On se
souvient des grands discours d’Emmanuel Macron sur la défense européenne, à l’occasion
notamment de la commémoration du 11
novembre 1918 « On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir
une vraie armée européenne […] Il faut nous protéger à l’égard de la Chine, de
la Russie et même des États-Unis. » ; Et de leur réception plutôt froide :
pour l’Allemagne et l’Espagne, « l’Otan reste pour l’Europe la première
instance en matière de défense » ; pour la Suède et le Danemark…pas
question d’Otan ni de défense européenne etc
Eh bien, même simplement dans le domaine du matériel militaire et de sa
conception en commun, ça s’arrange pas du tout….
Pour
relancer l’Europe de la défense, la France a choisi un partenaire privilégié,
l’Allemagne, plutôt que le
Royaume-Uni. Paris et Berlin lancent des programmes militaires structurants
autant pour les armées que pour les industriels des deux pays : l’avion de
combat successeur du Rafale et de l’Eurofighter, ainsi que le char lourd qui va
remplacer les blindés Leclerc et Leopard.
Au vu
des engagements financiers nécessaires, ces programmes ne pourront être viables
sans l’exportation. C’est là que le bât blesse. Dès lors qu’un système d’armes
contient un composant fabriqué sur son territoire, un pays peut s’opposer à son
exportation. Et force est de constater que les positions des deux pays
divergent. L’Allemagne se montre beaucoup plus restrictive, en particulier vers
certaines destinations comme l’Arabie saoudite et l’Égypte, depuis le conflit
au Yémen.
Les
industriels français en font les frais.
Comme l’a révélé le journal "La Tribune", Berlin bloque la vente des missiles air-air de MBDA, équipés d’un
système de propulsion allemand. Selon le récent rapport de la commission des
Affaires étrangères du Parlement, l’Allemagne a aussi interdit des exportations
d’équipements français qui comportaient des composants allemands, y compris de
nature "civile", comme des éléments de boîte de vitesses pour les
blindés.
Et ceci au mépris de l’accord dit Debré-Schmidt signé en 1972, qui
stipule qu’"aucun des deux gouvernements n’empêchera l’autre
d’exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d’armement
issus de développement ou de production menés en coopération".
Nicolas Industrie au bord de la faillite
Nicolas Industrie est au bord de la faillite. La PME située dans l'Yonne
ne peut honorer une commande destinée à l'Arabie Saoudite en raison de la
décision de l'Allemagne de ne plus exporter vers ce pays du Golfe. "Rien
n'est trop grand ou trop difficile pour Nicolas Industrie" : une devise
qui s'est heurtée durement à la realpolitik de l'Allemagne. Cette entreprise spécialisée dans la
fabrication de véhicules de transport lourd capables de tracter jusqu'à 15.000
tonnes dont les booster d'Ariane 5, est aujourd'hui au bord du gouffre. La
direction de cette PME, située dans l'Yonne, a dû lancer un plan de
restructuration supprimant 72 emplois sur 113. La production va s'arrêter et
sera transférée vers l'Allemagne et l'Inde.
La double peine pour les employés de cette PME,
qui ne peuvent honorer une commande vers l'Arabie Saoudite et dont la production
est parallèlement délocalisée... en partie en Allemagne.
En effet ; et c’est très embêtant aussi pour l’indépendance de la France
qui grâce à ces manœuvres allemandes perd des capacités industrielles
critiques.
Comment en est-elle arrivée là ? Selon des sources concordantes, les
graves difficultés de cette PME, dont l'actionnaire allemand est TII Group
(Transporter Industry International), sont
emblématiques des conséquences de la politique de blocage par
l'Allemagne des exportations de matériels militaires vers l'Arabie Saoudite.
Nicolas Industrie avait décroché en tant que sous-traitant de Rheinmetall, un
important marché de 120 porteurs de chars destinés au transport logistique de
l'armée de terre saoudienne. Aujourd'hui, la PME française ne peut plus livrer
ses matériels…
Les « difficultés logistiques » d’Arcuus
Arquus (ex-Renault Trucks Defense) rencontre des difficultés à
l'exportation en raison des réticences de l'Allemagne à autoriser des
exportations de composants civils en vue d'être militarisés dans certains pays
: Arabie Saoudite, Egypte mais aussi Indonésie et Inde.
Comme d'autres industriels européens à l'image de MBDA, Arquus
(ex-Renault Trucks Defense) rencontre quelques difficultés à l'exportation en
raison des réticences de l'Allemagne à autoriser des exportations de composants
civils en vue d'être militarisés dans certains pays. Arquus achète "des
composants relativement difficiles à trouver ailleurs qu'en Allemagne", a
expliqué calmement mardi son PDG, Emmanuel Levacher, lors de la présentation
des résultats de 2018 du constructeur de blindés légers. Cela va de joints à
des boites de vitesses automatiques ou encore des moteurs civils. "Un
simple joint a bloqué" des affaires, a-t-il souligné. Et selon Emmanuel
Levacher, cette liste s'est même allongée au-delà de l'Arabie Saoudite et de
l'Egypte. Les autorités allemandes ont rajouté l'Indonésie et l'Inde, a-t-il
précisé
Les autorités allemandes sembleraient avoir adopté une tactique, qui
vise à décourager les demandes de licences d'exportation plutôt que de les
interdire formellement. Le patron d'Arquus a d'ailleurs précisé qu'il n'y avait
pas d'interdiction mais les autorités allemandes avaient des "délais
d'instruction extrêmement longs" avant d'accorder ou pas leur
autorisation. Résultat, a-t-il affirmé, "nos fournisseurs
s'autocensurent" et finissent par ne plus adresser à l'administration
allemande de demandes qui s'éternisent sur les bureaux. "Ça bloque",
regrette-t-il. Ces "gros sujets sont évoqués avec les autorités
françaises", a reconnu Emmanuel Levacher, qui va toutefois finir de livrer
fin 2019, début 2020 ses blindés (VAB Mark 3 et Sherpa) à l'Arabie Saoudite
dans le cadre du contrat Donas reconfiguré (ODAS).
Comment contourner la mauvaise foi des autorités allemandes? "On
trouve des parades, on développe des solutions", a expliqué le PDG
d'Arquus, qui a rappelé que cela avait un coût. Arquus cherche notamment de
nouvelles sources d'approvisionnement autres qu'en Allemagne. Ainsi, le
constructeur de blindés achète désormais des moteurs civils de Caterpillar aux
Etats-Unis pour les militariser en vue de les intégrer aux célèbres blindés VAB
Mark 3. Mais certains composants sont difficiles à trouver en dehors de
l'Allemagne comme les boites de vitesses automatiques. Seuls l'allemand ZF et
l'américain Allison en produisent pour Arquus. A plus long terme, Emmanuel
Levacher compte sur les nouvelles technologies (moteurs électriques...)
"pour sortir de ce cercle vicieux".
Le gouvernement
français commence à s’énerver…sans aucun effet
Inévitablement, ces problèmes export entre la France
et l'Allemagne sont d'autant plus cruciaux que Berlin et Paris sont en train de
lancer en coopération deux des plus grands programmes européens : le système de
combat aérien du futur (SCAF) et le char du futur (Main Ground Combat System).
Les deux pays doivent absolument clarifier ce dossier qui est déjà explosif.
Interrogées jeudi par La Tribune lors
de leur visite de l'usine de Safran à Gennevilliers, la ministre des Armées
Florence Parly a expliqué que ce dossier était évoqué entre la France et l'Allemagne :
« C'est un sujet évidemment dont on parle
énormément puisque tout le monde sait que ce n'est pas possible de s'engager
dans des programmes aussi importants et ambitieux si c'est pour la seule
satisfaction de nos armées nationales, a convenu Florence Parly. Donc, on doit,
d'entrée de jeu, intégrer la nécessité de pouvoir exporter ces équipements.
Nous avons naturellement ces échanges et nous allons nécessairement trouver des
solutions dont nous avons besoin »
Son homologue allemande, Ursula von der Leyen, n'a pas
souhaité s'exprimer…
Bruno
Le Maire : « Il ne sert à rien
de produire des armes par le biais d'une coopération accrue entre la France et
l'Allemagne si nous ne sommes pas en mesure de les exporter… Si l'on veut
être concurrentiel et efficace, il faut que nous puissions exporter dans des
pays hors de l'Europe » (Interview Welt am Sonntag) .
Pour Bruno Le Maire, la France dispose déjà de règles
strictes encadrant ses exportations. "Notre espoir est de parvenir à un accord avec l'Allemagne sur ce
point crucial", a-t-il expliqué, à l'heure où Paris et Berlin
œuvrent à l'élaboration d'une doctrine commune en matière d'exportation
d'armements.
En janvier, la chancelière allemande Angela Merkel
avait estimé au côté d'Emmanuel Macron à Aix-La-Chapelle, que la définition
d'une doctrine commune était nécessaire mais supposait une évolution de la
culture française en la matière…
Et voilà comment la coopération franco-allemande en
matière de défense est en train de détruire notre industrie d’armement,
précieux héritage de nos prédécesseurs, indispensable à l’indépendance nationale
et au rôle international de la France, à notre sécurité, et l’une de nos
grandes industries exportatrices.
Saint Brexit, rendez-nous les Anglais…
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