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samedi 21 mai 2016

Simondon m’était conté !

Gilbert Simondon (1924-1989) fait l’objet d’une redécouverte méritée à travers la réédition de son œuvre, diverses émissions (dont une semaine des Nouveaux chemins de la connaissance), articles divers. De fait ce normalien agrégé de philosophie qui enseigna au lycée Descartes de Tours la philosophie et parfois…la physique, écrivit une thèse dirigée par Canguilhem, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, dont la partie complémentaire (Du mode d'existence des objets techniques) est la plus connue et la plus décoiffante est l’auteur d’une œuvre encyclopédique qui a bien l’ambition de faire système et de définir un nouvel humanisme qui englobe la technique.

Quelques idées issues principalement Du mode d’existence des objets techniques :

Simondon parle d’objets techniques, et c’est une manière de souligner qu’ils devraient avoir le même statut, la même dignité et susciter le même intérêt des penseurs  que les objets religieux et esthétiques. Il y a là une injustice rave et une lacune dans la culture. Il s’oppose à Heidegger et aux technophobes, et insiste sur le fait qu’il faut penser la technique à partir des objets, et non à partir de la philosophie. Face à Jacques Ellul et aux épigones attardés d’Heidegger, il proteste contre une véritable xénophobie de la technique, d’un misonéisme contre les machines. La technique fait la jonction entre le vital et les institutions de la culture, elle organisatrice des rapports entre le monde et l’homme. La technique serait responsable d’un monde sans âme, responsable des désastres et du désagrément de vivre ? Non, dit Simondon, on peut avoir une relation à la technique qui ne soit pas aliénante. La technique peut être source de mal, de domination, de puissance mais penser la technique comme source du mal, c’est refuser de penser. L’objet technique est humain parce qu’inventé (et la théorie de l’invention occupe une grande part de l’œuvre de Simondon) ; il est porteur d’une très grande valeur de par la quantité d’efforts humain qu’il a fallu pour le concevoir. L’opposition entre la culture et le technique, entre l’homme et la machine est sans fondement, elle masque derrière un facile humanisme un mépris de l’homme lui-même. Les objets techniques sont des médiateurs privilégiés entre la nature et l’homme. Ne pas reconnaitre la part d’humanité dans la machine est une forme d’aliénation et au contraire, une pensée authentique de la machine possède une fonction libératrice.
Contre Heidegger : Si la technique est mal pensée, l’homme est mal pensé. Et Simondon se donne pour but d’éveiller les contemporains à la civilisation technique. Et ceci également : la vraie pensée libératrice et opérationnelle, la pensée de la technique et de la science est la pensée réflexive, qui s’oppose aux fins déterminées phénoménologiques  et qui ne défend aucun intérêt spirituel – alors que toutes les philosophies littéraires sont orientées par une prétention religieuse
Sur la machine, et contre les tenants de la cybernétique,  il affirme aussi que la machine la plus perfectionnée n’est pas la plus autonome, mais la plus ouverte possible, la plus capable d’interactions. Ainsi se crée une civilisation où l’homme, loin d’être l’esclave d’une société des machines, est l’organisateur permanent d’une société des objets techniques, un chef d’orchestre.
Simondon affirme encore  que la beauté technique renvoie à une certaine universalité, la manière dont l’objet s’insère dans son milieu. Et son respect de l’objet technique l’amène à protester violemment contre l’obsolescence programmée des objets, qui serait un crime.
L’œuvre de Simondon fait également l’objet d’un article de Vincent Bontems dans la revue Alliage, n076, hiver 2015.

Du zen et de l’entretien des motocyclettes

Il se trouve qu’en même temps que ce Simondon revival, ; je lisais le chef d(‘œuvre de Pirsig, Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, dont il me semble qu’entre en résonnance avec cette œuvre. Extraits :
 « Je distingue deux  types d’intelligence humaine, l’intelligence classique et l’intelligence romantique… les termes classiques et romantiques, tels que Phèdre les employait, ont un sens bien défini Une intelligence classique voit d’abord dans le monde les structures internes ; l’intelligence romantique y voit d’abord l’apparence immédiate.  Montrez un moteur ou un schéma électronique à un romantique, il ne marquera guère d’intérêt. Il ne voit que la réalité superficielle : des listes complexes et ennuyeuses de termes obscurs. Mais lé schéma fascinera un esprit classique qui percevra sous les lignes, les formes et les symboles, une richesse étonnante de structures internes.
Le style romantique est inspiration, imagination, intuition, les sentiments l’importent sur les faits. Le romantique joue l’art contre la science. Il ne se laisse pas guider par la raison ou par des lois. ;, mais par le sentiment, l’intuition, la sensibilité esthétique… Par contraste, l’esprit classique accepte d’être régi par la raison et par des lois, qui représentent elles-mêmes les structures de la pensée et du comportement…
Quoique l’esprit classique entraine souvent une certaine laideur artificielle, cette laideur ne lui est pas inhérente. Il y a une esthétique classique qui échappe souvent aux romantiques à cause de sa subtilité. Le style classique est direct, sans fioritures, sans émotion inutile et soigneusement proportionné. Il ne s’adresse pas au sentiment. Il a pour but de faire naitre l’ordre à partir du chaos et de rendre l’inconnu connaissable. Il n’a rien de naturel, ni de spontané. Il est fait de retenue et de contrôle. Sa valeur se mesure à la rigueur avec laquelle ce contrôle est maintenu.
Pour un romantique, le style classique parait morne, lourd et laid comme la mécanique elle-même. Tout se pose en termes de  pièces et de composants, de relations entre éléments et de programmes d’ordinateurs. Tout doit être mesuré et prouvé. C’est une grisaille lourde, écrasante, une force de mort…
Ainsi a pu se développer ces derniers temps une rupture totale entre une culture classique et une contre-culture romantique – deux mondes de plus en plus étrangers et hostiles – alors que personne ne souhaite vraiment pareille division…. »

« J’ai gardé chez moi une brochure qui ouvre de vastes perspectives dans l’amélioration de la littérature classique. Elle commence par ces mots : l’assemblement d’une bicyclette japonaise requiert une grande paix de l’esprit »…La paix de l’esprit n’est pas un détail superflu. C’est le fond de la question. Sans la paix de l’esprit, il n’est pas de bonnes techniques. Sans une bonne technique, pas de paix de l’esprit. Ce qu’on appelle l’efficacité d’une machine, ce n’est rien d’autre que la concrétisation de cette paix de l’esprit. Le critère ultime de son fonctionnement, c’est votre propre sérénité. Si, au départ, vous ne vous sentez pas sereins, et si vous ne le restez pas au cours de votre travail, vous risquez de projeter vos problèmes personnels sur la machine elle-même. »


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