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dimanche 22 mars 2015

Le Monopole est vertueux, efficace, bon pour l’innovation


L’objet de cet article est de discuter l’opinion dominante selon laquelle les priorités accordées à la préservation de la concurrence libre et non faussée et aux sanctions contre les monopoles, voire à leur démantèlement,  à la politique des prix les plus bas pour les consommateurs  est une politique favorable à l’innovation. Il nous semble même qu’elle met en péril la durabilité et l’existence même d’écosystèmes favorisant l’innovation. Au contraire, une politique consistant à laisser les monopoles fonctionner librement et profiter d’avantages qu’ils ont su conquérir légitimement nous parait avantageuse en matière d’innovation et de durabilité, et aux consommateurs eux-mêmes en dernier ressort.

1)  Il existe un lien bien établi entre monopole et innovation, et ce lien a été universellement reconnu ; c’est le principe même du brevet. Il serait certainement intéressant de se pencher sur les controverses historiques, par exemple entre James Watt, favorable au brevet, et Rumford, qui était contre, mais la messe est dite, maintenant universelle : le monopole accordé par un brevet est considéré comme le moyen le plus efficace et légitime de récompenser et d’encourager l’innovation.
2) Schumpeter considérait que la recherche d’une rente de monopole constitue l’un des motifs les plus puissants pour entreprendre ; la logique s’appliquant même en économie, on peut donc en considérer la contraposée, c’est-à-dire qu’un des meilleurs moyens de décourager l’innovation est sans doute de démanteler ou sanctionner des monopoles qui se sont construits sur la recherche, sur le financement audacieux et aventuré de la recherche et du développement, sur une vision novatrice de nos besoins et de l’évolution de nos sociétés.
3) Les libéraux les plus conséquents, tels les disciples d’Hayek se montrent en toute logique très méfiant envers toute intervention étatique, et plus encore super-étatique, pour démanteler des monopoles. De leur point de vue, si un monopole s’établit, s’impose, survit, c’est qu’il y a des raisons pour cela. Lorsque la position de monopole repose sur une invention de rupture résultat d’années de recherche (barrière scientifique), par la maîtrise d’une technologie unique et les investissements conséquents qu’il a fallu pour la développer (barrière technologique), par la vision futuriste d’un dirigeant ou groupe dirigeant, il est sans doute juste que ceux qui ont participé à cette aventure en retirent des bénéfices importants. Soit un monopole répond efficacement à certains besoins, soit il disparaîtra.
4) Schumpeter a décrit deux régimes favorables à l’innovation ; on ne parle habituellement que la « destruction créatrice », mais il avait aussi théorisé l’ « accumulation créatrice ». Pour Schumpeter, le régime dit « entrepreneurial » se caractérise par des industries « fluides », avec des barrières à l’entrée peu élevées ; le processus de destruction créatrice joue ici un rôle important ; l’accumulation créatrice se caractérise par des barrières à l’entrée des compétiteurs et des connaissances cumulatives générées dans un processus « routinier » au sein des départements de R et D des grandes entreprises.
Dans une présentation  assez analogue et plus récente, l’économiste  et Prix Nobel 2014 Jean Tirole (cf notamment, Théorie de l’organisation industrielle, Economica, 1993) oppose l’effet de remplacement à l’effet  d’efficience ; dans ce second cas, lorsqu’une  firme en concurrence investit, elle reste confrontée à la concurrence et réalise des profits inférieurs à ceux qu’auraient réalisé un monopole. L’innovation est alors moins rémunératrice pour la firme en concurrence.
5) le monopole est le seul à permettre des bénéfices suffisants pour continuer à pouvoir financer une recherche fondamentale et des innovations de rupture.
6) Partout, en tous temps et en tous lieux, l’ouverture à la concurrence a signifié moins d’argent pour la recherche ; et lorsque celle-ci subsiste, ce sont les innovations incrémentales qui sont favorisées par rapport aux innovations de rupture. Il existe maintenant des milliers d’exemples permettant d’affirmer que pratiquement à chaque fois, l’ouverture à la concurrence signifie que l’on prend l’argent des budgets de recherche pour l’affecter aux agences de communication et à la publicité.
7) Que l’on compare ce que furent les laboratoires de Bell téléphone, avec la découverte du bruit de fonds cosmologique par les futurs Prix Nobel Penzias, et encore la découverte du transistor, celle du langage UNIX, du laser à CO2, les caméras CCD ave leur successeurs. Les laboratoires Bell ont été sacrifiés sur l’autel du culte de la concurrence libre et non-faussée, démembrés en plusieurs Baby Bells qui  n’ont pas marqué et vraisemblablement, ne marqueront pas, l’histoire des sciences et des techniques.
Dans les laboratoires d’IBM ont été notamment inventé le langage Fortran, l’architecture RISC, les bases de données relationnelles... Gerd Binnig et Heinrich Rohrer, en 1981, ont inventé le microscope à effet tunnel, instrument de recherche fondamental aux immenses applications, de l’électronique à la biologie, pour lequel ils ont reçu le Prix Nobel. En 1986, Johannes Bednorz et Karl Müller ont découvert un nouveau type de supraconductivité à une température de 35 K : deux autres Prix Nobel pour IBM. Je n’ai pas l’impression que les actions anti-trust menées contre IBM et l’intensification de la concurrence permettront de maintenir une recherche de ce niveau.
Dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, où la recherche fondamentale était largement prise en charge par l’industrie, la concurrence accrue, notamment par l’introduction des génériques, soutenue par les Etats, - et qui constitue au fonds un mépris du système des brevets- a eu pour effet un effondrement de l’innovation thérapeutique, son désengagement de la recherche qu’elle sous-traite de plus en plus, et finalement la disparition de la machine à inventer des médicaments qu’a été l’industrie pharmaceutique pendant plus de cinquante ans.
En fait, le démantèlement des monopoles a, dans de nombreux cas, favorisé l’apparition de firmes qui, pour ce qui est de l’innovation, ont vécu de façon parasitaire au détriment des monopoles.
8) Le monopole n’a pas à se préoccuper outre-mesure de ses investisseurs, il n’est pas soumis aux stratégies court-termistes de la Bourse, il est moins soumis à une concurrence par les prix, et peut accorder à ses salariés, en particulier chercheurs, de meilleures conditions de salaire et de travail. En ce qui concerne plus spécifiquement la recherche, il peut mener des programmes de recherche fondamentale, rechercher des innovations de rupture et attirer les meilleurs chercheurs, en leur accordant les moyens et le temps nécessaires.
9) Cela est assez compréhensible. Le principal souci qu’a le dirigeant d’un monopole, chaque matin, en arrivant à son travail est le suivant : qu’est-il apparu hier dans le vaste monde qui puisse menacer mon monopole ? Pour cette même raison, le monopole ne néglige pas, contrairement à ce qui est parfois affirmé, ses clients, et veillera à comprendre et anticiper les besoins, les évolutions, les stratégies alternatives qui pourraient menacer son monopole. S’il ne le fait pas, il y a peu de chances qu’il reste monopole.
Un argument souvent entendu est que si le monopole a la motivation et les moyens de mener une veille technologique intense et à identifier les innovations de rupture qui pourraient le menacer, il n’est pas forcément très motivé à les mettre en pratique et pourrait retarder des innovations. Il prendrait un grand risque, et dans le droit des brevets figurent des dispositions qui pénalisent les tactiques d’obstructions, qui peuvent aller jusqu’à des licences obligatoires. Elles pourraient être utilisées plus souvent ; il est assez facile de remédier aux inconvénients de ce type.
En bref, la priorité accordée, en particulier par l’Union Européenne, à la lutte contre les monopoles nous semble mettre en péril la durabilité et l’existence même d’écosystèmes favorisant l’innovation. Cette politique n’est ni juste, ni efficace, ni de nature à assurer un progrès durable dont nous avons besoin, autant que par le passé. Les tragiques conséquences pour l’industrie de l’aluminium européenne de l’interdiction par la Commission Européenne de fusion Péchiney/Alcan sont là pour le prouver.
L’Ecole d’Economie de Toulouse ; j’ai eu l’occasion de discuter deux fois de ce sujet avec des membres éminents de l‘Ecole d’Economie de Toulouse. Une première fois, il m’a été affirmé que l’accumulation créatrice de Schumpeter datait d’une période où il traversait une sévère dépression…Une seconde fois, que bien sûr, si l’on représentait l’innovation en fonction de l’intensité de la concurrence, on obtenait une courbe en U inverse … , mais que quasiment toujours, l’on était du côté où la concurrence exerçait un effet bénéfique sur l’innovation (??,  sans aucune indication sur les paramètres caractérisant la position du maximum) ; mais, plus récemment, Paul Seabright ( par ex Le Monde  28/01/2013) remarquait un ralentissement de l’innovation, en particulier pour l’industrie pharmaceutique. La révélation dans le cassoulet ? 
Eric Sartori

 

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