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mardi 26 juin 2018

Révolte des cadres (2) : Suicides à France Telecom, l’ancienne direction en procès pour harcèlement moral


J’avais écrit le 9 mai un blog intitulé : Les cadres à la SNCF et ailleurs- malaise et colère- vers la révolte dans lequel je me faisais l’écho de la colère, l’incompréhension et le refus des cadres devant une orientation rompant radicalement avec le service public, et les mettant en cause avec une campagne de mensonges systématiques portant sur la dette de la SNCF et le coût du statut. La réaction de la CFE-CGC, centrale pourtant jusqu’ici assez peu revendicatrice me semblait assez emblématique de ce qui s’annonce : la révolte des cadres et leur rupture avec les orientations ultra libérales et financières des entreprises. Cette révolte des cadres est je le crains, une rubrique qui va devenir régulière. Elle aurait du d’ailleurs subvenir bien plus tôt, comme le rappelle l’affaire des suicides de France Telecom.

Enfin ! Sept cadres seront jugés, dont l’ancien patron Didier Lombard, pour "harcèlement moral".

Il s'agit de la première affaire de harcèlement moral institutionnalisé qu'aura à trancher un tribunal, neuf ans après les premières plaintes. Rappelons les faits : en 2008 et 2009, l'entreprise avait connu une vague de suicides – 35 reconnus par les syndicats et la direction. Dans ses réquisitions, le parquet reproche à France Télécom d'avoir mis en place dès 2007 par des "agissements répétés" une politique d'entreprise qui a eu pour effet de "déstabiliser" les employés et de "créer un climat professionnel anxiogène", selon une source proche de l'enquête. Trente-neuf victimes sont notamment citées: dix-neuf se sont suicidé, douze ont tenté de le faire, et 8 salariés ont subi un épisode de dépression ou ont été en arrêt de travail.

Ces réquisitions sont particulièrement sévères pour Didier Lombard considéré comme « le principal responsable de la mise sous pression de l’entreprise.. ;il est celui qui a pris l’engagement devant les milieux financiers de faire baisser la masse salariale de l’entreprise pour dégager7 milliards de cash-flow. » Devant ses cadres, en 2006, il annonce que d’ici à trois ans 22000 salariés devront avoir quitté l’entreprise et 14000 devront avoir changé de poste, soit une personne sur trois. Le ton est violent « Il faut qu’on sorte de la,position mère poule. Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé. En 2007, je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte ».

Le résultat, c’est le « crash program » (en anglais, ça fait moderne et bienveillant ?) du DRH Olivier Barberot, également renvoyé devant le tribunal. La rémunération des DRH a été indexée sur le nombre de départs qu’ils obtenaient, les cadres dirigeants ont été formés à « brusquer pour provoquer une réflexion, à supprimer le poste pour faire bouger ». Les plus anciens furent spécifiquement ciblés, aussi les pères ou mères de famille à qui on proposait un poste à 200 km de chez eux pour qu’ils le refusent. Les syndicats ont systématiquement été écartés. « les dirigeants ont délibérément fait échouer les négociations avec les organisations syndicales et imposé une décision unilatérale ». Face aux alertes volontairement ignorées et à une situation devenue intenable, les médecins du travail ont démissionné. Les objectifs de réduction des effectifs étaient devenus une fin en soi, quels que soient les moyens pour y parvenir: incitations répétées au départ, mobilités forcées, surcharge ou absence de travail, réorganisations tout azimuts... Des tableaux "circulaient parmi les cadres": "on a fait tant de départs, il en reste tant à faire", avait résumé un ex-cadre informatique dans le Nord de la France.

Sébastien Crozier syndicaliste CFE-CGC chez Orange se rappelle de la méthode de Didier Lombard et de sa direction. "Il changeaient de force les postes, les changeaient de géographie, interdisaient aux managers d'occuper un poste pendant plus de trois ans pour briser les liens sociaux entre le management et les équipes qu'ils conduisaient pour forcer les gens à partir en retraite prématurément"
Didier Lombard avait finalement dû quitter la direction opérationnelle du groupe en mars 2010, fragilisé par le scandale et une "énorme bourde", de son propre aveu, lorsqu'il avait évoqué "une mode du suicide".

Harcèlement moral ou homicide involontaire ?

Donc, au côté de Didier Lombard, six autres dirigeants et cadres ( dont son n°2, Louis Pierre Wenes, son DRH, Olivier Barberot) sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris.

C’est une première et espère-t-on ce sera un avertissement utile s’il aboutit à une condamnation de prison ferme. Merci aux syndicats (Sud, CGT, FO, CFE-CGC) qui ont mené ensemble ce rude long, trop long,  et désespérant combat ! Avec raison, ils  soulignent d’ailleurs que c’était bien le moins que la justice puisse faire et qu’une condamnation pour homicide involontaire aurait été justifiée.

C’est le sens de la réaction de la CFE-CGC. « Il est indispensable que les magistrats instructeurs en charge du dossier tirent toutes les conséquences des éléments figurant dans la procédure et décident de renvoyer les personnes physiques et morale mises en examen devant la juridiction correctionnelle des chefs combinés d'homicide involontaire, mise en danger de la vie d'autrui et harcèlement moral…. Les pièces de la procédure pénale ne permettent pourtant pas de se limiter à la seule qualification de harcèlement moral, terriblement réductrice, alors que la démonstration est clairement faite d'un mépris délibéré qui a mis en danger la vie des personnels aux seules fins de respecter des objectifs de compression salariale et d'augmentation corrélative des bénéfices destinés à satisfaire les actionnaires, dont l'État". La CFE-CGC espère être entendue pour que de tels drames "ne se reproduisent plus dans une entreprise française",

Espérons en effet que l’issue du procès pour M. Lombard et ses principaux collaborateurs sera suffisamment lourde compte-tenu de la gravité des faits et dissuasive pour éviter que ces drames se reproduisent ailleurs ; et que nos  nouveaux managers, si bienveillants soient-ils, retrouvent le sens de ce qui est permis et de ce qui est indigne.

Autre remarque : sous la nouvelle direction de M. Hommeril la CFE-CGC se montre nettement plus revendicative ; il semble qu’elle ait pris le juste mesure de la révolte des cadres. Et l’affaire Orange appelle d’autres commentaires : quid d’un droit d’opposition de conscience, que la CFE-CGC avait plus ou moins demandé,  pour les cadres quand de pareilles méthodes leurs sont imposées ? Et que penser de la loi sur le secret des affaires, qui pourrait empêcher la révélation de pratiques similaires à M. Lombard ( de telles méthodes, ce sont des secrets stratégiques d’entreprise à ne surtout pas révéler !)


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