J’avais écrit le 9 mai un blog intitulé : Les cadres à la SNCF et ailleurs- malaise et
colère- vers la révolte dans lequel je me faisais l’écho de la colère,
l’incompréhension et le refus des cadres devant une orientation rompant
radicalement avec le service public, et les mettant en cause avec une campagne
de mensonges systématiques portant sur la dette de la SNCF et le coût du
statut. La réaction de la CFE-CGC, centrale pourtant jusqu’ici assez peu
revendicatrice me semblait assez emblématique de ce qui s’annonce : la
révolte des cadres et leur rupture avec les orientations ultra libérales et
financières des entreprises. Cette révolte des cadres est je le crains, une
rubrique qui va devenir régulière. Elle aurait du d’ailleurs subvenir bien plus
tôt, comme le rappelle l’affaire des suicides de France Telecom.
Enfin ! Sept cadres seront jugés, dont l’ancien
patron Didier Lombard, pour "harcèlement moral".
Il s'agit de la
première affaire de harcèlement moral institutionnalisé qu'aura à trancher un tribunal,
neuf ans après les premières plaintes. Rappelons
les faits : en 2008 et 2009, l'entreprise
avait connu une vague de suicides – 35
reconnus par les syndicats et la direction. Dans ses réquisitions, le parquet reproche à France Télécom d'avoir mis
en place dès 2007 par des "agissements répétés" une politique
d'entreprise qui a eu pour effet de "déstabiliser" les employés et de
"créer un climat professionnel anxiogène", selon une source proche de
l'enquête. Trente-neuf victimes sont notamment citées: dix-neuf se sont
suicidé, douze ont tenté de le faire, et 8 salariés ont subi un épisode de
dépression ou ont été en arrêt de travail.
Ces réquisitions sont particulièrement sévères pour Didier Lombard
considéré comme « le principal responsable de la mise sous pression de
l’entreprise.. ;il est celui qui a pris l’engagement devant les milieux
financiers de faire baisser la masse salariale de l’entreprise pour dégager7
milliards de cash-flow. » Devant ses cadres, en 2006, il annonce que d’ici
à trois ans 22000 salariés devront avoir quitté l’entreprise et 14000 devront
avoir changé de poste, soit une personne sur trois. Le ton est violent
« Il faut qu’on sorte de la,position mère poule. Ce sera un peu plus
dirigiste que par le passé. En 2007, je
ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte ».
Le résultat, c’est le « crash
program » (en anglais, ça fait moderne et bienveillant ?) du DRH
Olivier Barberot, également renvoyé devant le tribunal. La rémunération des DRH
a été indexée sur le nombre de départs qu’ils obtenaient, les cadres dirigeants
ont été formés à « brusquer pour provoquer une réflexion, à supprimer le
poste pour faire bouger ». Les plus anciens furent spécifiquement ciblés,
aussi les pères ou mères de famille à qui on proposait un poste à 200 km de
chez eux pour qu’ils le refusent. Les syndicats ont systématiquement été
écartés. « les dirigeants ont délibérément fait échouer les négociations
avec les organisations syndicales et imposé une décision unilatérale ».
Face aux alertes volontairement ignorées et à une situation devenue intenable, les médecins du travail ont démissionné.
Les objectifs de réduction des effectifs étaient devenus une fin en soi, quels
que soient les moyens pour y parvenir: incitations répétées au départ,
mobilités forcées, surcharge ou absence de travail, réorganisations tout
azimuts... Des tableaux "circulaient parmi les cadres": "on a
fait tant de départs, il en reste tant à faire", avait résumé un ex-cadre
informatique dans le Nord de la France.
Sébastien Crozier syndicaliste CFE-CGC chez Orange se rappelle de la méthode de Didier
Lombard et de sa direction. "Il changeaient de force les postes, les
changeaient de géographie, interdisaient aux managers d'occuper un poste
pendant plus de trois ans pour briser les liens sociaux entre le
management et les équipes qu'ils conduisaient pour forcer les gens à partir en
retraite prématurément"
Didier Lombard avait finalement
dû quitter la direction opérationnelle du groupe en mars 2010, fragilisé par le
scandale et une "énorme bourde", de son propre aveu, lorsqu'il avait
évoqué "une mode du suicide".
Harcèlement moral ou homicide involontaire ?
Donc,
au côté de Didier Lombard, six autres dirigeants et cadres ( dont son n°2, Louis Pierre Wenes, son
DRH, Olivier Barberot) sont renvoyés devant le tribunal
correctionnel de Paris.
C’est
une première et espère-t-on ce sera un avertissement utile s’il aboutit à une
condamnation de prison ferme. Merci aux syndicats (Sud, CGT, FO, CFE-CGC) qui
ont mené ensemble ce rude long, trop long,
et désespérant combat ! Avec raison, ils soulignent d’ailleurs que c’était bien le
moins que la justice puisse faire et qu’une condamnation pour homicide
involontaire aurait été justifiée.
C’est
le sens de la réaction de la CFE-CGC.
« Il est indispensable que
les magistrats instructeurs en charge du dossier tirent toutes les conséquences
des éléments figurant dans la procédure et décident de renvoyer les personnes
physiques et morale mises en examen devant la juridiction correctionnelle des
chefs combinés d'homicide involontaire,
mise en danger de la vie d'autrui et harcèlement moral…. Les pièces de la
procédure pénale ne permettent pourtant pas de se limiter à la seule
qualification de harcèlement moral, terriblement réductrice, alors que la démonstration est clairement faite
d'un mépris délibéré qui a mis en danger la vie des personnels aux seules fins
de respecter des objectifs de compression salariale et d'augmentation
corrélative des bénéfices destinés à satisfaire les actionnaires, dont
l'État". La CFE-CGC espère être entendue pour que de tels drames "ne
se reproduisent plus dans une entreprise française",
Espérons
en effet que l’issue du procès pour M. Lombard et ses principaux collaborateurs
sera suffisamment lourde compte-tenu de la gravité des faits et dissuasive pour
éviter que ces drames se reproduisent ailleurs ; et que nos nouveaux managers, si bienveillants
soient-ils, retrouvent le sens de ce qui est permis et de ce qui est indigne.
Autre
remarque : sous la nouvelle direction de M. Hommeril la CFE-CGC se montre nettement
plus revendicative ; il semble qu’elle ait pris le juste mesure de la
révolte des cadres. Et l’affaire Orange appelle d’autres commentaires :
quid d’un droit d’opposition de conscience, que la CFE-CGC avait plus ou moins
demandé, pour les cadres quand de
pareilles méthodes leurs sont imposées ? Et que penser de la loi sur le secret
des affaires, qui pourrait empêcher la révélation de pratiques similaires à M.
Lombard ( de telles méthodes, ce sont des secrets stratégiques d’entreprise
à ne surtout pas révéler !)
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