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lundi 6 octobre 2014

Le nouveau rapport Stern une certaine hypocrisie


Croissance et lutte contre le réchauffement climatique : pas incompatibles !

En 2006, Lord Stern, ancien économiste en chef de la Banque Mondiale publia un document sur les conséquences économiques du changement climatique qui fit date. Le premier rapport Stern estimait que, faute d’agir efficacement contre le réchauffement climatique, le PIB mondial risquait de s’effondrer de 20% d’ici à 2050.  Le rapport Stern de 2014 affirme que les « impacts de la transition énergétique ont jusqu’à présent été surestimés, comme ont été minimisés les bénéfices » et que  « lutte contre le changement climatique et croissance peuvent aller de pair » . Recettes recommandées par le Pr Stern pour réduire les gaz à effets de serre, limiter le réchauffement climatique à deux degrés sans  crise dans les pays prospères, ni hypothéquer le développement des  moins développés :

1) La productivité de l’agriculture sera critique pour assurer l’alimentation d’une population prévue pour atteindre 8 milliards en 2030. La production de nourriture peut être accrue, les forêts protégées, les émissions abaissées par la simple restauration des terres dégradées (qui pourrait nourrir 200 millions d’habitants) et de nouvelles technologies (voir ci-après)

2) Oeuvrer à La fin du charbon comme source d’énergie et pour le développement du solaire et de l’éolien et d’autres énergies non carbonées pour la production d’électricité

3) La fin de toute subvention des énergies carbonées (dont le rapport précise qu’elles représentent encore 600 milliards de dollars contre 100 milliards de dollars d’aide aux énergies nouvelles)

4) Intégrer les préoccupations du réchauffement climatique dans tous les processus de décision politique

5) Un accord international sur le climat fort, durable, équitable, susceptible de créer un climat de confiance pour des politiques nationales

6) Un prix des énergies carbonées élevé, fixe, prédictible qui envoie un signal clair à l’économie

7) Réduire le coût de financement des énergies non carbonées, avec le développement d’instruments financiers nouveaux pour les énergies nouvelles diminuant les risques perçus (risk sharing, obligations vertes…) et financements étatiques

8) Construire des économies d’échelle pour les énergies non carbonées et compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique

9) Des villes plus compactes, plus connectées, plus denses, avec un développement massif des transports publics.

10) Stopper la déforestation et la destruction des forêts naturelles complètement en 2030, restaurer 500 millions d’hectare de forêts ou terres agricoles dégradées.

Ajoutons une onzième recommandation : tripler les efforts de recherche développement consacrés à l’énergie et au climat dans les économies développées pour atteindre plus de cent milliards par an dans les années 2020.

De quelques cachoteries

J’aurais aimé trouver  le rapport Stern convaincant, et la bonne nouvelle est le soin avec lequel il entreprend de démontrer que croissance économique et lutte contre le réchauffement climatique sont compatibles. Le seul problème est qu’il est un rapport exclusivement économique qui ignore superbement les défis scientifiques bien réels, un rapport hypocrite dans sa volonté de masquer certaines conséquences, un rapport très lié au contexte (et aux intérêts) anglo-saxons. Exemples :

En ce qui concerne la densification urbaine, particulièrement intéressante est  la comparaison entre Atlanta (5.25 millions d’habitants répartis sur 4300 km2) et Barcelone (5.3 millions d’habitants sur 162 km2). En fait la politique urbaine proposée par le rapport Stern vise surtout l’étalement des conurbations américaines… pour se rapprocher des métropoles européennes. En cette matière, l’Europe est déjà  en ligne avec ce que préconise le rapport, et a donc peu de marges de manœuvre.

En ce qui concerne la productivité agricole, le rapport Stern souligne la réhabilitation en Chine des plateaux de loess par des plantations d’arbres, ainsi que celle du Maradi et du Zinder au Niger, mais insiste aussi sur le « scuba rice », une nouvelle sorte de riz qui supporte d’être submergé,  a été introduit en Inde en 2008 et adopté avec succès par plus de 5 millions de cultivateurs. Donc, la nécessaire augmentation de la productivité agricole passe par l’invention de nouveaux OGM… mais chut !, le terme lui-même est hypocritement évité.

Grande perplexité lorsque le rapport considère le gaz comme un très bon pont intermédiaire vers les énergies décarbonées…parce qu’il peut remplacer le charbon, toute en réduisant le CO2 émis et la pollution locale. Autant le dire,- mais il ne le dit pas ouvertement -,  le rapport Stern est en faveur des gaz de schistes. Par contre, il ne mentionne absolument pas la seule énergie complètement décarbonée qui permette réellement la transition énergétique vers les énergies renouvelables (- solaire essentiellement -) tout en permettant croissance et progrès, le nucléaire. Curieuse, cette propension à défendre les solutions qui conviennent aux USA, et à ne dire mot des solutions qui assurent une bonne  compétitivité à la France. La Chine, qui  fonce à toute vapeur - de charbon- vers le nucléaire et le Japon, qui, malgré Fukushima, s’apprête à relancer son nucléaire ne s’ y trompent pas ; ni Ségolène Royal qui a réaffirmé l’utilité du nucléaire français pour la transition énergétique.

Tripler les efforts de recherche développement pour les énergies renouvelables ? Fort bien, mais l’Europe a été incapable, et a d’ailleurs renoncé à atteindre le taux de 3% du PIB en recherche développement que préconisait l’agenda de Lisbonne pour l’ « Europe de la Connaissance »

Nous déterminons notre futur !

 Le rapport Stern est beaucoup plus convaincant sur le thème du développement de « l’Economie circulaire ». Au lieu du circuit linéaire allant de l’extraction des ressources primaires aux déchets, en passant par le produit, il s’agit en fait de systématiser le recyclage. Le rapport cite l’exemple de Cat Reman, la filiale de recyclage de Caterpillar qui emploie 8000 salariés dans 15 pays et est bénéfique pour l’environnement et…  source d’importants profits pour Caterpillar, en réutilisant tout ce qui peut l’être et valorisant au mieux le reste, proposant à ses clients des matériels recyclés pour une fraction du prix originel.

Oui le rapport Stern a raison de souligner que les investissements que nous ferons ou ne ferons pas dans les quinze ans à venir détermineront le climat mondial futur ; que si nous ne faisons rien, les catastrophes climatiques nous imposeront un coût bien supérieur aux investissements que nous n’aurions pas voulu faire. De toute façon, le coût humain et sociétal du réchauffement climatique et l’épuisement des ressources ne nous laisse guère de choix : nous devons préparer l’économie décarbonée, et ce défi devrait être déjà l’un des sujets majeurs de préoccupation et d’action des gouvernements. Vive donc les ministères du développement durable, et c’est une bonne idée que de les confier, comme en France, à des hommes ou femmes politiques d’envergure.

Reste que les lobbies de tous acabits seront à la manœuvre, et que cette politique, qui sera d’abord coûteuse, doit être menée sur des bases scientifiques et économiques solides ; et que la politique la mieux adaptée n’est pas nécessairement la même dans toutes les zones géographiques.  Il serait quand même bon que nous ayons, en France et en Europe,  des Etats généraux de l‘énergie, au cours desquels les experts scientifiques s’accorderaient sur différents scénarios et sur les priorités à mettre en œuvre, informeraient le public sur les conséquences et les enjeux et permettaient aux décideurs, en toute transparence, de mettre en œuvre la meilleurs transition possible.
 

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