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lundi 2 janvier 2012

Réseaux intelligents ou « Surveiller et punir »?

Réseaux intelligents ou  « Surveiller et punir  »?

L’enjeu des Smart grids

Les « Smart grids » ou réseaux intelligents  sont un ensemble de techniques et de dispositifs permettant une administration plus intelligente des réseaux  électriques, et donc des économies d’électricité. Ils ne nécessitent pas d’inventions techniques vraiment nouvelles, car ils consistent essentiellement à rendre le réseau actuel « intelligent » en le doublant d’une infrastructure de télécommunication reliant le producteur d’électricité au consommateur.
Les buts du « Smart grid » sont notamment de diminuer les pics de consommation et les pertes en ligne, éviter les pannes dues à des surcharges, faciliter le transport sur grandes distances. Il devrait aussi permettre une meilleure intégration au réseau d’énergies intermittentes (éoliennes, panneaux solaires). En France, grâce au nucléaire, ils pourraient permettre une diminution significative du recours aux énergies carbonées et donc des émissions de gaz à effet de serre.
Pour donner un ordre de grandeur, une étude américaine a montré qu’une augmentation de l’efficacité du réseau électrique de 5%, qui semble réaliste, équivaudrait à une économie en terme d’émission de gaz à effets de serre de 53 millions de voitures.
C’est dire que l’enjeu des « smart grid » est important et leur développement très légitime, que la recherche-développement en ce domaine doit être encouragée, qu’elle constitue aussi un avantage compétitif pour des entreprises françaises actives et internationalement reconnues dans la gestion de réseaux et de services électriques, gazier, hydrauliques etc…
C’est aussi pourquoi on ne peut qu’être inquiet en constatant ce qui se prépare en France, dans une opacité et une absence de concertation totales, d’autant que ces réseaux  sont porteurs de risques de contrôle social et d’atteintes à la vie privée totalement inédits

Linky ; qui doit payer ?

En France, il a été décidé que la première étape du déploiement des smart grid sera l’installation de compteurs électriques de type Linky. Il règne tout d’abord un flou  important sur le coût de l’opération : pour ERDF, le prix du compteur s'élèverait à 120 euros, pose incluse, pour la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) 240 euros ; pour le remplacement prévu de trente-cinq millions de compteurs, cela fait une différence !
Qui le prendra en charge ? ERDF assure que l’installation sera gratuite, mais précise benoîtement  que « le compteur Linky et son installation entrent dans les coûts de gestion du réseau ». Pour Que Choisir,  « tôt ou tard, le coût de Linky va être répercuté dans le tarif d'acheminement de l'électricité, et donc se retrouver sur la facture, qui sera alors augmentée de 1 à 2 euros par mois »
Linky est censé permettre à l’utilisateur de mieux contrôler sa consommation… mais ce servie sera payant, entre 3,50 et 4,50 euros par mois – et encore faut-il avoir Internet. C’es donc en tout, au départ, de façon certaine un surcoût annuel de 70 euros environ. La CLCV Consommation, logement et cadre de estime que Linky ne « répond pas aux exigences de transparence pour les consommateurs ».
Par contre, Linky diminue considérablement les coûts des gestionnaires de réseau en permettant le relevé automatique à distance des consommations, les remises en service, les changements de puissance ou de tarif sans intervention sur place.
Il serait pour le moins étrange que le déploiement des smart grids ait pour conséquence une augmentation de l’électricité. Puisque concurrence il y a dans les services, les autorités règlementant de la concurrence devraient étudier de près le déploiement de Linky.

La protection de la vie privée

Le smart grid donnera aux opérateurs des informations indirectes et directes sur la vie privée (horaires et activité des habitants). La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’en est inquiété dans un rapport rendu le  5 août 2011 : «les informations de consommation d'énergie « permettent de savoir beaucoup de choses sur les occupants d'une habitation, comme leur horaire de réveil, le moment où ils prennent une douche ou bien quand ils utilisent certains appareils (four, bouilloire, toaster)…les fonctions devront être parfaitement sécurisées pour éviter toute utilisation frauduleuse ».
La Cnil pointe deux risques principaux : l’abus commercial à partir d’une exploitation trop importante et détournée des données collectées, mais surtout le risque de piratage de compteurs que l’on pourra manipuler à distance pour « modifier la puissance de l’abonnement, voire couper l’alimentation électrique à distance, via une interface
La CNIL concluait : « les distributeurs d’énergie devront donc apporter des garanties sérieuses sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité ». Pour l’instant, il semble que les recommandations de la CNIL n’aient été suivi d’aucun effet… Pourtant, le succès des smart grids dépendra évidemment de leur acceptation sociale.

Smart grid et contrainte  sociale

Nombreux sont ceux qui croient ou espèrent que les smart grids entraîneront une baisse de la consommation d’énergie ; or, selon une étude pilote menée dans la Loire, pour 90 % des consommateurs, l'arrivée de Linky n'a rien modifié dans leurs pratiques.
C’est peut-être que la grande partie de la consommation électrique est contrainte ; dans ces conditions, l’augmentation des tarifs aux heures de pointe ne profitera, comme la fameuse taxe carbone automobile, qu’à ceux qui auront la possibilité de changer leurs habitudes. Comme d’habitude, l’écologie fait preuve d’une certaine surdité sociale.
Ou alors, peut-être que  les Français ne veulent pas changer de mode de vie ; or, il me semble qu’en démocratie, c’est à l’opinion publique de fixer les buts, aux experts de proposer des solutions, aux politiques de les appliquer.
Or les déclarations inquiétantes se multiplient invoquant la contrainte pour forcer les usagers à restreindre leur consommation d’électricité (tout en la payant plus chère !). Et les grandes manœuvres ont déjà commencé.

Surveiller et punir

Ainsi, différentes campagnes de sensibilisation ont été menées, en particulier dans les territoires fragiles en termes de production et de distribution de l’énergie électrique (en régions Bretagne, PACA, Corse ou encore dans les DOM-TOM-COM). Cela s’est traduit notamment par l’envoi de SMS quelques jours ou quelques heures avant un pic de charge prévisionnel. Ces messages avaient comme objectif d’encourager les usagers à faire des économies d’énergie dans les entreprises, les bureaux ou les logements en retardant par exemple l’utilisation de usages non urgents (le lave-linge) ou en limitant l’usage des services prioritaires (en baissant la température du chauffage).
Il s’agît bien d’accoutumer les Français à restreindre leur consommation d’énergie alors que ces Français mal éduqués s’indignaient jusqu’à présent des insuffisances des fournisseurs.
Marc Chemin, de Cap Gemini, a vendu la mèche : «  il ne sera pas évident, sans éducation et sans communication, de convaincre les particuliers de modifier leur mode de consommation simplement en faisant miroiter une promesse de gain, ou, au contraire, un surcoût. Il faut faire passer un message plus large et y inclure le thème de l’environnement » (Le Monde, 28 décembre 2011)
Merci de cet aveu : les réseaux  intelligent seront utilisés pour pénaliser les mauvais consommateurs, et comme cela ne suffira pas (surtout pour ceux qui ne sont pas libres de leurs choix) , il faudra les « éduquer ».
Autre déclaration qui fait froid dans le dos, celle de Philippe Hanff, délégué général économique au « grand Lyon », où se déploie un projet urbain, Confluence, basé sur un recours important aux « smart grids » : «  Les usages des consommateurs vont être passés à la loupe. Car il ne sert à rien de déployer un réseau électrique intelligent si les usagers ne surveillent et n’adaptent pas leur consommation ».( Le Monde, 28 décembre 2011). Après l’éducation, la menace…
Eduquer les consommateurs, passer leurs usages à la loupe, restreindre autoritairement leur consommation électrique ; demain, le réseau pourra par exemple vous imposer une baisse de votre chauffage, qu’il y ait ou non un malade chez vous. Surveiller et punir, tel semble être chez certains la vision des « réseaux intelligents ». De fait, ces réseaux sont riches de potentialités totalitaires, orwelliennes, à un point jusqu’ici inouï. Sous prétexte d’écologie et d’environnement, c’est à un contrôle total de nos vies que certains rêvent.

Il faut donc, avant d’étendre le déploiement de Linky et des autres dispositifs de réseau intelligent, prendre en compte les objections de la CNIL, définir les utilisations que l’on souhaite autoriser,  ou, au contraire interdire, mettre en place un contrôle de la gouvernance de ces réseaux ; et, pour cela, installer un trialogue entre opinion publique, experts et décideurs politiques - c’est aussi  un bonne exercice de cette réforme politique indispensable qu’est la démocratie participative.

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