(Amphis de
l’AJEF, Mercredi 21 janvier 2015)
Croissance lente,
mais croissance quand même
Rapidement :
la réponse est oui. A une croissance lente, mais, pour peu que les
gouvernements écoutent les bons économistes, une croissance tout de même. M.
Aghion ne croit pas à un arrêt séculaire de la croissance. Jamais les économies
n’ont été aussi connectées, les relations entre les pays s’accroissent, jamais
les idées n’ont autant circulé, les collaborations internationales sont de plus
en plus faciles. Et il existe de nombreux besoins, dans les pays non encore
développés, dans la santé, surtout dans la transition énergétique et la fin des
énergies carbonées – qu’il faudra bien un jour remplacer.
Nous ne
retrouverons pas en Europe les taux de croissance des « trente
glorieuses », tout simplement parce qu’elles correspondaient à une période
de rattrapage industriel de l‘Amérique. De même, les taux de croissance
diminueront dans les pays qui, comme la Chine ou l’Inde, achèvent leur phase de
rattrapage sur l’Europe. Nous devrons apprendre à vivre et prospérer sur le
front de l’innovation, dans une économie de la connaissance et de l’innovation.
Certains pays, les pays rhénans (Allemagne, Pays-Bas) et scandinaves sont bien
avancés dans cette voie, d’autres ont jusqu’à présent échoué ( le Japon),
d’autres enfin, - la France devraient s’y mettre rapidement…
Ces pays qui ont
réussi à entrer dans l’économie de la connaissance et de l’innovation n’ ont
pas connu de recul du PIB par tête, ni de baisse du taux de marge des
entreprises et de la R&D privée, ni de dégradation de l’école illustrée par
la baisse des résultats aux tests Pisa, ni d’augmentation des inégalités
sociales – tout le contraire de la situation française qui devient inquiétante.
Philippe Aghion insiste particulièrement sur une réforme de l’école qui
se concentrerait sur trois points : la qualité des maîtres, leur formation
continue, et le tutorat pour s’assurer que les élèves suivent - des éléments
qui font le succès du système finlandais notamment.
Philippe Aghion
invite aussi le gouvernement à s’ engager sur une vraie réforme de la formation
professionnelle, dont on sait que l’essentiel des fonds sert à financer les
organisations syndicales et patronales. Le système allemand est plus efficace :
les salariés reçoivent un chèque formation et ils choisissent eux-mêmes
l’organisme où se former
Des aberrations
fiscales (contre Thomas Picketty)
Philippe Aghion
insiste sur le fait qu’on ne peut plus supposer, comme le font certains, que le
poids de la fiscalité n’a pas d’effet négatif sur l’innovation et la
croissance. Les effets positifs de la baisse fiscale de 1991 en Suède sont là
pour le prouver. L’impôt ne doit plus être considéré comme l’outil principal
pour réduire les inégalités ; il vaut mieux jouer sur la formation
initiale, la formation professionnelle, la mobilité du travail favorisée
par la flexisécurité, la concurrence sur le marché des biens (parmi les pays de
l’OCDE, la France est celui où ce marché est le plus réglementé). Il est donc
favorable aux lois Macron, qu’il ne trouve pas assez ambitieuses. Pour
renforcer la compétitivité, il est partisan de basculer une partie des
cotisations sociales des entreprises vers la TVA (« TVA sociale ») à
condition de moduler les effets selon que les produits sont de première
nécessité ou non.
Philippe Aghion
est donc contre toute hausse de la fiscalité, contre la taxation à 70% du
capital notamment, et considère que cette position est validée par les
changements de la politique fiscale suédoise. S’il salue la partie historique
du travail de Picketty sur l’augmentation des inégalités, il souligne que rien
dans les données accumulées et étudiées par Picketty ne conforte sa théorie
selon laquelle les revenus du capital devraient être taxés comme les
revenus du travail. Il rappelle que Le capital c’est de l’épargne, donc un
revenu qui a déjà été taxé. Surtaxer l’épargne, c’est prendre le risque de la
décourager. Il faut aussi distinguer entre capital de rente (immobilier)
et capital productif, celui qui finance l’innovation. On ne peut pas les
traiter de la même manière, sauf à vraiment décourager l’investissement dans
l’innovation. Quant à la fusion IR-CSG, c’est une mauvaise idée pour au
moins trois raisons. La CSG est un impôt qui sert à financer la protection
sociale. Il est bien accepté, il a une assiette large et non mitée. Tandis que
l’IR est un impôt affecté à l’Etat, mal accepté, d’un faible rendement car
rogné par toutes sortes d’exonérations. Si l’on fusionne les deux, on risque de
contaminer le bon impôt par le mauvais. Pire encore, si la CSG devenait
progressive, ce serait un coup de massue sur les classes moyennes.
Compétition et
innovation
En matière de
politique industrielle, Philippe Aghion s’affirme Shumpeterien, et partisan de
la libre concurrence et de la destruction créatrice, les salariés devant être
protégés par une bonne mobilité sociale et professionnelle qui constitue leur
seule vraie assurance. Il trouve que la politique industrielle esquissée
avec les nouvelles filières est à la fois beaucoup trop colbertiste et trop
saupoudrée (34 filières c’est excessif). Il faut plutôt sélectionner
quelques grands secteurs porteurs de croissance – le numérique, les énergies
renouvelables – et favoriser la concurrence au sein du secteur ; et
surtout ne pas privilégier une entreprise, comme Arnaud Montebourg l’a fait en
prenant parti pour Bouygues contre Numericable. Pour lui, la politique des
champions nationaux est caduque, car caractéristique des phases de rattrapage.
Schumpeter
affirmait que l’incitation principale à innover consistait en l’espoir
d’acquérir une rente de monopole. Si c’est le cas, pourquoi vouloir briser
artificiellement, par la contrainte réglementaire, les monopoles qui se
forment ? Philippe Aghion reconnaît l’existence d’une courbe en U et d’un
point au-delà duquel la compétition défavorise l’innovation, mais considère que
nous ne sommes pas dans cette situation. Je n’en suis pas sût du tout, au moins
dans certains secteurs, et je pense que se fixer comme seul objectif la
concurrence libre et non-faussée peut bel et bien avoir des conséquences
négatives sur l’innovation. Je reviendrais sur cette question.
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