Goldmann-Sachs, intégrité financière, intégrité scientifique, gosplan et business plan
Extraits de la lettre de démission du directeur exécutif de Goldman Sachs, responsable des produits dérivés pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique :
« Aujourd’hui, c’est mon dernier jour chez Goldman Sachs. Après presque 12 ans passés dans l’entreprise – d’abord comme stagiaire, l’été, tout en étudiant à Stanford, puis à New York pendant 10 ans, et maintenant à Londres – je crois que j’y ai travaillé assez longtemps pour pouvoir expliquer sa culture d’entreprise, parler de ses employés et de son identité. Et, pour être honnête, je peux dire que l’environnement de travail y est désormais toxique et destructeur comme jamais auparavant…
Cela pourrait sembler surprenant à un public sceptique, mais la culture d’entreprise a toujours été une part essentielle de la réussite de Goldman Sachs. Travail en équipe, intégrité, humilité, et intérêt du client érigé en principe. La culture d’entreprise était l’ingrédient secret qui a fait de cette entreprise un haut lieu de la finance mondiale et nous a permis de gagner et conserver la confiance de nos clients durant 143 ans. Il ne s’agissait pas seulement de gagner de l’argent, ce qui ne suffirait pas à maintenir pérenne une entreprise si longtemps. Cela avait à voir avec un sentiment de fierté et de loyauté envers l’entreprise. Je suis triste, lorsque je regarde autour de moi aujourd’hui, de ne voir presque plus trace de cette culture…
Comment en sommes-nous arrivés là ? La firme a changé la façon dont elle concevait le leadership. Auparavant, le leadership c’était donner des idées, donner l’exemple et prendre les bonnes décisions….
Désormais, quelles sont les trois façons de faire pour devenir rapidement un leader? Il faut promouvoir les « orientations » de Goldman Sachs, autrement dit, pousser ses clients à acheter des actions ou d’autres produits financiers dont nous essayons de nous débarrasser, parce qu’ils n’ont qu’un faible potentiel de rendement. Convaincre ses clients – certains intelligents, d’autres moins – de négocier en Bourse ce qui rapportera le plus de profits à Goldman Sachs… Se trouver un poste où votre travail consiste à vendre un produit opaque, non liquide ayant un acronyme composé de trois initiales.
Aujourd’hui, beaucoup de ces directeurs n’adhèrent plus du tout à la culture Goldman Sachs. J’assiste à des réunions de vente de dérivés où pas une seule minute n’est consacrée à rechercher comment nous pouvons aider nos clients. Il s’agit essentiellement de trouver comment on peut leur soutirer plus d’argent…
Ça me rend malade de voir comment on parle, sans pitié, de « gruger » les clients. Au cours des 12 derniers mois, j’ai vu cinq directeurs généraux différents, quelques fois même dans des emails internes, qualifier leurs propres clients de «muppets» (guignols)…
Ce qui me stupéfie, c’est que la haute direction passe outre une vérité fondamentale : si les clients ne vous font pas confiance, ils finiront par cesser de faire des affaires avec vous…
Ces jours-ci, la question la plus fréquemment posée par les analystes juniors sur les dérivés est : “Combien d’argent nous sommes-nous fait sur le dos de ce client?” Cela me dérange à chaque fois que je l’entends, car c’est une réflexion qui émane des comportements observés chez leurs dirigeants et qui modèle la façon dont ces analystes juniors vont se comporter. Maintenant, projetez-vous dans dix ans : vous n’avez pas besoin d’être un génie pour comprendre que l’analyste junior, tranquillement assis dans un coin de la salle, qui entend parler de « guignols », d’«arracher les yeux» et « faire payer » ne va pas exactement se transformer en un citoyen modèle… »
Intégrité financière, intégrité scientifique, gosplan et business plan
Cette lettre a eu un certain retentissement, il n’est pas si commun de voir un important dirigeant financier se réclamer d’un comportent éthique, intègre, et d’en tirer des conséquences courageuses. Mais il y a encore peut-être encore ; c’est que beaucoup, en dehors même de la sphère financière, constatent que leur « environnement de travail est désormais toxique et destructeur comme jamais auparavant », tant la recherche de profits à courts termes a partout remplacé le souci de la pérennité des entreprises et des communautés humaines. Il n’ y pas que les financiers dont le rapport à l’intégrité devient problématique. Les problèmes d’intégrité scientifique deviennent préoccupants, plagiats, coups de pouces donnés aux résultats, ignorance ou dissimulation de données négatives etc... Le « publish or perish » en était déjà partiellement responsable, son remplacement par « lever de l’argent ou mourir de faim » n’arrange rien. Dans les start-up, les fameux business plan misent systématiquement sur les hypothèses les plus favorables et la reproduction de rares miracles…sauf que la caractéristique du miracle est sa rareté. Les difficultés, le coût, le caractère aléatoire des recherches sont systématiquement minorés. Dans les grandes entreprises pharmaceutiques, les promesses réitérées de croissance à deux chiffres (mirobolantes, compte-tenu du contexte économique et de la surveillance des dépenses de santé par les Etats) se sont traduits par des fusions sans intérêt stratégique, et par la décroissance des dépenses de recherche, donc le sacrifice de l‘innovation et du futur.
On peut se demander si nous n’avons pas remplacé feu le gosplan soviétique par les business plans, tous deux voués aux promesses mirobolantes dont le but est davantage de faire rêver que d’être transcrites dans les faits. Les « pays du grand mensonge », communistes ou capitalistes, ne sont pas des régions très favorables à l’innovation, au développement économique, au progrès scientifique, technique, social, l’histoire l’a largement démontré.