L’Oréal : l’Etat doit -il intervenir ?
La cosmétique, une science et une industrie importantes
On présente souvent la chimie comme devant origine aux louches manœuvres alchimiques, visant à préparer du faux or. Elle possède cependant une origine certaine et plus ancienne. Les premiers textes de chimie connus sont inscrits sur des tablettes d’argile en caractères cunéiformes et datent de 1 200 av. J.-C. Ce sont des recettes de cosmétiques et ils sont l’oeuvre d’une femme, Tappouti, qui dirigeait la fabrique de parfum du palais de Babylone et pratiquait déjà des techniques d’extraction, d’entraînement par la vapeur et de distillation. Dès son origine, la chimie fut une science assez largement féminine. De là, peut-être, une partie de sa mauvaise réputation dans un monde savant dominé par les mathématiques et la physique, quasi-exclusivement masculines : la chimie, une science de l’artifice, de la tromperie, du maquillage de la réalité ? Mais aussi une science qui s’est défini dès le début de son histoire comme une science de la transformation du monde, de son amélioration par la science, l’activité et l’industrie.
Au moins historiquement, la cosmétique n’est nullement une science mineure ; elle reste source de découverte, d’invention et d’innovation importantes. Ainsi, en 2003, un prix Nobel a été attribué au chimiste Peter Agre pour la découverte des aquaporines, protéines régissant le circulation de l’eau dans le corps , suivi de l’invention de composés permettant d’en augmenter le nombre et l’activité ; l’industrie cosmétique a largement participé au développement de méthodes cellulaires alternatives et aux avancées les plus récentes dans le domaine des cellules souches avec l’invention de produits favorisant l’autoréparation de la peau et la découverte des propriétés étonnantes de cellules souches folliculaires.
Il faut sauver L’Oréal
Avec plus de 19 milliards d’euros de chiffres d’affaires, 66.000 collaborateurs, dont 3200 en recherche dans 18 centres, et une présence dans 130 pays, L’Oréal est le leader mondial des cosmétiques. C’est un groupe centenaire dont l’histoire commence en 1909 avec l’invention par le chimiste Eugène Schueller de colorants chimiques moins offensifs pour les cheveux. C’est ensuite en 1928 le shampooing O’Cap, premier shampooing de grande consommation , puis Monsavon, Plix - le premier composé pour la mise en plis, les premiers bains moussants- Obao-, l’aventure Lancôme, le Céramide R, premier reconstituant du cheveu abîmé, les produits de protection solaires -avec l’historique Ambre solaire, constamment améliorée par de nouveaux filtres UV… L’Oréal et ses concurrents se situent au premier plan de la lutte contre le vieillissement cellulaire, avec des concepts, des recherches et des produits extrêmement innovants (par exemple Abyssine, issu d’un microorganisme extrèmophile), un domaine essentiel pour la qualité de vie des populations veillissantes.
Or la saga Bettencourt - l’Oréal, que l’on croyait apaisée, reprend. Il reviendra à la justice de trancher ce qui relève de l’abus de faiblesse, du financement illégal de parti politique, du conflit d’intérêt, voire de la corruption. Mais la société L’Oréal, navire amiral de la cosmétique française, ses milliers de chercheurs et sa recherche originale, son potentiel extraordinaire de développement mondial par une astucieuse prise en compte de la diversité humaine, tout cela doit être préservé de disputes familiales tragiques et des conséquences de la dégradation de l’état de santé de Mme Bettencourt. Si tout devait se terminer par la vente de L’Oréal à une multinationale étrangère - Nestlé est à l’affût et les intentions des héritiers plus ou moins dignes de la famille Bettencourt ne sont pas claires-, ce serait une responsabilité terrible. L’Etat doit intervenir, il en a les moyens et le devoir- une possibilité serait d’assurer la tutelle des affaires de Mme Bettencourt le temps d’assurer l’avenir de L’Oréal.