978, l’hiver était particulièrement rigoureux, et une grande partie du nord de la France a été privée d’électricité pendant des heures: trains, métros, ascenseurs, tout s’était arrêté. Exactement comme à New York, un an auparavant, qui a connu deux jours de cauchemar avec des scènes de panique et de pillages. Chez nous, les pannes les plus graves ont eu lieu fin 1999 avec la tempête qui a détruit des milliers de pylônes et en novembre 2006. L’arrêt d’une ligne à haute tension dans le nord de l’Allemagne avait alors fait s’écrouler le réseau européen comme un château de carte, privant 15 millions de personnes de courant.

Eh bien, la politique européenne de l’énergie est un tel fiasco, un tel concours d’absurdité et de démagogie que nous risquons bientôt de nouveaux épisodes de ce type à l’échelle continentale…

Première leçon : le système électrique est fragile - et RTE a mis le réseau français sous surveillance jusqu’à la fin février.. Deuxième leçon : pour assurer l’alimentation de l’ouest de la France, il faut pour l’instant maintenir en activité la centrale à charbon de Cordemais, près de Nantes eh oui, on en est là. Troisième leçon : on a besoin de plus d’électricité pilotable, et il est assez affolant d’entendre les différents pays européens afficher des objectifs démagogiques et irréalistes de production d’électricité solaire ou éolienne… tout en expliquant, qu’en cas de problème, ils importeront de leurs voisins. Mais de qui exactement ? Il faut à la France rapidement 2,4, 6 EPR, à l’Europe 12, 14, 16 nouveaux EPR.


Pas de décarbonation, pas de lutte contre le dérèglement climatique, pas de sureté d’approvisionnement sans le nouveau nucléaire, sans les EPR !

lundi 4 février 2019

Grand débat ou grand enfumage (2)- faut-il débattre ?


J’ai dans une première version de ce blog rapporté les révélations de Mediapart sur la préparation du grand débat macronien, et les manœuvres assez déloyales qui ont conduit à évincer Chantal Jouanno et la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) d’une opération que le gouvernement et la présidence voulaient de toute évidence transformer en communication, pour ne pas dire propagande.

Alors, débattre ou ne pas débattre ? Au début, je reconnais que cela parait assez tentant. On nous donne la parole, prenons – là ! Enfin . Oui, mais !

Surprises de janvier : Il y eut d’abord les annonces de janvier sur l’indemnisation du chômage, et notamment  1) le remplacement de la suspension des indemnisations en cas de manquements divers (dont l’absence à un rendez-vous) par une suppression ; 2) pour plus d’efficacité répressive, ces sanctions aggravées seront prises par Pole Emploi, ainsi juge et partie et qui aura tout pouvoir en ce domaine, alors qu’auparavant les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, de suppression du revenu de remplacement et d’application d’une pénalité administrative relevaient de la compétence du Préfet . Alors surtout n’indisposez pas votre gentil conseiller Pole Emploi !
Décision prise, décret passé (n° 2018-1335 du 28 décembre 2018) ! Tiens, et cela, on n’aurais pas pu en débattre avant ? C’était urgent à ce point là ? Ça aurait pas pu attendre la réforme de l‘assurance chômage, actuellement en cours, et dont le gouvernement semble décidé à prendre la direction après avoir écarté les syndicats de salariés et les organisations patronales pour imposer un plan drastique d’économie ?
Donc, on se fiche de nous. Et plutôt pas débattre !

Dans la suite logique des ordonnances Macron : un changement majeur de nos loi de travail, cinq ordonnances de 160 pages, avec notamment la très contestable limitation des indemnités prudhommales (qui protège par avance l’éventuel délinquant patronal davantage que le salarié victime de ses agissements et contraire aux loin internationales, la priorité donnée aux accords d’entreprises sur les accords de branche ( une mesure qui fait rétrograder de plus de 100 ans, et plaçant des élément essentiels du contrat de travail sous la dépendance de la concurrence), la possibilité de se passer de représentant syndical dans des accords dans les petites entreprises, la diminution du nombre de délégués syndicaux dans les instances représentatives etc..

Bref les mesures les plus rétrogrades depuis longtemps, prises sans débat, sans débat parlementaire, sans débats avec les syndicats, sans vote parlementaire,  par ordonnances, des ordonnances dont Macron était si fier qu’il mettait en scène leur signature, singeant ainsi Donald Trump. !

Donc après tout débattre oui, mais on débat aussi de cela ! Et pour commencer, on annule tout ! On annule toutes les mesures dans ce domaine social prises depuis le début de cette présidence ! On annule tout, et si dans ce fatras il y a quelque chose à sauver…eh bien, on en débattra !

Non ? On n’annule pas ? Alors, on débat pas !

La lettre de Macron sur le Grand débat : à première écoute, elle avait un certain souffle cette lettre, enfin un certain style. « La France n'est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus vif qu'ailleurs. L'exigence d'entraide et de solidarité plus forte… C'est pourquoi la France est, de toutes les nations, une des plus fraternelles et des plus égalitaires. »
Ça commençait plutôt bien, ça nous changeait de « Gaulois réfractaires au changement », une macronerie venu du froid, en l’occurrence d’un voyage officiel au Danemark.

Mais enfin, très vite, ça se gâte. « Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle ». Ben non, justement, il a été élu par refus de Marine Le Pen, par pour un programme ultra libéral que les Français ont toujours massivement rejetés. Et qu’il ne le comprenne pas  est vraiment problèmatique. « Pour moi, il n’y a pas de questions interdites ». Pour nous expliquer ensuite que le Grand Débat macronien serait bien encadré par le gouvernement ( et non la CNDP de Chantal Jouanno) et porterait sur des questions précises. Parmi les questions abordées, la laïcité, qui « est synonyme de liberté parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix »( ben c’est pas tout à fait le but, c’est de permettre à tout le monde de vivre ensemble, libéré de toute intervention des religions dans le pouvoir temporel), et parmi ces questions : « Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ».
Eh ben, je pensais pas que la laïcité faisait partie des préoccupations principales des gilets jaunes. Par contre, on comprend bien qu’une des préoccupations principales de Macron est de défendre un multiculturalisme à l’américaine, de façon à se concilier une partie des votes communautaires religieux, dont il a bien besoin. Et pour cela, de modifier la loi de 1905, projet éminemment dangereux.

Enfin et surtout, bien planquée dans cette lettre melliflue, la petite perfidie, le coup politique bien tordu : « Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, doivent-ils jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ? » Entre les lignes, la question est posée : quel est l’avenir du Sénat ?
C’est tout de même étrange, cette volonté récurrente des présidents en grande difficulté, de remise en cause, voire de suppression du Sénat. C’est qu’il est très embêtant ce Sénat, qui entrave parfois, ou seulement freine un peu, les initiatives les plus folles d’une présidence ivre de pouvoir appuyée sur une Assemblée de godillots ultra-majoritaires, qui ne remplit pas son rôle et vote les projets comme des singes automates. Il est bien embêtant ce Sénat qui a un rôle d’équilibre dans les institutions, qui joue un rôle particulier pour porter la voix des territoires, pour lesquels Macron n’a visiblement que peu d’intérêt de l’aménagement du territoire… A la communication politique s’ajoute ici la basse manœuvre écœurante et dangereuse pour le pays et ses institutions.

Donc là, plutôt, Merde au débat !

Les question bien baisées, pardon biaisées : Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité? A l'inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer?
 Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent insuffisant, d'autres trop cher en raison des cotisations qu'ils paient. L'efficacité de la formation comme des services de l'emploi est souvent critiquée… »
A aucun moment n’est mentionné, ni dans le texte ; ni dans les documents fournis les aides aux entreprises dont le CICE (40 milliards d’euros en 2019, cadeau bonus doublé puisque se superposent le crédit d’impôt de 2018 et la transformation en baisse de charge de 2019). A aucun moment n’est remise en cause l’efficacité de ce dispositif très couteux et très contesté. Ce doublement était-il si urgent ?

Débattre dans ces conditions ?

La stratégie de disqualification violente et continue des corps intermédiaires. Le Sénat, n’est qu’un de ces corps intermédiaires dont Macron veut la disparition. A travers notamment les ordonnances sociales et la mise en scène de leur signature, à travers les conflits sociaux qu’il a sciemment provoqué,  Macron n’a cessé de disqualifier les syndicats (qui selon lui n’ont aucun droit à représenter l’intérêt public) et a partiellement réussi à les discréditer. De même, sa pratique très centralisée et très autoritaire n’a cessé de disqualifier et discréditer les maires, les conseils généraux, les élus de proximité, sans compter l’insulte faite à la nouvelle majorité régionale autonomiste lors de sa visite en Corse. Dans toute cette première période de son mandat, le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas montré une appétence spéciale pour le débat.
Et maintenant, il se plaint qu’il n’a plus d’interlocuteurs pour débattre !!!!

Merci donc au Gilets Jaunes de l’avoir forcé à un débat. Par une certaine violence, puisqu’il ne restait plus que ce moyen-là. Tout comme ils ont montré que face à cette présidence là, là où les syndicats n’ont jamais pu rien obtenir par les moyens légaux, ils ont, eux et eux seuls, réussi à obtenir certaines avancées (sur la taxe carbone, sur les primes..). Par ce qu’il faut bien nommer un début d’insurrection !
Le non débat, c’est lui, Macron ; la chienlit, c’est lui ! ; et si ça tourne mal, la guerre civile, ce sera lui aussi ! 

« Il y a pour cela une condition : n’accepter aucune forme de violence. » C’est lui, Macron, qui l’a dit. Et c’est lui qui l’a fait. Jamais depuis la fin de la guerre d’Algérie un mouvement social s’est heurté à une telle répression policière. A aujourd’hui (3 février), le journaliste-documentariste David Dufresne, qui compile les vidéos et récits de violences policières sur son fil Twitter depuis le début du mouvement des «gilets jaunes», recense quelque 337 signalements, 1 décès, 152 blessures à la tête, 17 personnes éborgnées, et 4 mains arrachées du fait de l’action policière. Même le peu gauchiste Alain Bauer, spécialiste des affaires de sécurité, a déclaré à propos des grenades de désencerclement : « Nous avons des armes inutiles et rarissimes que l'on devrait cesser d'utiliser, affirme-t-il, citant la grenade de désencerclement. C'est l'arme la plus dangereuse qui puisse exister et dont l'utilité en matière de maintien de l'ordre n'a jamais été démontrée, où que ce soit". La police française est la seule à les utiliser. De même pour les lanceurs de balles de défense, qui devraient être soit interdits, soit utilisés qu’en dernier recours par des forces expérimentées.

Et il y  a eu aussi ces arrestations massives : Le 8 décembre, 1 082 personnes ont été interpellées à Paris, un chiffre record, Dénonçant « des dommages collatéraux », Me Kempf rappelle alors la circulaire prise par la ministre de la justice, et envoyée à tous les procureurs, pour « les inciter à réaliser des contrôles préventifs massifs, voire industriels ». Et ce sont, cas mineur, cas anecdotique, mais cas révélateur de l’hystérie ambiante, ces deux jeunes bretons, Arthur et Theo, arrêtés dans leur voiture, qui n’ont pas mis le pied à une quelconque manifestation, qui n’avaient même pas l’intention d’y aller, dont la voiture a été arbitrairement fouillée, et dans laquelle il a été trouvé une biellette de direction qualifiée de barre de fer, mais ni masques, ni gilets jaunes- ce qui étaient d’ailleurs le seule infraction à leur reprocher. Garde à vue et passage en jugement !

Puis vient la suite : le projet de loi sur les interdictions préalables de manifester, qui n’appartient pas à l’arsenal ordinaire des démocraties, mais à celui des dictatures ! Merci au député très modéré, très centriste, très pilier du parlement en ce qui concerne le contrôle affuté des finances publiques, Merci à Monsieur Charles de Courson, d’avoir ce jour-là, un peu seul, cramé un fusible en pleine discussion parlementaire : «Une autorité administrative va priver un individu de sa liberté de circulation ou de manifester au motif qu'il y a une présomption, des raisons sérieuses de penser (...) que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public”. Mais où sommes-nous mes chers collègues? C'est la dérive complète! On se croit revenu sous le régime de Vichy!», s'est-il enflammé. Devant les huées des députés, notamment issus de la majorité, Charles de Courson a réitéré: «Oui, oui, je dis bien le régime de Vichy. »

Cette stratégie policière, je veux dire, gouvernementale, imposée à la police par le gouvernement, elle n’est pas née avec le mouvement des Gilets Jaunes. Déjà, les syndicats avaient noté, lors des grandes protestations contre les ordonnances travail, une montée en violence inhabituelle des opérations policières. Et l’on sait d’où venait l’inspiration : Tu as envie de t’amuser en allant casser du syndicaliste ? Va mon petit Benalla, va, fais-toi plaisir !

Une drôle de conception du débat. On a bien compris que ce débat tenait davantage de l’opération de communication (et de sauvetage que d’un vrai débat, raison de l’abandon de Chantal Jouanno.  Alors, on voit Macron débattre devant des assemblées de maires (choisi par qui ? les préfets ?), et ce qu’on voit est bien instructif. On voit Macron se saisir d’une question et y répondre, ma foi avec une grande aisance, avec une éloquence efficace, et ceci, et c’est admirable, quelle que soit la question, mais avec pas une seule vue originale, rien qui s’éloigne de la doxa libérale qui a envahi sciences Po et l’Ena.
Et s’impose une impression : de débat, il n’y a pas ! Macron passe et repasse, des heures durant, dans tous les coins de l’hexagone le seul examen qu’il ait brillamment réussi, le grand oral de l’ENA ! Un pur et brillant spectacle de sophistique, oui, nous avons devant nous un vrai sophiste, digne de ceux que dénonçaient Platon. Il n’entend rien, il ne vboit rien, il ne comprend rien, mais il cause !
Et encore, pas sans faire des dégats !

Les macroneries : Il y a eu les « gaulois réfractaires », le problème du chômage résolu si l’on veut bien se «  donner la peine de traverser la rue ».Il y a eu aussi le cadeau de Nouvel An, en pleine mobilisation des Gilets Jaunes, le 31 décembre, la dénonciation de ceux qui « prennent pour prétexte de parler au nom du peuple » mais qui ne sont « que les porte-voix d’une foule haineuse »… Il y a eu ensuite : « on va davantage les responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent » - soit toujours le renvoi de la responsabilité vers les plus pauvres. En passant, dans un article du Monde du 1er Février, cette remarque d’un gestionnaire de fortune : « les riches aussi déconnent, avec leur optimisation fiscale »…

Et puis encore  « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu'un ministre ou un député !"

Et surtout,  le premier février 2019, cet article du Point montrant un Macron, qui lui déconne vraiment,  en plein déliré complotiste, qui juge que la surmédiatisation  des Gilets Jaunes est une «manipulation», orchestrée notamment par la Russie et Russia Today France. Extraits :  « Dans l'affaire Benalla comme pour les Gilets jaunes, la fachosphère, la gauchosphère, la russosphère représentent 90% des mouvements sur internet… Selon le président, il serait donc évident que les Gilets jaunes radicalisés auraient été «conseillés» par l'étranger : «Les structures autoritaires nous regardent en se marrant. Il ne faut pas se tromper. On est d'une naïveté extraordinaire ». A propos du boxeur Christophe Dettinger, arrêté après avoir commis des violences à l'encontre de gendarmes lors de l'acte 8 des Gilets jaunes. «Le boxeur, la vidéo qu'il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d'extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n'a pas les mots d'un Gitan. Il n'a pas les mots d'un boxeur gitan.»

Alors là, oui, Macron, déconne vraiment ! il me semble qu’il faut vraiment commencer à s’inquiéter et envisager les moyens constitutionnels d’empêchement !

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vendredi 1 février 2019

Grand débat ou grand enfumage (1) : la preuve par Chantal Jouanno


Hommage à la CNDP
Faut-il ou non participer au grand débat macronien ? Il est toujours délicat de répondre non à une offre de débat, encore que ceux qui ont participé à la tragédie des cent fleurs (que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent) auraient mieux fait de s’abstenir… Tiens, à propos, la campagne des cents fleurs se donnait pour but  « la juste solution des contradictions au sein du peuple ». Une bonne direction pour le Grand Débat ?
En tous cas, Mediapart a apporté sa juste pierre en révélant les conditions assez sales dans lesquelles Chantal Jouanno et la Commission nationale du débat public (CNDP) ont été écartées de l’organisation du Grand Debat Macronien.
Pour ceux qui ne connaissent pas la CNDP, qui, il est vrai, ne bénéficie pas d’une notoriété assourdissante, eh bien, c’est dommage. Car pour la manière dont a été organisé le grand débat sur la politique énergétique et sa programmation (PPE), chapeau ! Ce fut un exercice de grande et belle démocratie et tous ceux qui s’intéressent au sujet tireront profit à aller voir les contributions des acteurs, les questions parfois très pointues et les opinions des citoyens concernés, les réponses des experts et des parties prenantes, les discussions qu’elles ont entrainé… Sauf que cette consultation, qui visait à déterminer la meilleure mise en œuvre de la loi de transition énergétique a débouché, comme a dû en convenir le rapporteur, sur une sévère remise en cause de la loi elle-même, et en particulier de l’absurde économiquement et écologiquement réduction du nucléaire.
Le précédent était évidemment fâcheux : le parti macroniste ne pouvait laisse la responsabilité de son grand débat à la CNDP et à sa présidente Chantal Jouanno. Sauf que quand on s’attaque à une championne de karaté, il faut quand même se méfier ! D’où le retoutr de flamme de Mediapart.
Chantal Jouanno : histoire d’une déstabilisation et gros mensonges du gouvernement - révélations de Mediapart
Au début du mois de décembre. Emmanuel Macron a alors annoncé son intention d’ouvrir un grand débat national pour tenter de désarmer la colère des gilets jaunes- et ça devenait critique ! Le 5 décembre, Chantal Jouanno, qui préside la CNDP, dont la mission est précisément d’être le garant de la neutralité et de l’impartialité de tous les débats publics organisés dans le pays, est donc approchée. Dans un premier temps, c’est Damien Cazé, conseiller au cabinet du premier ministre, qui lui demande si elle accepterait de piloter le grand débat. Mais la demande est curieusement formulée : son interlocuteur lui demande si elle accepte de le faire « à titre personnel ». Réponse de Chantal Jouanno : c’est impossible ! Si le gouvernement veut la saisir, cela ne peut être qu’ès qualités, comme présidente de la CNDP. Il faut donc que le gouvernement respecte les procédures et fasse une saisine officielle de la CNDP.
Le sous-entendu est très clair : la CNDP est régie par des règles. Et si le gouvernement veut faire appel à elle, il devra les respecter. Comme dans tous les débats organisés par la CNDP, il ne peut y avoir de « lignes rouges », c’est-à-dire de sujets interdits. La neutralité et l’impartialité des débats devront être assurées, et c’est la CNDP qui en est nécessairement le garant – et non un ministre ou un responsable politique…. Quant aux restitutions et au compte-rendu final des débats, c’est aussi la CNDP qui doit en avoir la maîtrise, de sorte qu’ils ne soient pas biaisés par quiconque…
Alors pourquoi Damien Cazé demande-t-il à Chantal Jouanno de piloter le grand débat « à titre personnel » ? Le gouvernement souhaite-t-il obtenir la caution de la présidente de la Commission, mais sans saisine officielle, c’est-à-dire en s’émancipant des procédures démocratiques de la commission ? Ce même 5 décembre, un autre indice peut le suggérer. Il transparaît du courriel que Chantal Jouanno adresse au même Damien Cazé mais aussi à Thomas Fatome, qui est le directeur adjoint de cabinet d’Édouard Philippe. Chantal Jouanno leur signale que deux ministres, Jacqueline Gourault et Muriel Pénicaud, « rencontrent demain les organisations syndicales et associations d’élus ». Et la présidente de la CNDP d’ajouter : « Elles envisagent de définir et valider avec eux la méthode et l’organisation du débat. Ceci n’est pas en cohérence avec la volonté affichée de confier à une autorité indépendante cette organisation pour en garantir la neutralité. »
Le 11 décembre, Chantal Jouanno écrit donc un nouveau courriel à Thomas Fatome et Damien Cazé, dans l’espoir d’avoir des nouvelles car l’échéance du 15 janvier, date annoncée pour le lancement du grand débat, se rapproche. « Y voyez-vous plus clair sur l’organisation du débat ? L’Élysée souhaite-t-il le piloter directement ? Si vous souhaitez l’hypothèse de la saisine de la CNDP, il faut le faire très rapidement, car nous devons activer les budgets, les équipes pour mobiliser les prestataires », leur demande-t-elle.
Dans la soirée, Damien Cazé lui apporte une drôle de réponse. Ou plutôt, il revient vers elle pour lui poser une question : « Chantal, on peut mobiliser les équipes sans saisine formelle ? Car on risque d’avoir une gouvernance un peu compliquée… » Le message, cette fois, n’est plus allusif : la formule de « gouvernance un peu compliquée » suggère que le gouvernement cherche un moyen pour ne pas effectuer de saisine de la CNDP et donc, pour échapper aux contraintes démocratiques que cela imposerait.
Le 12 décembre, Chantal Jouanno confirme donc à Matignon qu’elle ne pourra piloter le grand débat que dans le cadre d’une saisine officielle de la CNDP.
Le 13 décembre, le ton commence à monter. Une réunion a lieu ce jour-là à l’Élysée, avec une délégation de la CNDP conduite par Chantal Jouanno, la secrétaire générale adjointe de l’Élysée Anne de Bayser, le conseiller spécial de Macron Ismaël Emelien, le directeur adjoint de cabinet du premier ministre et divers autres conseillers. Un premier sujet de conflit apparaît. Ismaël Emelien veut qu’il s’agisse d’un débat fermé, avec des sujets hors débat – ce qui est contraire aux principes de la CNDP. Un second sujet de désaccord apparaît quand un conseiller évoque le nécessaire « filtrage du rapport final ». Ce qui est pour la CNDP tout aussi inacceptable car les données, dans leur intégralité, doivent pouvoir être accessibles à tous, de sorte que chacun puisse vérifier la sincérité de la restitution, à la fin du débat.
Le 14 décembre, après visiblement beaucoup d’hésitations, Édouard Philippe saisit officiellement la CNDP, mais les mots utilisés par le premier ministre prolongent les ambiguïtés des jours précédents… Dans sa lettre à Chantal Jouanno, Édouard Philippe utilise en effet ces formules : « Je souhaite que la CNDP accompagne et conseille le gouvernement dans l’organisation de ce grand débat, et que vous assuriez personnellement cette mission. » Qui donc pilotera le grand débat : la CNDP ou le gouvernement ?...
Le 18 décembre, pour en avoir le cœur net, Chantal Jouanno repart à la charge. Sachant qu’il y a eu une réunion de travail peu avant entre l’Élysée et Matignon, elle demande par courriel à Thomas Fatome, le directeur adjoint de cabinet à Matignon, pour lui demander qui fera le rapport final : la CNDP comme le veut ses procédures ou le gouvernement ? « Et ils ont arbitré sur CNDP jusqu’à la restitution ou seulement la mise en place ? », demande-t-elle à son interlocuteur. Réponse peu avant minuit : « Point non abordé. Reparlons-en demain. »
La formule a de quoi inquiéter Chantal Jouanno car le même jour, peu avant, une réunion a eu lieu, toujours à Matignon, au cours de laquelle on lui a dit que la CNDP piloterait le grand débat, mais qu’elle serait assistée de personnalités faisant office de garants. Ce que Chantal Jouanno a refusé, toujours pour la même raison : le garant, le seul, ne peut être que la CNDP, puisque c’est précisément sa raison d’être…
Panique à Matignon !... Benoît Ribadeau-Dumas, adresse un SMS à Chantal Jouanno la priant instamment de ne pas se retirer. Et le directeur adjoint de cabinet lui téléphone, lui disant en substance : « Ne fais pas cela ! Tu vas nous ruiner. On va trouver une solution… »
Face à l’insistance de ses interlocuteurs et voulant être loyale avec le gouvernement, Chantal Jouanno ne met donc pas aussitôt à exécution ce qu’elle a dit, pensant qu’une solution sera peut-être enfin trouvée.
Le 21 décembre, Chantal Jouanno sait pourtant, par l’Élysée, que le grand débat ne se déroulera pas sous le pilotage de la CNDP. L’Élysée souhaite toujours qu’elle s’implique, mais seulement à titre personnel. Par une lettre adressée ce 21 décembre à Édouard Philippe, elle lui fait donc savoir qu’elle ne peut pas se livrer à cet exercice. C’est un épisode qui était jusque-là inconnu, car on avait toujours pensé que la décision de se mettre en retrait avait été prise par Chantal Jouanno bien plus tard, le 9 janvier, dans le prolongement des polémiques sur sa rémunération. Or non : dès ce 21 décembre, Chantal Jouanno refuse la mission, telle que le gouvernement la conçoit.
Voici cette lettre qui, jusqu’à présent, n’avait donc jamais été rendue publique :
« Le cabinet du président de la République a confirmé que la CNDP n’assurera pas le pilotage opérationnel du Grand débat national, ni sa restitution, écrit Chantal Jouanno. Le gouvernement a affiché sa volonté d’être le réceptacle de ce débat, sans instance tierce. Le gouvernement est libre de ce choix. Le cabinet du président de la République m’a demandé de poursuivre à titre personnel le pilotage de l’organisation du Grand débat national, et qu’un comité soit nommé à mes côtés pour garantir que ce débat soit neutre et que sa restitution soit sincère. Après réflexion et compte tenu des échanges avec les membres de la commission, je ne peux accepter cette mission, même à titre personnel. Celle-ci n’est en effet pas détachable de l’objet même de la CNDP
Le 28 décembre, Chantal Jouanno se trouve confortée dans son attitude. Sur le site du gouvernement qui annonce le grand débat, deux phrases ont été retirées du projet initial. Un retrait lourd de sens, puisque les deux phrases disparues disaient ceci : « Le compte-rendu [du grand débat] sera réalisé par la Commission nationale du débat public » ; « C’est la Commission nationale du débat public (CNDP) qui assure la coordination opérationnelle et garantit la neutralité de l’ensemble de la démarche ». Aussitôt, Chantal Jouanno fait part au directeur de cabinet de Matignon de son inquiétude.
La peu souple Chantal Jouanno devenait gênante, il fallait la débrancher.
Le 7 janvier, La Lettre A révèle très opportunément  que la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) avait une rémunération de 14 666 euros brut par mois. La controverse s’est aussitôt enflammée. Et quand l’intéressée tente de s’expliquer, deux jours plus tard au micro de France Inter, elle est en réalité devenue inaudible… Des sources gouvernementales multiplient les attaques contre la présidente de la CNDP…
Le 8 janvier dans la soirée, Chantal Jouanno annonce donc au gouvernement qu’elle met en application ce qu’elle annonçait au premier ministre ce 21 décembre. Le 9 janvier, elle est soutenue et suivie par l’ensemble de la CNDP.
Le 25 janvier, sur LCI, Chantal Jouanno, qui fait toujours l’objet d’attaque, notamment d’Edouard Philippe, ajoute une conclusion personnelle : « la plateforme internet préparée par la CNDP « était prête, sauf qu’en fait, ils ont tout refait », dit-elle. « On n’avait pas prévu de faire une opération de communication mais un grand débat, donc on avait prévu de faire une plateforme numérique totalement ouverte, […] où tout le monde pouvait échanger sur n’importe quel sujet. » « Le grand débat est faussé », ajoute-t-elle. « Nous n’avions pas voulu que le grand débat se résume à un questionnaire sur quatre thèmes, nous avions dit [au gouvernement] : “Aujourd’hui le grand débat se limite pour vous à la possibilité de ne débattre que des quatre thèmes et de ne répondre qu’aux questions qui sont posées par le gouvernement”, ce n’est pas ça un grand débat. »
Voilà c’est clair et clairement, et courageusement dit par la CNDP : le grand débat n’est plus un grand débat, mais  une opération de communication » au profit d’Emmanuel Macron,  Une opération, qui au plus, lui permet de ne plus faire campagne sur l’Europe…
Ce n‘est pas ça un grand débat, et il est maintenant clair que dès le début, le gouvernement et la présidence n’en voulaient pas, qu’ils voulauient une campagne de communication pour redresser l’image de Macron, et qu’ils ont sciemment placé Chantal Jouanno et la CNDP dans une position impossible.
 Après, à chacun de voir ce qu’il veut faire en toute connaissance de cause…On comprend que les Français aient envie de débattre, mais moins la remontée de sa cote de popularité….

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