Un environnement
inquiétant
Les
perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui peuvent interférer
avec les hormones comme l’œstrogène, la testostérone ou les hormones
thyroïdiennes. On les trouve dans les produits de consommation courante comme
les aliments, les cosmétiques, les pesticides et les plastiques. Parmi eux, le
plus célèbre, le bisphénol-A (BPA) est contenu dans les plastiques rigides,
certains tickets de caisse ou le vernis intérieur des boîtes de conserve ; les
phtalates, utilisés dans les parfums et le vinyl ; ainsi que certains
pesticides et retardateurs de flamme. Ce sont des produits extrêmement répandus
dans l’environnement.En 1996, le biologiste américain Von Saal montrait que,
exposés in utero à des concentrations très faibles de BPA (20.000 fois
inférieures à la plus forte concentration alors étudiée), les souris de
laboratoire mâles présentent, une fois adultes, un appareil reproducteur
affecté de malformations et dysfonctionnements. Depuis cette date, plusieurs
milliers d’articles sont parus, suggérant, essentiellement à partir d’études
cellulaires, un lien entre l’exposition au BPA et une « étourdissante variété de
pathologies émergentes » : troubles du métabolisme (diabète de type II,
obésité), et de la fertilité, malformations génitales, problèmes thyroïdiens,
cancers hormono-dépendants (sein, prostate, testicules,), etc, troubles du
comportement. Des maladies en augmentations
quasi-exponentielle- ainsi pour l’autisme : 1/5000 en 1975, 1/500 en 1995,
1/150 en 2005, 1/68 en 2014 !), sans que l’on en connaisse réellement la cause.
Une telle augmentation a pour explication la plus probable (la seule ?) une
origine environnementale. Là encore, les perturbateurs endocriniens sont des
coupables très plausibles, parce que les hormones thyroïdiennes sont impliquées
dans le développement de structures cérébrales complexes. Particulièrement
troublante est également une érosion du QI des nouveaux nés et l’accroissement
d’autres troubles comportementaux tels que l’hyperactivité : « l’intelligence des prochaines générations est
en péril ». Philippe Granjean, Le Monde, 3 dec.14). Pour compliquer les
recherches, il semble que les cellules
humaines soit plus sensibles : ainsi, l’exposition au BPA de testicules réduit
sensiblement la production de testostérone, et cet effet est environ 30 à 100
fois plus sensible sur le testicule humain que sur celui des rongeurs de
laboratoire, rats et souris. Dans certains systèmes, l’effet toxique apparait
non seulement à des doses très faibles, mais s’atténue à des doses plus
élevées, ce qui n’est quand même pas très classique, empêche la fixation d’un
seuil de sécurité, rend les études plus complexes, et pose de sérieuses
questions d’interprétation, sur l’extrapolation à l’organisme entier, et sur
l’effet final obtenu. (voir ci-après)
Bref, d’un côté des endocrinologues, des
biologistes, des pharmacologues convaincus et mettant en évidence une floppée
(trop ?) d’effets des perturbateurs endocriniens dans leurs systèmes ; à
l’autre bout, des épidémiologistes, des spécialistes de la néonatalité qui
constatent une explosion de troubles certainement dus à des facteurs
environnementaux, et qui correspondent assez bien aux effets mis en évidences
par les biologistes. Et, entre les deux ? Des toxicologues renommés, dont la
toxicologie est le métier, qui ne sont pas tous convaincus loin de là.
Procès en sorcellerie
(bis)
La
bataille a débuté cet été avec la publication, dans plusieurs revues savantes,
d'une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues (professeurs ou membres
d'organismes publics de recherche) critiquent les mesures en discussion à
Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci
seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées ». Le
projet en discussion, qui s’inspire largement des mesures déjà prises en France
« est sans base scientifique,…défie le sens commun, la science bien établie et
les principes de l’évaluation des risques ». Ils rappellent que le système
endocrinien (les hormones) est perturbé en permanence, par des facteurs
internes ou externes, et que c’est justement
son rôle biologique d’être perturbé de façon à maintenir l’homéostasie (
l’ensemble des conditions) de l’organisme en présence de facteurs changeants ;
que la perturbation endocrine est un phénomène normal, et ne saurait constituer
un effet toxicologique en soi ; qu’il faut donc distinguer entre des
perturbations qui restent dans le domaine normal de fonctionnement, et des
perturbations extraordinaires conduisant à des effets néfastes sur l’organisme
entier ; qu’un produit ne peut être considéré comme toxique que s’il montre des
effets néfastes dans un organisme animal ou humain entier, et non seulement
dans des systèmes isolés dont la signification et la pertinence homéostatique
n’est pas démontrée ; enfin, que ces études chez l’animal entier doivent
permettre, selon le processus toxicologique normal, d’aboutir à la détermination d’une relation effet-dose et
d’un seuil. Par ailleurs, ils critiquent
aussi la formulation d’un document de travail affirmant que la pertinence des
données (obtenues dans des systèmes animaux) chez l’humain doit être supposée, en l’absence de
démonstration qu’elles ne sont pas pertinentes. Ils soulignent la
quasi-impossibilité logique d’obtenir une telle démonstration de non pertinence
; (sur ce coup-là, ça me semble assez facile d’admettre que la formulation du
document n’est en effet pas très heureuse, mais que sur le fond, les données
animales, compte-tenu, dans certaines expériences, de la plus grande
sensibilité des tissus humains, doivent
être considérées comme inquiétantes…)
La
parution de cette tribune a soulevé d’intenses protestations, mais ce qui est
assez déplaisant, c’est le tour qu’elles ont pris sur le thème maintenant trop
habituel des experts vendus à l’industrie. La guerre est déclarée ont même dit
certains, « La science est devenue l'enjeu d'une guerre dont la plupart des
batailles se jouent derrière la scène »,
la guerre des lobbies industriels contre des mesures qui menacent leurs
intérêts.
Donc
Daniel. Dietrich, rédacteur en chef, Chemico-Biological Interactions ; Bas
Blaauboer, rédacteur pour l’Europe, Toxicology in vitro ; Jan Hengstler,
rédacteur en chef, Archives of Toxicology ; Kai Savolainen, rédacteur pour
l’Europe et le reste du monde, Human and Experimental Toxicology ; Nigel
Gooderham, rédacteur en chef, Toxicology Research ; James P. Kehrer, rédacteur
en chef, Toxicology Letters ; Alan L. Harvey, rédacteur en chef de Toxicon ;
Gio Batta Gori, rédacteur en chef, Regulatory Toxicology and Pharmacology
; et al., tous ces gens qui se font
dénoncer, diffamer, insulter sur des
milliers de sites internet, et qui constituent une part importante du gratin
mondial de la toxicologie, qui, à un moment ou à un autre, ont évidemment eu de
nombreux contrats avec de nombreux industriels, seraient soit des imbéciles
manipulés, soit des comploteurs malhonnêtes vendus à l’industrie ? Encore une
fois, ces procès en sorcellerie sont inadmissibles, fascistes et, en matière de
recherche, il faut réclamer liberté, liberté totale d’exposition, de
discussion, d’appréciation et rappeler qu’aucun débat n’est possible si la
bonne foi de l’interlocuteur est mise en doute
D’ailleurs,
amis des complots, méfiez-vous de tout le monde ! ; s’il existe (peut-être) des
industriels margoulins désireux d’influencer l’opinion pour protéger leur
marché, il existe aussi (peut-être) d’autres industriels tout aussi margoulins
prêts à agir dans l’autre sens et à proposer des substituts…pas encore évalués…
qui seraient plus toxiques….
En attendant la
vérité, agir quand même
Une
vérité positive, scientifique s’établira un jour, intégrant toxicologie,
pharmacologie, endocrinologie. C’est le devoir des scientifiques d’y
travailler, des décideurs de leur en donner les moyens ; et la France, avec le
plan national perturbateurs endocriniens a plutôt bien réagi. Les toxicologues
qui se sont exprimés ont sans doute raison d’éprouver quelques doutes ; pour
autant, devant l’ensemble des données, devant aussi la gravité de l’enjeu, il
me semble qu’on ne peut pas attendre davantage.
Aux
décideurs de décider, dans le doute relatif - sinon il n’y aurait pas besoin
d’eux. Il me semble que la position française, assez rigoureuse, doit être
défendue ; et notamment l’interdiction totale du BPA dans les contenants
alimentaires (biberons !!, et aussi
conserves, canettes, vaisselle et bouteilles de plastique, ustensiles de
cuisine). L’action résolue a déjà permis des résultats notables : l’exposition
au BPA des femmes enceintes a été divisée par trois entre le milieu des années
2000 et 2011. Récompense de la vertu; si la France est suivie, et il faut
espérer que ce soit le cas, d’autres pays européens étant sur la même ligne,
ses industriels, qui ont fait un effort particulier et se sont imposés des
contraintes inexistantes ailleurs auront un coup d’avance.
Mais
pas besoin pour cela d’insulter les scientifiques de position adverse. NB : Ce
billet doit beaucoup, comme bien d’autres, à la chronique Planète de Stéphane
Foucart dans Le Monde (notamment By By BPA, 5 jan 2015) C’est incontestablement
l’une des plus intéressante du domaine, même et surtout lorsque je suis en
désaccord, au moins partiel ; il est très regrettable que sa périodicité
diminue.
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