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jeudi 29 janvier 2015

Perturbateurs endocriniens : interdiction et polémique




Un environnement inquiétant

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui peuvent interférer avec les hormones comme l’œstrogène, la testostérone ou les hormones thyroïdiennes. On les trouve dans les produits de consommation courante comme les aliments, les cosmétiques, les pesticides et les plastiques. Parmi eux, le plus célèbre, le bisphénol-A (BPA) est contenu dans les plastiques rigides, certains tickets de caisse ou le vernis intérieur des boîtes de conserve ; les phtalates, utilisés dans les parfums et le vinyl ; ainsi que certains pesticides et retardateurs de flamme. Ce sont des produits extrêmement répandus dans l’environnement.En 1996, le biologiste américain Von Saal montrait que, exposés in utero à des concentrations très faibles de BPA (20.000 fois inférieures à la plus forte concentration alors étudiée), les souris de laboratoire mâles présentent, une fois adultes, un appareil reproducteur affecté de malformations et dysfonctionnements. Depuis cette date, plusieurs milliers d’articles sont parus, suggérant, essentiellement à partir d’études cellulaires, un lien entre l’exposition au BPA et une « étourdissante variété de pathologies émergentes » : troubles du métabolisme (diabète de type II, obésité), et de la fertilité, malformations génitales, problèmes thyroïdiens, cancers hormono-dépendants (sein, prostate, testicules,), etc, troubles du comportement.  Des maladies en augmentations quasi-exponentielle- ainsi pour l’autisme : 1/5000 en 1975, 1/500 en 1995, 1/150 en 2005, 1/68 en 2014 !), sans que l’on en connaisse réellement la cause. Une telle augmentation a pour explication la plus probable (la seule ?) une origine environnementale. Là encore, les perturbateurs endocriniens sont des coupables très plausibles, parce que les hormones thyroïdiennes sont impliquées dans le développement de structures cérébrales complexes. Particulièrement troublante est également une érosion du QI des nouveaux nés et l’accroissement d’autres troubles comportementaux tels que l’hyperactivité : «  l’intelligence des prochaines générations est en péril ». Philippe Granjean, Le Monde, 3 dec.14). Pour compliquer les recherches,  il semble que les cellules humaines soit plus sensibles : ainsi, l’exposition au BPA de testicules réduit sensiblement la production de testostérone, et cet effet est environ 30 à 100 fois plus sensible sur le testicule humain que sur celui des rongeurs de laboratoire, rats et souris. Dans certains systèmes, l’effet toxique apparait non seulement à des doses très faibles, mais s’atténue à des doses plus élevées, ce qui n’est quand même pas très classique, empêche la fixation d’un seuil de sécurité, rend les études plus complexes, et pose de sérieuses questions d’interprétation, sur l’extrapolation à l’organisme entier, et sur l’effet final obtenu. (voir ci-après)

Bref,  d’un côté des endocrinologues, des biologistes, des pharmacologues convaincus et mettant en évidence une floppée (trop ?) d’effets des perturbateurs endocriniens dans leurs systèmes ; à l’autre bout, des épidémiologistes, des spécialistes de la néonatalité qui constatent une explosion de troubles certainement dus à des facteurs environnementaux, et qui correspondent assez bien aux effets mis en évidences par les biologistes. Et, entre les deux ? Des toxicologues renommés, dont la toxicologie est le métier, qui ne sont pas tous convaincus loin de là.

Procès en sorcellerie (bis)

La bataille a débuté cet été avec la publication, dans plusieurs revues savantes, d'une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues (professeurs ou membres d'organismes publics de recherche) critiquent les mesures en discussion à Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées ». Le projet en discussion, qui s’inspire largement des mesures déjà prises en France « est sans base scientifique,…défie le sens commun, la science bien établie et les principes de l’évaluation des risques ». Ils rappellent que le système endocrinien (les hormones) est perturbé en permanence, par des facteurs internes ou externes, et que c’est justement  son rôle biologique d’être perturbé de façon à maintenir l’homéostasie ( l’ensemble des conditions) de l’organisme en présence de facteurs changeants ; que la perturbation endocrine est un phénomène normal, et ne saurait constituer un effet toxicologique en soi ; qu’il faut donc distinguer entre des perturbations qui restent dans le domaine normal de fonctionnement, et des perturbations extraordinaires conduisant à des effets néfastes sur l’organisme entier ; qu’un produit ne peut être considéré comme toxique que s’il montre des effets néfastes dans un organisme animal ou humain entier, et non seulement dans des systèmes isolés dont la signification et la pertinence homéostatique n’est pas démontrée ; enfin, que ces études chez l’animal entier doivent permettre, selon le processus toxicologique normal, d’aboutir à  la détermination d’une relation effet-dose et d’un seuil.  Par ailleurs, ils critiquent aussi la formulation d’un document de travail affirmant que la pertinence des données (obtenues dans des systèmes animaux) chez l’humain  doit être supposée, en l’absence de démonstration qu’elles ne sont pas pertinentes. Ils soulignent la quasi-impossibilité logique d’obtenir une telle démonstration de non pertinence ; (sur ce coup-là, ça me semble assez facile d’admettre que la formulation du document n’est en effet pas très heureuse, mais que sur le fond, les données animales, compte-tenu, dans certaines expériences, de la plus grande sensibilité des tissus  humains, doivent être considérées comme inquiétantes…)

La parution de cette tribune a soulevé d’intenses protestations, mais ce qui est assez déplaisant, c’est le tour qu’elles ont pris sur le thème maintenant trop habituel des experts vendus à l’industrie. La guerre est déclarée ont même dit certains, « La science est devenue l'enjeu d'une guerre dont la plupart des batailles se jouent derrière la scène »,  la guerre des lobbies industriels contre des mesures qui menacent leurs intérêts.

Donc Daniel. Dietrich, rédacteur en chef, Chemico-Biological Interactions ; Bas Blaauboer, rédacteur pour l’Europe, Toxicology in vitro ; Jan Hengstler, rédacteur en chef, Archives of Toxicology ; Kai Savolainen, rédacteur pour l’Europe et le reste du monde, Human and Experimental Toxicology ; Nigel Gooderham, rédacteur en chef, Toxicology Research ; James P. Kehrer, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; Alan L. Harvey, rédacteur en chef de Toxicon ; Gio Batta Gori, rédacteur en chef, Regulatory Toxicology and Pharmacology ;  et al., tous ces gens qui se font dénoncer, diffamer, insulter  sur des milliers de sites internet, et qui constituent une part importante du gratin mondial de la toxicologie, qui, à un moment ou à un autre, ont évidemment eu de nombreux contrats avec de nombreux industriels, seraient soit des imbéciles manipulés, soit des comploteurs malhonnêtes vendus à l’industrie ? Encore une fois, ces procès en sorcellerie sont inadmissibles, fascistes et, en matière de recherche, il faut réclamer liberté, liberté totale d’exposition, de discussion, d’appréciation et rappeler qu’aucun débat n’est possible si la bonne foi de l’interlocuteur est mise en doute

D’ailleurs, amis des complots, méfiez-vous de tout le monde ! ; s’il existe (peut-être) des industriels margoulins désireux d’influencer l’opinion pour protéger leur marché, il existe aussi (peut-être) d’autres industriels tout aussi margoulins prêts à agir dans l’autre sens et à proposer des substituts…pas encore évalués… qui seraient plus toxiques….

En attendant la vérité, agir quand même

Une vérité positive, scientifique s’établira un jour, intégrant toxicologie, pharmacologie, endocrinologie. C’est le devoir des scientifiques d’y travailler, des décideurs de leur en donner les moyens ; et la France, avec le plan national perturbateurs endocriniens a plutôt bien réagi. Les toxicologues qui se sont exprimés ont sans doute raison d’éprouver quelques doutes ; pour autant, devant l’ensemble des données, devant aussi la gravité de l’enjeu, il me semble qu’on ne peut pas attendre davantage.
Aux décideurs de décider, dans le doute relatif - sinon il n’y aurait pas besoin d’eux. Il me semble que la position française, assez rigoureuse, doit être défendue ; et notamment l’interdiction totale du BPA dans les contenants alimentaires  (biberons !!, et aussi conserves, canettes, vaisselle et bouteilles de plastique, ustensiles de cuisine). L’action résolue a déjà permis des résultats notables : l’exposition au BPA des femmes enceintes a été divisée par trois entre le milieu des années 2000 et 2011. Récompense de la vertu; si la France est suivie, et il faut espérer que ce soit le cas, d’autres pays européens étant sur la même ligne, ses industriels, qui ont fait un effort particulier et se sont imposés des contraintes inexistantes ailleurs auront un coup d’avance.

Mais pas besoin pour cela d’insulter les scientifiques de position adverse. NB : Ce billet doit beaucoup, comme bien d’autres, à la chronique Planète de Stéphane Foucart dans Le Monde (notamment By By BPA, 5 jan 2015) C’est incontestablement l’une des plus intéressante du domaine, même et surtout lorsque je suis en désaccord, au moins partiel ; il est très regrettable que sa périodicité diminue.
 

 

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