Intérêt
de la cogénération nucléaire pour le chauffage
En France, le chauffage des bâtiments
représente 22% des dégagements de gaz à effets de serre, derrière l’industrie
(22%) et les Transports (26%) ; encore sans doute une partie de la
consommation industrielle est-elle aussi en fait liée à une consommation de
chaleur. Le chauffage représente donc une partie très important des émissions de
gaz à effet de serre (surtout CO2).
Comment diminuer ces émissions ? On peut
passer davantage au chauffage électrique, qui peut constituer une bonne
solution pour l’habitat individuel. (cf. notamment l’action de Brice Lalonde, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/09/transition-energetique-et-grandes.html)
Mais on peut aussi récupérer la chaleur
générée dans les centrales électriques pour faire tourner les turbines et l’utiliser
directement, ce qui évite une double conversion ; c’est la cogénération
production simultanée d'électricité et de chaleur utile qui valorise une
énergie généralement rejetée dans l'environnement, comme la chaleur. Une
centrale, quelle que soit son combustible n’utilise que de 30 à 40 % de la
chaleur générée (les centrales à cycles dits combinés, plus récentes et
sophistiquées montent typiquement à 60%.
Cette
cogénération peut être faite à partir du fuel, du gaz ou…mieux encore du
nucléaire ; mieux encore parce que dans ce cas, l’électricité ou la
chaleur produites sont davantage décarbonées. C’est la cogénération nucléaire.
Actualités
de la cogénération nucléaire
En
Chine : Bienvenue à Haiyang : « la chaleur propre »
Mars 2019 : La Chine a lancé son premier
système commercial de cogénération nucléaire, en utilisant deux réacteurs
AP1000 nouvellement opérationnels à la centrale nucléaire de Haiyang pour
chauffer 700 000 mètres carrés de logements.
Dans le cadre de la première étape, le projet fournit de la chaleur au
dortoir des employés de la centrale nucléaire et à certaines zones résidentielles
de Haiyang, une ville côtière de la province du Shandong, dans l'est de la
Chine, qui compte environ 658 000 habitants. Aucun calendrier n'est fourni,
mais SDNPC dit une étape ultérieure impliquera des modifications aux unités 1
et 2 pour augmenter la capacité de chauffage à 30 millions de mètres carrés.
Selon l’AIEA, le projet Haiyang est important
pour deux raisons : il tire parti de l'énergie
des réacteurs de troisième génération nouvellement construits, certains des
premiers AP1000 achevés à ce jour; et son
succès servira de modèle pour la diversification de l'énergie nucléaire et une
expansion de la chaleur « propre » en Chine, qui a 45,6 GW de capacité
nucléaire installée et a un autre 11 GW en construction.
En
Russie : Bienvenue au nouveau VVER-1200 de Saint-Petersbourg
À Saint-Pétersbourg, la cogénération
nucléaire (bas-carbone) est une réalité. Le dernier réacteur de la centrale de
Saint-Petersbourg (entré en service en 2018) a été connecté au réseau de
chaleur industrielle de la ville.
Cette centrale devient ainsi une source de
chaleur de base pour l'arrondissement de Sosnovoborskiy. Le coût net de la
chaleur produite à la centrale nucléaire est bien inférieur au coût net de la
source de chaleur produite dans les chaudières fonctionnant au combustible
organique. En outre, l'utilisation de la chaleur des centrales nucléaires
empêche les émissions de dioxyde de carbone et réduit son impact sur l'environnement.
La production thermique du nouveau bloc
d'alimentation VVER-1200 est de 3 200 mégawatts ou 250 Gcal/h, ce qui est à peu
près suffisant pour fournir de la chaleur au parc industriel et à tout Sosnovy
Bor, a expliqué Andrey Graf, directeur adjoint de la salle des turbines de
l'exploitation de la centrale nucléaire de Leningrad « À l'heure
actuelle, nous n'utilisons qu'un tiers de la capacité de l'équipement, et il
répond à plus de 60 % de la demande de chaleur de la chaufferie.
La
cogénération nucléaire, ça marche !
La cogénération nucléaire semble donc connaitre
un regain d’intérêt et est appliquée par deux puissances majeures du nucléaire
civil dans certaines de leurs
installations les plus modernes. Mais en fait l’idée et même sa réalisation ne
sont pas récentes.
Ainsi, l’AIEA rappelle que, au total, les
projets de cogénération nucléaire dans le monde ont accumulé à ce jour près de 750 années d'exploitation d'expérience,
ce qui se compare à 17 000 années d'expérience dans le nucléaire civil. Parmi
les réacteurs qui fournissent aujourd'hui le chauffage urbain, la production d'énergie
thermique varie de 5 MW.h à 240 MW.h. Environ 43 réacteurs nucléaires dans le monde produisent du chauffage urbain,
la plupart en Europe de l'Est et en Russie, environ 17, au Japon, au Kazakhstan et aux
États-Unis. Le dessalement de l’eau et
des applications industrielles non électriques ont été réalisées dans sept
réacteurs au Canada, en Allemagne, en Inde et en Suisse.
La
cogénération nucléaire : et en France ? Et si on testait le chauffage
nucléaire ?
Le développement de la cogénération nucléaire
en France a fait l’objet d’un débat assez vif entre EDF et le CEA ( au temps où
le CEA avait encore pour mission de s’occuper d’énergie atomique), débat dont a
rendu compte Le Monde dans sa section
Planète en 2013 (au temps où celle-ci n‘avait pas encore trustée par Stéphane
Foucart et l’écologie bigot : un remarquable article de Pierre Le Hir, Et
si on testait le chauffage nucléaire
Extraits :
“L'idée d’utiliser l'énergie nucléaire pour
le chauffage est apparue en même temps que son utilisation électrogène. La
centrale nucléaire d'Ågesta, dans la banlieue de Stockholm, a fourni
électricité et chaleur à la capitale entre 1964 et 1974. En Allemagne de l’Est,
la centrale nucléaire de Greifswald ouverte en 1974, était également connectée
au réseau de chaleur local, mais elle dut fermer après la réunification en 1990
car elle ne correspondait pas aux standards de sûreté occidentaux. D'autres
exemples existent.
« Sur
les 432 réacteurs qui sont en service dans le monde, 74 fonctionnent déjà selon
ce principe, fournissant en chaleur des villes voisines. La plupart se trouvent
en Europe de l'Est, c'est-à-dire dans des pays froids : Russie, Ukraine,
Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie ou République tchèque. Mais il en existe
aussi en Suisse, à Beznau. Et, au Japon et en Inde, dans ce cas pour alimenter
des usines de dessalement d'eau de mer. »
« Si beaucoup de ces installations sont
anciennes, de nouveaux projets sont à l'étude, en Finlande, en Suède ou en
Chine, pour le chauffage urbain, et dans les pays du Maghreb, pour le
dessalement.
En France, la greffe n'a jamais pris. Les
eaux tièdes (à 40°C ou 45°C) rejetées par les centrales du Bugey (Ain), de
Chinon (Indre-et-Loire), de Cruas (Ardèche), de Dampierre-en-Burly (Loiret) ou
de Saint-Laurent (Loir-et-Cher) sont certes mises à profit par des
horticulteurs. Celles de Golfech (Tarn-et-Garonne) alimentent le circuit de
chauffage de la piscine municipale, d'une salle polyvalente, d'un groupe
scolaire et d'une résidence pour personnes âgées.
Celles de Civaux (Vienne) livrent des
calories à une maison de retraite, une salle omnisports et un parc zoologique
de crocodiles. Et celles de Gravelines (Nord), qui tempèrent une ferme
aquacole, seront acheminées vers le futur terminal méthanier de Dunkerque, pour
réchauffer le gaz naturel liquéfié afin de le regazéifier. Mais il ne s'agit
pas là à proprement parler de cogénération par un système spécialement voué à
la production de chaleur. »
Le CEA se montrait alors enthousiaste : « Le
rendement d'une centrale nucléaire est d'environ 30 % , ce qui signifie que
près de 70 % de l'énergie issue de la fission de l'uranium est perdue en
chaleur dans les tours de refroidissement, les fleuves ou dans la mer. Un
rapide calcul montre que si l'on parvenait à récupérer la totalité de la
chaleur des réacteurs nucléaires grâce à la cogénération, 14 à 16 réacteurs suffiraient pour chauffer la France entière sans plus
aucune consommation liée au chauffage (électricité, fioul, gaz, etc.)
« La faisabilité technique de la cogénération
nucléaire est établie », assure Henri Safa. Les performances thermiques des
canalisations permettent de « transporter de l'eau chaude sur une distance de
100 kilomètres avec moins de 2 % de perte de chaleur ».
Si bien qu'en développant les réseaux urbains
de chaleur – ils ne couvrent que 6 % des besoins nationaux en chauffage et eau
chaude sanitaire, mais sont appelés à s'étendre –, « la cogénération pourrait,
de façon réaliste, vite subvenir à la moitié de la consommation de la France en
chauffage ». Il y faudrait, chiffre-t-il, un investissement de l'ordre de 20
milliards d'euros.
Mais le gain réalisé sur les achats
d'hydrocarbures qui alimentent aujourd'hui les réseaux de chaleur serait
d'environ 10 milliards d'euros par an. Ce qui à terme, procurerait aux
utilisateurs un chauffage « à très bas prix », tout en contribuant à « la
décarbonisation de l'économie ».
En priorité, le CEA suggère de commencer par
les agglomérations déjà dotées de réseaux de chaleur collectifs, comme Paris et
sa petite couronne, qui pourraient être desservies par la centrale nucléaire de
Nogent-sur-Seine (Aube), distante de 110 kilomètres.
Il a aussi envisagé d'autres raccordements
entre une métropole régionale et une centrale : Lyon-Bugey, Lille-Gravelines ou
Bordeaux-Blayais. Et, en Rhône-Alpes, il a mené une étude détaillée sur le
chauffage de la ville de Montélimar (Drôme) avec les quatre réacteurs de Cruas.
Plus généralement, la cogénération est l'une
des pistes mises en avant, lors du débat national sur la transition
énergétique, par l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour
l'énergie (Ancre), qui regroupe notamment le CEA, le CNRS, la Conférence des
présidents d'université et l'organisme public de recherche IFP Energies
nouvelles. »
Oui, mais EDF se montrait alors moins
enthousiaste, avec de bonnes raison :
« Nos
centrales ont été conçues pour optimiser la production d'électricité, qui est
notre cœur de métier », explique Dominique Minière, directeur délégué de la
production et de l'ingénierie chez le géant français de l'énergie.
« Développer la cogénération à partir des centrales existantes nécessite des études approfondies . Tant d'un point de vue technique – cela conduirait à installer des systèmes de soutirage de vapeur d'eau, qui réduiraient le rendement de nos installations, et il faudrait obtenir des autorisations de l'Autorité de sûreté nucléaire – que d'un point de vue économique, la rentabilité n'étant pas assurée. » .
Toutefois, indique-t-il, l'option de la cogénération reste ouverte, « en priorité sur de futures centrales qui seraient conçues avec cette double finalité », et « dans la mesure où il y aurait une volonté commune de tous les acteurs, compagnies de chauffage, élus et usagers ».
Ajoutons que la cogénération
ainsi conçue n'apporte un gain réel en termes d'économie d'énergie et de réduction
des gaz à effet de serre qu'à la condition de fonctionner de façon aussi
constante que possible, en maintenant un équilibre optimal entre production de
chaleur et production d'électricité, car les équipements de cogénération ne
permettent généralement pas la modulation d’une production par rapport à
l’autre- et il est difficile de gérer en même temps les demandes d’électricité
et de chaleur. Pour diminuer les pertes thermiques, il faut poser des canalisations isolées et
enterrées (plutôt qu'à l'air libre en raison de contraintes environnementales),
ce qui engendre des coûts relativement importants (de l'ordre de 1 M€/km). Il
faut d'autre part gérer l'indisponibilité des réacteurs (notamment programmée
pour le chargement de combustible ou pour la maintenance) Il faut aussi gérer
les différences de températures entre l’eau des installations existantes et
celles récupérée des centrales. La cogénération alimentant un réseau de
chauffage urbain souffre de pertes de transport importantes, et surtout de
pertes de rendement dues aux fluctuations des besoins de chauffage causées par
les variations de température ; au total, cette catégorie de cogénération n'a
qu'un rendement à peine supérieur à celui d'une centrale classique, et même
parfois inférieur à celui d'un CCG (cycle combiné gaz). Sans compter, selon les
situations individuelles, d’autres dispositifs comme les pompes à chaleur.
En fait la cogénération
nucléaire pour le chauffage urbain, souffre de nombreux inconvénients techniques
et économiques, même quelques exemples particuliers se sont développés. Cela
explique que la directive 2004/8/CE19 du Parlement européen et du Conseil du 11
février 2004 concernant la promotion de la cogénération sur la base de la
demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l'énergie, et l'envolée du
coût des énergies fossiles ait été un échec, un de plus.
Dans le domaine à
strictement parler du chauffage, la cogénération nucléaire est
utilisée en France pour des applications variées mais assez anecdotiques comme le
chauffage de piscines municipales, d’équipements scolaires, sportifs et
municipaux ou encore une réserve de crocodiles.
En revanche, la cogénération nucléaire
pourrait être extrêmement intéressante
pour alimenter des installations industrielles gourmandes en chaleurs à
proximité des centrales (c’est d’ailleurs ce que fait la centrale de Saint
Petersbourg). Il y aurait là matière à un beau programme de
réindustrialisation, d’équipement du territoire et de lutte contre le
réchauffement climatique, le tout en même temps.
Alors est-ce à dire que le chauffage
nucléaire urbain n’a pas grand avenir. Eh bien non, justement ! Sans doute
pas par la cogénération, en effet, mais par de nouveaux types de réacteurs
nucléaires conçus pour cet usage, les SMR (small modular reactors) Suite au
prochain blog.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Commentaires
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.