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lundi 13 mai 2013

Terres rares _ l’hégémonie chinoise ?

Le coup du chalutier chinois

Le  17 septembre  2010, un chalutier chinois était arraisonné par la marine japonaise dans une zone maritime contestée, autour des îles Senkaku, et son capitaine arrêté. La tension monta, en rétorsion les chinois arrêtèrent quatre japonais accusés d’espionnage. Le 24 septembre, les Japonais libéraient le capitaine chinois sans conditions, malgré une opinion publique exaspérée. C’est que, dès l’incident connu, le ministère chinois du commerce avait réuni les entreprises chinoises possédant une licence d’exportation de terres rares vers le Japon, et les avaient discrètement, en toute illégalité selon les règles de l’OMC, sommé d’interrompre leurs livraisons, effectivement suspendues le 21 septembre. Il n’a pas fallu ensuite longtemps pour que les industriels japonais somment leur gouvernement de céder. C’est alors que le monde réalisa que la Chine avait conquis un quasi-monopole (95%) de l’approvisionnement mondial en terres rares.
Ce n’aurait pourtant pas dû être une surprisse, car c’était là le résultat d’une politique de long terme publiquement annoncée en 1992 par Deng Xiaoping : «  Le Moyen Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares ». Cette politique patiente a été extraordinairement efficace :un quasi-monopole de l’approvisionnement des industries du monde entier en terres rares. Autre succès :en 1998, 90% de la production des aimants puissants nécessitant des terres rares se faisait aux USA, Europe et Japon, dix ans plus tard, le marché est quasi-entièrement entre les mains des Chinois, soit directement, soit indirectement par des partenariats notamment avec des firmes japonaises.

Pour une politique industrielle des terres rares

Les terres rares (néodyme, lanthane, cérium, praséodyme, scandium, yttrium..) jouent un rôle fondamental dans l’électronique et la chimie comme catalyseurs, aimants, luminophores etc. Historiquement, la France a joué un rôle pionnier dans les techniques d’extraction et de purification des terres rares avec Rhône Poulenc, qui fut un leader mondial (50% du marché), puis Rhodia. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette position n’a pas été vraiment protégée : les réorganisations successives de Rhône Poulenc et de Rhodia, ont entraîné une concentration des efforts et de l’attention sur des stratégies très court-termistes et boursières, cependant que l’Etat français se désintéressait de l’industrie et de toute politique industrielle. Il faut dire que les Etats-Unis, la Corée, le Japon, l’Australie, très dépendant des terres rares, ont été encore davantage pris au dépourvu que la France par la stratégie à long terme de domination de la Chine. Celle-ci a avancé en progressant techniquement et par une politique de bas prix qui a entraîné partout dans le monde la fermeture de mines concurrentes devenues non rentables et par ailleurs souvent en butte aux critiques écologiques.
Jusqu’au coup de tonnerre du chalutier japonais, qui a réveillé tout le monde. Rhodia (Rhodia Rare Earth Systems, appartenant maintenant au groupe franco-belge Solvay- pourquoi a-t-on laissé filer ce fleuron français) ne s’en est pas trop mal sorti grâce à des accords privilégiés de long terme et des joint venture avec des sociétés chinoises. La réduction abrupte des quotas d’exportation chinois de terres rares en 2010  (le coup du chalutier) l’a tout de même contraint a réservé ses livraisons à des clients stratégiques  ( par exemple, l’automobile, dont les pots catalytiques exigent du cérium) et à négliger les autres, mais il a pu en partie adoucir les conséquences du coup de force chinois en augmentant avec ses partenaires chinois la transformation sur place des terres rares en produits intermédiaires non soumis aux quotas – au prix donc de transferts de technologie renforçant à terme l’industrie chinoise.

La contre attaque

 Face à une dépendance chinoise menaçant des industries stratégiques, les USA (Molycorp) rachètent des mines américaines et les remets en exploitation et des mines européennes (Sillamae, Estonie) ; le Japon conclut des accords avec des partenaires vietnamiens et indiens pour développer de nouvelles mines et monte une industrie de retraitement qui devrait permettre de récupérer 10% de ses besoins. L’Europe, comme d’habitude, réagit de façon dispersée, et sans souci de protéger ses ressources propres, notamment dans les pays nordiques.  L’Allemagne, très fortement impactée à travers notamment Siemens, grand consommateur de terres rares, a comme d’habitude agi seule et dans le sens de ses seuls intérêts et a  incité ses entreprises à se regrouper en consortium (rien moins que BASF, Bayer, Wacker, BMW, Daimler, Thyssen, Bosh…) pour rechercher et exploiter de nouvelles mines – des accords ont été signés  avec le Kazakhstan et la Mongolie, qui possède d’immenses gisements. Les Pays-Bas, pourtant fortement concernés avec Phillips, semblent ne pas avoir de stratégie.
Rhodia, lui, poursuit sa stratégie d’accord avec la Chine (un Chinois a été nommé à la tête de l’activité terres rares) qui lui a plutôt réussi, mais diversifie aussi ses approvisionnement, en accord avec des groupes australiens, en Australie et en Malaisie) et développe aussi des procédés optimisés permettant une meilleure récupération des terres rares ainsi que des procédés   sur ses sites historiques de La Rochelle et de Saint-Fons, dans l’indifférence du gouvernement français qui semble se désintéresser de ce secteur industriel essentiel.
Un programme européen ERA-MIN, coordonné par le CNRS a été impulsé pour rechercher de nouvelles sources européennes (Suède, Norvège, Groënland) et promouvoir de nouveaux procédés et produits. Il semble fonctionner comme peut fonctionner un programme européen coordonné par le CNRS pour faire de la stratégie industrielle… Si au moins, il permet de financer de la recherche dans un domaine qui a été un peu délaissé et où la France était  un acteur majeur, ce sera pas mal ; mais l’essentiel se déroule en-dehors.

La stratégie chinoise n’est pas l’hégémonie

La bonne nouvelle, c’est la réaction chinoise, qui s’est exprimée publiquement. Finalement, la Chine semble considérer que sa position de quasi-monopole n’était pas si satisfaisante, et elle voit plutôt d’un bon œil une (certaine) concurrence se remettre en place. Elle en attend des progrès significatifs dans le traitement des minerais, l’efficacité des procédés, les problèmes environnementaux, elle recherche aussi des partenaires pour développer davantage de produits plus élaborés.
La Chine ne veut pas l’hégémonie, ne recherche pas le maximum de profit à court-terme, elle veut profiter au mieux de ses ressources naturelles, développer ses technologies, être autonome aussi en produits élaborés. Certains économistes pensent que la Chine en raison de sa population, de sa population éduquée, de ses capitaux  déséquilibrera le monde entier ; ce n’est pas sa volonté, ni sa stratégie, et elle semble agir assez sagement, avec un vrai souci de l’équilibre et de durabilité. Dans ces conditions, la stratégie de Rhodia du partenariat chinois (important, mais non exclusif) peut être la bonne- un hasard, car le gouvernement français, pas plus que les autres, n’a vu venir cette crise et la dépendance patiemment construite et quasi-totale de secteurs importants de l’économie vis-à-vis des minerais de terres rares chinois.
Mais cela signifie aussi que pour travailler avec les Chinois, il faut aussi être capable d’avoir des stratégies à long terme et d’anticiper, bref il faut mener une politique industrielle… qui a été tragiquement absente dans le domaine des terres rares, et dans bien d’autres. C’est aussi un sujet qui devrait intéresser le ministère du redressement productif dans un domaine où la France a été pionnier et leader.
Si le coup du chalutier chinois aura permis de comprendre cela, et d’en tirer les leçons, il n’aura pas été inutile.
Cet article est basé sur un article de l’Actualité Chimique de décembre 2012 (Régis Poisson-AEV-Balard)

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