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mercredi 5 juillet 2023

Réponses et remarques de l’Association PIEBÎEM au groupe de travail RTE sur les analyses de sécurité d’approvisionnement

 PIEBÎEM est partie prenante de la consultation publique organisée par RTE (Réseau de transport d’Electricité) sur le Bilan Prévisionnel 2030-2035 et participe aux groupes de travail dédiés. Dans le groupe de travail consacré à la sécurité d’approvisionnement, PIEBÎEM a fait part de ses inquiétudes sur les risques que fait peser l’intégration d’une part importante d’énergie intermittente fortement variable comme l’éolien en mer sur la sécurité d’approvisionnement

·   PIEBÎEM considère comme assez inquiétante l’intervention de l’ADEME sur la « notion de défaillance qui n’est pas qu’un critère technique, mais aussi politique ; il faut prendre en compte la facilité à accepter la défaillance ». Elle sonne en effet comme un renoncement à assurer la sécurité d’approvisionnement en présence d’un fort taux d’énergies variables intermittentes  et à accepter des flexibilités de force, bon gré, mal gré. On peut se demander dans quelle mesure de telles conceptions sont compatibles avec une volonté de réindustrialisation et jusqu’à quel degré elles sont acceptables par la population.

 

·         PIEBÎEM souligne que malgré une évidente volonté pédagogique de RTE, la démarche probabiliste utilisée pour estimer les risques de défaillances suscite encore des interrogations. Cette démarche a-t-elle fait l’objet de critiques (éventuellement favorables) de gestionnaires de réseau étranger, est-elle aussi adoptée par certains d’entre eux ?  Ne sous-estime-t-elle pas les risques accrus de défaillance qu’entrainera dans le futur un accroissement important des énergies variables intermittentes ?

 

·         Sur ce même sujet, de récentes publications allemandes montrent des résultats assez inquiétants sur l’estimation et les conséquences des « DunkelFlaute » (épisodes météorologiques de vent très réduit) sur un système à fort taux d’Energies Variables Intermittentes.  Le résultat des études sur la fréquence des épisodes de production d’éolien et de solaire quasi nulle montre entre 2010 et 2016 environ 160 épisodes de 5 jours (soit 26 par an) avec une production éolienne inférieure à 5 GW et que chaque année se produit un épisode de 10 à 14 jours de vents faibles.

 

Mais les auteurs de l’étude estiment que, pour la stabilité du réseau, il faut considérer des périodes beaucoup plus longues. Sur une étude utilisant 35 ans de données de séries chronologiques horaires, leur analyse appuie les conclusions antérieures selon lesquelles les périodes où l'approvisionnement est constamment rare ne durent pas plus de deux semaines, mais constate que le déficit énergétique maximal se produit sur une période beaucoup plus longue de neuf semaines. En effet, plusieurs périodes rares peuvent se suivre de près et il existe donc des périodes plus longues qui contiennent une accumulation de périodes fortement déficientes en vent lorsque l'on tient compte des pertes de stockage et des limites de recharge, la période de définition des exigences de stockage s'étend jusqu'à 12 semaines.

Storage requirements in a 100% renewable electricity system: extreme events and inter-annual variability, Oliver Ruhnau and Staffan Qvist 2022 Environ. Res. Lett. 17 044018, (2022)


RTE a-t-il le même type de réflexion concernant les incidences de l’accroissement de production ENR variables intermittentes et non corrélées à la demande ? 


Nb voir aussi sur ce sujet https://vivrelarecherche.blogspot.com/2023/06/rte-alerte-sur-laugmentation-des.html

 

·   S’il en était encore besoin ( ?), la présentation de RTE a montré qu’il existe de nombreuses externalités négatives économiques et techniques des ENR en terme de stabilité du réseau : besoins en stockage, besoins en inertie, dégradation économique et technique des pilotables en suivi de charge, épisodes de surproduction. PIEBÏEM considère que ces externalités négatives devraient être prises en charge par les producteurs ENR et que dans tous les scenarios et présentations, leur coût, lorsqu’il peut être estimé, devrait être clairement attribué aux ENR.

 

·         Concernant les problèmes posés par le manque d’inertie des systèmes à fort taux d’ENR , Mathieu Hochet, spécialiste « Offshore Wind », Total Energies a déclaré devant l’Académie des Technologies : lorsque les énergies renouvelables, généralement intermittentes, représenteront plus de 50 % du mix électrique, il sera particulièrement délicat de rétablir la tension sur le réseau en cas de black-out. Confirmez-vous cette analyse ?

Le mot de black out semble devenir tabou, pourtant de faibles incidents d’ailleurs  assez récurrents entre la Serbie et le Kosovo ont entrainé (par exemple, le 10 janvier 2019) une baisse de fréquence sur l’ensemble des pays européens ; l’effondrement a pu être évité de justesse par la déconnexion d’industriels électrointensifs mais la résilience du réseau européen à de tels incidents pourtant mineurs peut poser question, surtout avec l’augmentation du taux de pénétration des « ENR ».

 

·     Ainsi qu’il a été évoqué par plusieurs participants, le suivi de charge des ENR par le nucléaire retentit sur ses performances technologiques et sa rentabilité économique  et pourrait en fait impacter la durée de vie des centrales nucléaires…dont la prolongation est indispensable à la sécurité d’approvisionnement. En particulier, la modulation de la production est actuellement utilisée pour optimiser la gestion du combustible et la répartition des arrêts de tranche, qui est aussi un facteur éminemment important de résilience pour passer des périodes difficiles.  La réponse de RTE à ces préoccupations semble être que la modulation du nucléaire pour suivi de charge des ENR remplacera la modulation pour gestion du combustible, ce qui est assez inquiétant quant à la sécurité d’alimentation.

Ce phénomène ne se produit-il pas déjà ? RTE vient de demander à EDF de décaler d'un mois la visite décennale de la tranche 2 de Blayais. Est-ce en en raison de la variabilité des ENR dans la période considérée ? Quelle en est l’incidence sur la sécurité d’alimentation ?

 

·        Au-delà se pose la faisabilité même du suivi de charge par le nucléaire de productions électriques à forte variabilité instantanée comme l’éolien marin, certains considérant qu’il ne peut être accompli que par des centrales à gaz de dernière génération.

 

RTE peut-il fournir une estimation du nombre de nouvelles centrales à gaz qu’il faudrait construire pour assurer un suivi de charge techniquement réaliste et économiquement supportable des Energies Variables Intermittentes, en fonction de leur taux de pénétration et de leur nature ( éolien terrestre, marin, solaire) ?

 

·    Concernant l’hydrogène, PIEBÎEM  note que RTE constate que « des modes spontanément peu flexibles sont envisagés par les industriels ». C’est assez peu surprenant, si l’on prend en compte les avertissements de l’Académie des technologies et de la Commission de Prospective de la CRE. Ainsi, les épisodes de prix négatifs « ne permettent cependant pas de justifier l’hypothèse parfois avancée d’un stockage d’énergie alimenté uniquement par une électricité fatale. Le coût d’investissement des électrolyseurs est élevé et ils ne peuvent se contenter de fonctionner exclusivement dans les périodes de surplus d’électricité ; la rentabilité de la production d’énergie intermittente implique qu’elle soit vendue en moyenne à un prix égal à son coût de production actualisé (Leverage Cost of Electricity), ce qui est retenu dans les évaluations ci-après….Il convient donc de prendre en compte les coûts réels de revient de l’électricité renouvelable proposés par la Cour des comptes en 2018, portant le kg d’hydrogène entre 7 à 9,5 €. S’ajoutent, le cas échéant, des coûts de stockage (compression, réservoirs…) de 0,5 à 1 €/kg. » (https://www.academie-technologies.fr/blog/categories/publications-de-l-academie/posts/l-)


Ou :  la solution qui  « consiste à relier directement les électrolyseurs à une source d’énergie renouvelable et de n’utiliser que les surplus de production d’électricité pour produire de l’hydrogène, afin de bénéficier des prix les plus bas. Ce fonctionnement s’avère être le plus onéreux, car le taux de charge des électrolyseurs est particulièrement faible compte tenu de l’intermittence des renouvelables… cette configuration oblige à surdimensionner l’électrolyseur pour qu’il puisse recevoir le plus possible d’électricité produite par la centrale. Elle ne présente  aucun espoir de rentabilité même à moyen terme avant 2030 » (Comité de prospective de la CRE_ Le vecteur hydrogène)

    De façon générale, l’association  PIEBÎEM appelle RTE à ne pas sous-estimer les dangers d’un taux important de pénétration des Energies Variables Intermittentes sur la stabilité du réseau et la sécurité d’alimentation, à éviter de recourir à de la « flexibilité magique »  et à en peser soigneusement les conséquences, notamment en terme d’équipement en pilotable gaz. PIEBÏEM considère que l’ensemble des données présentées doit inciter à une remise en cause drastique des objectifs de développement de l’éolien en mer dont les coûts intrinsèques déjà élevés sont démultipliés par l’exigence de compenser une forte variabilité, à supposer même qu’il soit possible d’écarter les dangers qu’elle fait peser sur la sécurité d’alimentation.

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