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lundi 26 janvier 2015

Philippe Aghion : Les pays développés sont-ils condamnés à une croissance lente ?


(Amphis de l’AJEF, Mercredi 21 janvier 2015)
Croissance lente, mais croissance quand même
Rapidement : la réponse est oui. A une croissance lente, mais, pour peu que les gouvernements écoutent les bons économistes, une croissance tout de même. M. Aghion ne croit pas à un arrêt séculaire de la croissance. Jamais les économies n’ont été aussi connectées, les relations entre les pays s’accroissent, jamais les idées n’ont autant circulé, les collaborations internationales sont de plus en plus faciles. Et il existe de nombreux besoins, dans les pays non encore développés, dans la santé, surtout dans la transition énergétique et la fin des énergies carbonées – qu’il faudra bien un jour remplacer.
Nous ne retrouverons pas en Europe les taux de croissance des « trente glorieuses », tout simplement parce qu’elles correspondaient à une période de rattrapage industriel de l‘Amérique. De même, les taux de croissance diminueront dans les pays qui, comme la Chine ou l’Inde, achèvent leur phase de rattrapage sur l’Europe. Nous devrons apprendre à vivre et prospérer sur le front de l’innovation, dans une économie de la connaissance et de l’innovation. Certains pays, les pays rhénans (Allemagne, Pays-Bas) et scandinaves sont bien avancés dans cette voie, d’autres ont jusqu’à présent échoué ( le Japon), d’autres enfin, - la France devraient s’y mettre rapidement…
Ces pays qui ont réussi à entrer dans l’économie de la connaissance et de l’innovation n’ ont pas connu de recul du PIB par tête, ni de baisse du taux de marge des entreprises et de la R&D privée, ni de dégradation de l’école illustrée par la baisse des résultats aux tests Pisa, ni d’augmentation des inégalités sociales – tout le contraire de la situation française qui devient inquiétante. Philippe Aghion insiste particulièrement sur une  réforme de l’école qui se concentrerait sur trois points : la qualité des maîtres, leur formation continue, et le tutorat pour s’assurer que les élèves suivent - des éléments qui font le succès du système finlandais notamment.
Philippe Aghion invite aussi le gouvernement à s’ engager sur une vraie réforme de la formation professionnelle, dont on sait que l’essentiel des fonds sert à financer les organisations syndicales et patronales. Le système allemand est plus efficace : les salariés reçoivent un chèque formation et ils choisissent eux-mêmes l’organisme où se former
Des aberrations fiscales  (contre Thomas Picketty)
Philippe Aghion insiste sur le fait qu’on ne peut plus supposer, comme le font certains, que le poids de la fiscalité n’a pas d’effet négatif sur l’innovation et la croissance. Les effets positifs de la baisse fiscale de 1991 en Suède sont là pour le prouver. L’impôt ne doit plus être considéré comme l’outil principal pour réduire les inégalités ; il vaut mieux jouer sur la formation initiale,  la formation professionnelle, la mobilité du travail favorisée par la flexisécurité, la concurrence sur le marché des biens (parmi les pays de l’OCDE, la France est celui où ce marché est le plus réglementé). Il est donc favorable aux lois Macron, qu’il ne trouve pas assez ambitieuses. Pour renforcer la compétitivité, il est partisan de basculer une partie des cotisations sociales des entreprises vers la TVA (« TVA sociale ») à condition de moduler les effets selon que les produits sont de première nécessité ou non.
Philippe Aghion est donc contre toute hausse de la fiscalité, contre la taxation à 70% du capital notamment, et considère que cette position est validée par  les changements de la politique fiscale suédoise. S’il salue la partie historique du travail de Picketty sur l’augmentation des inégalités, il souligne que rien dans les données accumulées et étudiées par Picketty ne conforte sa théorie selon laquelle les revenus du  capital devraient être taxés comme les revenus du travail. Il rappelle que Le capital c’est de l’épargne, donc un revenu qui a déjà été taxé. Surtaxer l’épargne, c’est prendre le risque de la décourager. Il  faut aussi distinguer entre capital de rente (immobilier) et capital productif, celui qui finance l’innovation. On ne peut pas les traiter de la même manière, sauf à vraiment décourager l’investissement dans l’innovation.  Quant à la fusion IR-CSG, c’est une mauvaise idée pour au moins trois raisons. La CSG est un impôt qui sert à financer la protection sociale. Il est bien accepté, il a une assiette large et non mitée. Tandis que l’IR est un impôt affecté à l’Etat, mal accepté, d’un faible rendement car rogné par toutes sortes d’exonérations. Si l’on fusionne les deux, on risque de contaminer le bon impôt par le mauvais. Pire encore, si la CSG devenait progressive, ce serait un coup de massue sur les classes moyennes.
Compétition et innovation
En matière de politique industrielle, Philippe Aghion s’affirme Shumpeterien, et partisan de la libre concurrence et de la destruction créatrice, les salariés devant être protégés par une bonne mobilité sociale et professionnelle qui constitue leur seule vraie  assurance. Il trouve que la politique industrielle esquissée avec les nouvelles filières est à la fois beaucoup trop colbertiste et trop saupoudrée (34 filières c’est excessif).  Il faut plutôt sélectionner quelques grands secteurs porteurs de croissance – le numérique, les énergies renouvelables – et favoriser la concurrence au sein du secteur ; et surtout ne pas privilégier une entreprise, comme Arnaud Montebourg l’a fait en prenant parti pour Bouygues contre Numericable. Pour lui, la politique des champions nationaux est caduque, car caractéristique des phases de rattrapage.
Schumpeter affirmait que l’incitation principale à innover consistait en l’espoir d’acquérir une rente de monopole. Si c’est le cas, pourquoi vouloir briser artificiellement, par la contrainte réglementaire,  les monopoles qui se forment ? Philippe Aghion reconnaît l’existence d’une courbe en U et d’un point au-delà duquel la compétition défavorise l’innovation, mais considère que nous ne sommes pas dans cette situation. Je n’en suis pas sût du tout, au moins dans certains secteurs, et je pense que se fixer comme  seul objectif la concurrence libre et non-faussée  peut bel et bien avoir des conséquences négatives sur l’innovation. Je reviendrais sur cette question. 
 

 
 

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