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lundi 4 novembre 2013

L’Ecole Polytechnique, la pantoufle et les députés

Deux députés, un UMP M. Cornut Gentille, et un socialiste, M Launay viennent, contre l’avis du gouvernement, de priver l’Ecole Polytechnique d’une subvention de 500.000 euros pour faire pression de façon à modifier le système de la pantoufle, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles ils doivent rembourser leurs études. Depuis les années 1970, les Polytechniciens ne sont contraints de rembourser leurs études que s’ils n’effectuent pas une année complémentaire de formation, s’ils rentrent dans le service public et le quittent avant dix ans
 
« Les sciences, dans leur dernier état »
 
A Polytechnique, selon les vœux de ses fondateurs (Monge, Laplace, Berthollet, Carnot, Prieur) et de Napoléon qui y prit un intérêt particulier, on enseignera « les sciences dans leur dernier état ». Est-ce donc pour en faire de simples militaires, de simples administrateurs destinés à construire ponts, routes et ronds-points ? Non, bien sûr. Et Napoléon traita plutôt sèchement les généraux qui se plaignaient du niveau inutile des études scientifiques et réclamaient les polytechniciens aux armées ; ses polytechniciens ne devaient pas servir de chair à canon. Le but de l’Ecole a été clairement indiqué par Gaspard Monge, défendant – déjà- l’Ecole contre des députés qui attaquent l’Ecole en ces termes : « c’est peine perdue que d’y enseigner des objets totalement inutiles, le calcul différentiel et le calcul intégral… Pour construire une fortification, cela n’est nullement nécessaire » Réponse de Monge : « Lorsqu’on a créé l’Ecole, on voulait à la vérité, préparer des officiers et des ingénieurs, mais on avait un but bien plus vaste et bien plus élevé, celui de stimuler tout d’un coup le génie français, de rappeler l‘attention vers les sciences, de ranimer l’amour de l’étude, de rendre à la France un éclat non moins solide que celui de nos armées, de tirer la nation française de la dépendance où elle a été jusqu’à présent de l’industrie étrangère » Le but de l’Ecole, dès son origine, n’a pas été l’armée ou le service de l’Etat, il a été très clairement ce que l’on appelle aujourd’hui le redressement industriel. Dès les premières générations de polytechniciens figuraient Arago, Cauchy, Gay-Lussac, Poisson et bien d’autres. Des militaires ? des fonctionnaires ? Non, mais des savants, des ingénieurs, des industriels qui ont selon le vœu de Napoléon et de Monge donné pour un temps à la France une suprématie scientifique, technique, industrielle.
 
  Pour la Patrie, la Science et la Gloire
 
C’est la devise donnée à l’Ecole par ses fondateurs. Pour la Patrie, la Nation s’y l’on préfère, mais pas nécessairement l’Etat. Et, au fait, les Elèves de l’Ecole, comme d’ailleurs tous les fonctionnaires, ne sont pas payés par l’Etat, ils sont payés par la Nation, et l’Etat dans cette affaire là n’est qu’un caissier.
Sert-on davantage la Nation aujourd’hui, en étant fonctionnaire, ou bien chercheur, directeur d’entreprise, fondateur de start-up (jeune entreprise innovante), en bataillant dans une grande entreprise ou une PME pour s’imposer sur des marchés étrangers ?
Être fonctionnaire pendant dix ans, est-ce vraiment l’idéal pour remplir les fonctions d’une Ecole vouée dès sa naissance au redressement industriel, à l’excellence scientifique, technique, managériale ?
La règle sur la pantoufle de 1970 a été instituée pour encourager les jeunes polytechniciens à se lancer dans les eaux aventurées du privé plutôt que les carrières plus paisibles de la haute fonction publique. Ce besoin aurait-il disparu ?
Et que préfère-t-on ? Les Ecoles du travail ou celles de la connivence, des relations ? Celles de la compétence ou celles de la soumission aux idéologies du moment ? Celles du courage et de l’intelligence, ou celles de la duplicité et de la servilité ?
Et s’il l’on parle de pantouflage des expériences trop souvent répétées n’ont-elles pas montré la nocivité du pantouflage de fonctionnaires récompensés pour leur docilité à l’égard du pouvoir politique par des postes dans de grandes entreprises ? Ne devrait-on pas au contraire ne nommer dans les postes principaux de la haute fonction publique que des femmes ou des hommes ayant eu une expérience significative du privé – ou du moins, en imposer un quota significatif ?
Oui, c’est la tradition méritocratique de la Révolution, de l’Empire et de la République, de ce qu’il en reste malgré la dureté des temps : en France, les meilleures écoles payent leurs élèves sélectionnés après un dur concours et beaucoup de travail et d’engagement, les moins bonnes sont gratuites, les encore moins bonnes sont payantes. Nos collègues étrangers s’en étonnent d’abord ; lorsqu’on leur explique, ils admirent.
Alors doit-on forcer les Polytechniciens thésards, industriels, boursiers, créateurs d’entreprise, qui prennent le risque du privé à rembourser leurs études ? Polytechnique , c’est l’école par excellence, l’école par vocation, l’école historique du redressement industriel. Et cette manœuvre de Cornut Gentille, neveu de son oncle ministre, est celle, au choix multiple, de l’ignorance, de la bêtise, de l’envie, de la démagogie, de la médiocrité, du sabotage.
 
 

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