Gilbert Simondon
(1924-1989) fait l’objet d’une redécouverte méritée à travers la réédition de
son œuvre, diverses émissions (dont une semaine des Nouveaux chemins de la connaissance), articles divers. De fait ce
normalien agrégé de philosophie qui enseigna au lycée Descartes de Tours la
philosophie et parfois…la physique, écrivit une thèse dirigée par Canguilhem, L'individuation
à la lumière des notions de forme et d'information, dont la partie
complémentaire (Du mode d'existence des
objets techniques) est la plus connue et la plus décoiffante est l’auteur
d’une œuvre encyclopédique qui a bien l’ambition de faire système et de définir
un nouvel humanisme qui englobe la technique.
Quelques
idées issues principalement Du mode
d’existence des objets techniques :
Simondon parle d’objets
techniques, et c’est une manière de souligner qu’ils devraient avoir le même
statut, la même dignité et susciter le même intérêt des penseurs que les objets religieux et esthétiques. Il y
a là une injustice rave et une lacune dans la culture. Il s’oppose à Heidegger
et aux technophobes, et insiste sur le fait qu’il faut penser la technique à partir des objets, et non à partir de
la philosophie. Face à Jacques Ellul et aux épigones attardés d’Heidegger,
il proteste contre une véritable xénophobie de la technique, d’un misonéisme
contre les machines. La technique fait la jonction entre le vital et les
institutions de la culture, elle organisatrice des rapports entre le monde et
l’homme. La technique serait responsable d’un monde sans âme, responsable des
désastres et du désagrément de vivre ? Non, dit Simondon, on peut avoir
une relation à la technique qui ne soit pas aliénante. La technique peut être
source de mal, de domination, de puissance mais penser la technique comme
source du mal, c’est refuser de penser. L’objet technique est humain parce
qu’inventé (et la théorie de l’invention occupe une grande part de l’œuvre de
Simondon) ; il est porteur d’une très grande valeur de par la quantité
d’efforts humain qu’il a fallu pour le concevoir. L’opposition entre la culture
et le technique, entre l’homme et la machine est sans fondement, elle masque
derrière un facile humanisme un mépris de l’homme lui-même. Les objets
techniques sont des médiateurs privilégiés entre la nature et l’homme. Ne pas
reconnaitre la part d’humanité dans la machine est une forme d’aliénation et au
contraire, une pensée authentique de la machine possède une fonction
libératrice.
Contre Heidegger : Si la technique est mal pensée, l’homme est
mal pensé. Et Simondon se donne pour but d’éveiller les contemporains à la
civilisation technique. Et ceci également : la vraie pensée libératrice et
opérationnelle, la pensée de la technique et de la science est la pensée
réflexive, qui s’oppose aux fins déterminées phénoménologiques et qui ne défend aucun intérêt spirituel –
alors que toutes les philosophies littéraires sont orientées par une prétention
religieuse
Sur la machine, et contre
les tenants de la cybernétique, il
affirme aussi que la machine la plus perfectionnée n’est pas la plus autonome,
mais la plus ouverte possible, la plus capable d’interactions. Ainsi se crée
une civilisation où l’homme, loin d’être l’esclave d’une société des machines,
est l’organisateur permanent d’une société des objets techniques, un chef
d’orchestre.
Simondon affirme
encore que la beauté technique renvoie à
une certaine universalité, la manière dont l’objet s’insère dans son milieu. Et
son respect de l’objet technique l’amène à protester violemment contre l’obsolescence
programmée des objets, qui serait un crime.
L’œuvre de Simondon fait
également l’objet d’un article de Vincent Bontems dans la revue Alliage, n076, hiver 2015.
Du
zen et de l’entretien des motocyclettes
Il se trouve qu’en même
temps que ce Simondon revival, ; je lisais le chef d(‘œuvre de Pirsig,
Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, dont il me semble qu’entre
en résonnance avec cette œuvre. Extraits :
« Je distingue deux types d’intelligence humaine, l’intelligence
classique et l’intelligence romantique… les termes classiques et romantiques, tels
que Phèdre les employait, ont un sens bien défini Une intelligence classique
voit d’abord dans le monde les structures internes ; l’intelligence
romantique y voit d’abord l’apparence immédiate. Montrez un moteur ou un schéma électronique à
un romantique, il ne marquera guère d’intérêt. Il ne voit que la réalité
superficielle : des listes complexes et ennuyeuses de termes obscurs. Mais
lé schéma fascinera un esprit classique qui percevra sous les lignes, les
formes et les symboles, une richesse étonnante de structures internes.
Le style romantique est
inspiration, imagination, intuition, les sentiments l’importent sur les faits. Le
romantique joue l’art contre la science. Il ne se laisse pas guider par la
raison ou par des lois. ;, mais par le sentiment, l’intuition, la sensibilité
esthétique… Par contraste, l’esprit classique accepte d’être régi par la raison
et par des lois, qui représentent elles-mêmes les structures de la pensée et du
comportement…
Quoique l’esprit
classique entraine souvent une certaine laideur artificielle, cette laideur ne lui
est pas inhérente. Il y a une esthétique classique qui échappe souvent aux
romantiques à cause de sa subtilité. Le style classique est direct, sans
fioritures, sans émotion inutile et soigneusement proportionné. Il ne s’adresse
pas au sentiment. Il a pour but de faire naitre l’ordre à partir du chaos et de
rendre l’inconnu connaissable. Il n’a rien de naturel, ni de spontané. Il
est fait de retenue et de contrôle. Sa valeur se mesure à la rigueur avec
laquelle ce contrôle est maintenu.
Pour un romantique, le
style classique parait morne, lourd et laid comme la mécanique elle-même. Tout
se pose en termes de pièces et de
composants, de relations entre éléments et de programmes d’ordinateurs. Tout
doit être mesuré et prouvé. C’est une grisaille lourde, écrasante, une force de
mort…
Ainsi a pu se développer
ces derniers temps une rupture totale entre une culture classique et une contre-culture
romantique – deux mondes de plus en plus étrangers et hostiles – alors que personne
ne souhaite vraiment pareille division…. »
« J’ai gardé chez moi
une brochure qui ouvre de vastes perspectives dans l’amélioration de la
littérature classique. Elle commence par ces mots : l’assemblement d’une bicyclette
japonaise requiert une grande paix de l’esprit »…La paix de l’esprit n’est
pas un détail superflu. C’est le fond de la question. Sans la paix de l’esprit,
il n’est pas de bonnes techniques. Sans une bonne technique, pas de paix de l’esprit.
Ce qu’on appelle l’efficacité d’une machine, ce n’est rien d’autre que la
concrétisation de cette paix de l’esprit. Le critère ultime de son
fonctionnement, c’est votre propre sérénité. Si, au départ, vous ne vous sentez
pas sereins, et si vous ne le restez pas au cours de votre travail, vous risquez
de projeter vos problèmes personnels sur la machine elle-même. »
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