Hommage à la CNDP
Faut-il
ou non participer au grand débat macronien ? Il est toujours délicat de
répondre non à une offre de débat, encore que ceux qui ont participé à la
tragédie des cent fleurs (que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles
rivalisent) auraient mieux fait de s’abstenir… Tiens, à propos, la campagne des
cents fleurs se donnait pour but « la
juste solution des contradictions au sein du peuple ». Une bonne direction
pour le Grand Débat ?
En
tous cas, Mediapart a apporté sa juste pierre en révélant les conditions assez
sales dans lesquelles Chantal Jouanno et la Commission nationale du débat
public (CNDP) ont été écartées de l’organisation du Grand Debat Macronien.
Pour
ceux qui ne connaissent pas la CNDP, qui, il est vrai, ne bénéficie pas d’une
notoriété assourdissante, eh bien, c’est dommage. Car pour la manière dont a
été organisé le grand débat sur la politique énergétique et sa programmation
(PPE), chapeau ! Ce fut un exercice de grande et belle démocratie et tous
ceux qui s’intéressent au sujet tireront profit à aller voir les contributions
des acteurs, les questions parfois très pointues et les opinions des citoyens
concernés, les réponses des experts et des parties prenantes, les discussions
qu’elles ont entrainé… Sauf que cette consultation, qui visait à déterminer la
meilleure mise en œuvre de la loi de transition énergétique a débouché, comme a
dû en convenir le rapporteur, sur une sévère remise en cause de la loi
elle-même, et en particulier de l’absurde économiquement et écologiquement
réduction du nucléaire.
Le
précédent était évidemment fâcheux : le parti macroniste ne pouvait laisse
la responsabilité de son grand débat à la CNDP et à sa présidente Chantal
Jouanno. Sauf que quand on s’attaque à une championne de karaté, il faut quand
même se méfier ! D’où le retoutr de flamme de Mediapart.
Chantal Jouanno : histoire d’une déstabilisation
et gros mensonges du gouvernement - révélations de Mediapart
Au
début du mois de décembre. Emmanuel Macron a alors annoncé son intention
d’ouvrir un grand débat national pour tenter de désarmer la colère des gilets
jaunes- et ça devenait critique ! Le 5 décembre, Chantal Jouanno, qui
préside la CNDP, dont la mission est précisément d’être le garant de la
neutralité et de l’impartialité de tous les débats publics organisés dans le
pays, est donc approchée. Dans un premier temps, c’est Damien Cazé, conseiller
au cabinet du premier ministre, qui lui demande si elle accepterait de piloter
le grand débat. Mais la demande est curieusement formulée : son interlocuteur
lui demande si elle accepte de le faire « à titre personnel ». Réponse de
Chantal Jouanno : c’est impossible ! Si le gouvernement veut la saisir, cela ne
peut être qu’ès qualités, comme présidente de la CNDP. Il faut donc que le
gouvernement respecte les procédures et fasse une saisine officielle de la
CNDP.
Le
sous-entendu est très clair : la CNDP
est régie par des règles. Et si le gouvernement veut faire appel à elle, il
devra les respecter. Comme dans tous les débats organisés par la CNDP, il
ne peut y avoir de « lignes rouges », c’est-à-dire de sujets interdits. La
neutralité et l’impartialité des débats devront être assurées, et c’est la CNDP
qui en est nécessairement le garant – et non un ministre ou un responsable
politique…. Quant aux restitutions et au compte-rendu final des débats, c’est
aussi la CNDP qui doit en avoir la maîtrise, de sorte qu’ils ne soient pas
biaisés par quiconque…
Alors
pourquoi Damien Cazé demande-t-il à Chantal Jouanno de piloter le grand débat «
à titre personnel » ? Le gouvernement souhaite-t-il obtenir la caution de la
présidente de la Commission, mais sans saisine officielle, c’est-à-dire en
s’émancipant des procédures démocratiques de la commission ? Ce même 5
décembre, un autre indice peut le suggérer. Il transparaît du courriel que
Chantal Jouanno adresse au même Damien Cazé mais aussi à Thomas Fatome, qui est
le directeur adjoint de cabinet d’Édouard Philippe. Chantal Jouanno leur
signale que deux ministres, Jacqueline Gourault et Muriel Pénicaud, «
rencontrent demain les organisations syndicales et associations d’élus ». Et la
présidente de la CNDP d’ajouter : « Elles
envisagent de définir et valider avec eux la méthode et l’organisation du
débat. Ceci n’est pas en cohérence avec la volonté affichée de confier à une
autorité indépendante cette organisation pour en garantir la neutralité. »
Le
11 décembre, Chantal Jouanno écrit donc un nouveau courriel à
Thomas Fatome et Damien Cazé, dans l’espoir d’avoir des nouvelles car
l’échéance du 15 janvier, date annoncée pour le lancement du grand débat, se
rapproche. « Y voyez-vous plus clair sur l’organisation du débat ?
L’Élysée souhaite-t-il le piloter directement ? Si vous souhaitez
l’hypothèse de la saisine de la CNDP, il faut le faire très rapidement, car
nous devons activer les budgets, les équipes pour mobiliser les
prestataires », leur demande-t-elle.
Dans
la soirée, Damien Cazé lui apporte une drôle de réponse. Ou plutôt, il revient
vers elle pour lui poser une question : « Chantal, on peut
mobiliser les équipes sans saisine formelle ? Car on risque d’avoir une
gouvernance un peu compliquée… » Le message, cette fois, n’est plus
allusif : la formule de « gouvernance un peu compliquée » suggère
que le gouvernement cherche un moyen pour ne pas effectuer de saisine de la CNDP
et donc, pour échapper aux contraintes démocratiques que cela imposerait.
Le
12 décembre, Chantal Jouanno confirme donc à Matignon qu’elle ne pourra piloter le grand débat
que dans le cadre d’une saisine officielle de la CNDP.
Le
13 décembre, le ton commence à monter. Une réunion a lieu ce
jour-là à l’Élysée, avec une délégation de la CNDP conduite par Chantal
Jouanno, la secrétaire générale adjointe de l’Élysée Anne de Bayser, le
conseiller spécial de Macron Ismaël Emelien, le directeur adjoint de cabinet du
premier ministre et divers autres conseillers. Un premier sujet de conflit
apparaît. Ismaël Emelien veut qu’il s’agisse d’un débat fermé, avec des sujets
hors débat – ce qui est contraire aux principes de la CNDP. Un second sujet de
désaccord apparaît quand un conseiller évoque le nécessaire « filtrage
du rapport final ». Ce qui est pour la CNDP tout aussi inacceptable
car les données, dans leur intégralité, doivent pouvoir être accessibles à
tous, de sorte que chacun puisse vérifier la sincérité de la restitution, à la
fin du débat.
Le
14 décembre, après visiblement beaucoup d’hésitations, Édouard
Philippe saisit officiellement la CNDP, mais les mots utilisés par le premier
ministre prolongent les ambiguïtés des jours précédents… Dans sa lettre à Chantal
Jouanno, Édouard Philippe utilise en effet ces formules : « Je
souhaite que la CNDP accompagne et conseille le gouvernement dans
l’organisation de ce grand débat, et que vous assuriez personnellement cette
mission. » Qui donc pilotera le grand débat : la CNDP ou le
gouvernement ?...
Le
18 décembre, pour en avoir le cœur net, Chantal Jouanno repart à
la charge. Sachant qu’il y a eu une réunion de travail peu avant entre l’Élysée
et Matignon, elle demande par courriel à Thomas Fatome, le directeur adjoint de
cabinet à Matignon, pour lui demander qui fera le rapport final : la CNDP
comme le veut ses procédures ou le gouvernement ? « Et ils ont
arbitré sur CNDP jusqu’à la restitution ou seulement la mise en
place ? », demande-t-elle à son interlocuteur. Réponse peu avant
minuit : « Point non abordé. Reparlons-en demain. »
La
formule a de quoi inquiéter Chantal Jouanno car le même jour, peu avant, une
réunion a eu lieu, toujours à Matignon, au cours de laquelle on lui a dit que
la CNDP piloterait le grand débat, mais qu’elle serait assistée de
personnalités faisant office de garants. Ce que Chantal Jouanno a refusé,
toujours pour la même raison : le garant, le seul, ne peut être que la
CNDP, puisque c’est précisément sa raison d’être…
Panique
à Matignon !... Benoît Ribadeau-Dumas, adresse un SMS à Chantal Jouanno la
priant instamment de ne pas se retirer. Et le directeur adjoint de cabinet lui
téléphone, lui disant en substance : « Ne fais pas cela ! Tu
vas nous ruiner. On va trouver une solution… »
Face
à l’insistance de ses interlocuteurs et voulant être loyale avec le
gouvernement, Chantal Jouanno ne met donc pas aussitôt à exécution ce qu’elle a
dit, pensant qu’une solution sera peut-être enfin trouvée.
Le 21 décembre,
Chantal Jouanno sait pourtant, par
l’Élysée, que le grand débat ne se déroulera pas sous le pilotage de la CNDP.
L’Élysée souhaite toujours qu’elle s’implique, mais seulement à titre personnel.
Par une lettre adressée ce 21 décembre à Édouard Philippe, elle lui fait donc
savoir qu’elle ne peut pas se livrer à cet exercice. C’est un épisode qui était jusque-là inconnu, car on avait toujours pensé
que la décision de se mettre en retrait avait été prise par Chantal Jouanno
bien plus tard, le 9 janvier, dans le prolongement des polémiques sur sa
rémunération. Or non : dès ce 21 décembre, Chantal Jouanno refuse la
mission, telle que le gouvernement la conçoit.
Voici
cette lettre qui, jusqu’à présent, n’avait donc jamais été rendue
publique :
« Le cabinet du président
de la République a confirmé que la CNDP n’assurera pas le pilotage opérationnel
du Grand débat national, ni sa restitution, écrit Chantal
Jouanno. Le gouvernement a affiché sa volonté d’être le réceptacle de ce
débat, sans instance tierce. Le gouvernement est libre de ce choix. Le cabinet
du président de la République m’a demandé de poursuivre à titre personnel le
pilotage de l’organisation du Grand débat national, et qu’un comité soit nommé
à mes côtés pour garantir que ce débat soit neutre et que sa restitution soit
sincère. Après réflexion et compte tenu des échanges avec les membres de la
commission, je ne peux accepter cette
mission, même à titre personnel. Celle-ci n’est en effet pas détachable de
l’objet même de la CNDP
Le
28 décembre, Chantal Jouanno se trouve confortée dans son
attitude. Sur le site du gouvernement qui annonce le grand débat, deux phrases
ont été retirées du projet initial. Un retrait lourd de sens, puisque les deux
phrases disparues disaient ceci : « Le compte-rendu [du grand
débat] sera réalisé par la Commission nationale du débat public » ;
« C’est la Commission nationale du débat public (CNDP) qui assure la
coordination opérationnelle et garantit la neutralité de l’ensemble de la
démarche ». Aussitôt, Chantal Jouanno fait part au directeur de
cabinet de Matignon de son inquiétude.
La
peu souple Chantal Jouanno devenait gênante, il fallait la débrancher.
Le
7 janvier, La Lettre A révèle très opportunément que la présidente de la Commission nationale
du débat public (CNDP) avait une rémunération de 14 666 euros brut
par mois. La controverse s’est aussitôt enflammée. Et quand l’intéressée tente
de s’expliquer, deux jours plus tard au micro de France Inter, elle est en réalité devenue inaudible… Des
sources gouvernementales multiplient les attaques contre la présidente de la
CNDP…
Le
8 janvier dans la soirée, Chantal Jouanno annonce donc au gouvernement qu’elle
met en application ce qu’elle annonçait au premier ministre ce 21 décembre. Le
9 janvier, elle est soutenue et suivie par l’ensemble de la CNDP.
Le
25 janvier, sur LCI, Chantal Jouanno, qui fait toujours l’objet
d’attaque, notamment d’Edouard Philippe, ajoute une conclusion personnelle :
« la plateforme internet préparée par la CNDP « était prête, sauf
qu’en fait, ils ont tout refait », dit-elle. « On
n’avait pas prévu de faire une opération de communication mais un grand débat,
donc on avait prévu de faire une plateforme numérique totalement ouverte, […]
où tout le monde pouvait échanger sur n’importe quel sujet. » « Le
grand débat est faussé », ajoute-t-elle. « Nous n’avions pas
voulu que le grand débat se résume à un questionnaire sur quatre thèmes, nous
avions dit [au gouvernement] : “Aujourd’hui le grand débat se limite pour
vous à la possibilité de ne débattre que des quatre thèmes et de ne répondre
qu’aux questions qui sont posées par le gouvernement”, ce n’est pas ça un grand
débat. »
Voilà
c’est clair et clairement, et courageusement dit par la CNDP : le grand débat n’est plus un grand débat,
mais une opération de communication » au profit d’Emmanuel
Macron, Une opération, qui au plus,
lui permet de ne plus faire campagne sur l’Europe…
Ce
n‘est pas ça un grand débat, et il est maintenant clair que dès le début, le
gouvernement et la présidence n’en voulaient pas, qu’ils voulauient une
campagne de communication pour redresser l’image de Macron, et qu’ils ont
sciemment placé Chantal Jouanno et la CNDP dans une position impossible.
Après, à chacun de voir ce qu’il veut faire en
toute connaissance de cause…On comprend que les Français aient envie de
débattre, mais moins la remontée de sa cote de popularité….
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