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mardi 17 mars 2015

Recherche pharmaceutique : le ciel est rouge - aube ou crépuscule


Un singulier article

C’est sur un ton très désabusé que John J. Baldwin résume sa carrière dans la recherche pharmaceutique (Annual Reports in Medicinal Chemistry, Vol49). Chimiste thérapeutique de formation, il a travaillé trente ans pour les laboratoires Merck et est à l’origine de la découverte de plusieurs médicaments majeurs, notamment deux inhibiteurs d’anhydrase carbonique pour le traitement du glaucome (Trusopt et Cosopt), un antithrombotique (Aggrastat), un des premiers  anti-viraux cintre le Sida (Indinavir, inhibiteur de protéase). Ayant dû quitter Merck, il a ensuite lancé une Biotech, Pharmacopeia, qui fut parmi les premières à exploiter les possibilités offertes par les nouvelles techniques de screening à haut débit, puis il fut impliqué dans le développement de la firme chinoise de recherche sous contrat Wu-xi. J’ai reproduit ici le constat qu’il dresse, au ton tout à fait inhabituel dans un article d’hommage d’une revue scientifique.

En bref – les firmes pharmaceutiques abandonnent progressivement ce qui constituait leur cœur de métier, la recherche pharmaceutique, devenue de plus en plus coûteuse et risquée - Comme la découverte de nouveaux médicaments est la principale source de valeur, elles ne sauveront pas en devenant des vendeurs de médicaments génériques considérés comme des commodités , et il n’y aura pas de miracle des pays émergents – l’externalisation de la recherche, avec des schémas de partages de risque/profit entre biotech et Big Pharma( où les biotech prennent les risques et les Big Pharma les profits…) ne permettra pas de remédier au ralentissement de la découverte de npuveaux médicaments – Cette externalisation a aussi permis le développement de concurrents asiatiques dans la recherche elle-même, et l’affaiblissement des pays occidentaux.- Ces évolutions ont eu un impact clairement négatif pour tous ceux qui travaillent dans la recherche thérapeutique, et pour tous ceux qui souhaiteraient entrer dans cette carrière.

Pour le dire autrement et peut-être plus crûment que M. Baldwin, je n’oserais aujourd’hui conseiller à personne d’entrer dans la recherche pharmaceutique.

La disparition d’un modèle ; échec des mégafusions

En 1993, Merck a commencé à se préparer au XXIème siècle et à la chute massive de brevets dans le domaine public qui s'annonçait. Le plus facile consistait à réduire le personnel au moyen d'un régime incitatif de retraite. Ces réductions  imposaient des décisions difficiles non seulement pour la gestion, mais aussi pour les personnes concernées. Cette politique de  Merck, mais aussi de bien d’autres sociétés, a marqué la disparition de l'engagement continu d'un chercheur par une seule entreprise et la fin de la conviction que l'engagement réciproque de la société serait également honoré. Une nouvelle ère dans la relation entreprise/salarié avait commencé. Cette nouvelle réalité est devenu encore plus évidente au cours de la dernière décennie, et elle doit être prise en compte par les professionnels et les étudiants lorsqu’ils font le choix d’une carrière.

Je me suis ajusté à cet apparent changement évolutif en décidant non seulement de choisir l'offre de départ de Merck, mais de lancer une nouvelle entreprise, Pharmacopeia…

Revenant sur les débuts de l'ère de la biotechnologie, il est clair que créer une entreprise en ce secteur continue d'être un exercice à haut risque. Que l'entreprise soit grande ou petite, il faut encore des années et plus de 1 milliard de dollars pour découvrir et développer une entité chimique nouvelle (NCE). Cela oblige la firme de biotechnologie à être constamment dans une recherche constante de financement et à imaginer constamment des stratégies de sortie viable. Ces dernières années n'ont pas été des plus faciles, surtout pour les grandes compagnies pharmaceutiques, qui ont dû faire face à un ralentissement du rythme des découvertes, à des produits majeurs tombant dans le domaine public et génériqués, à des coûts plus élevés de R&D et de plus longs délais d'approbation. Pour lutter contre ce phénomène, une gamme de nouvelles stratégies de survie a été élaborée et adoptée, principalement une série de méga-fusions avec comme conséquences des coupes claires en matière d’emplois dans la recherche. La découverte de nouvelles entités chimiques ( nouveaux médicaments) étant le facteur principal de création de valeur, il était peu probable que les stratégies de méga-fusion augmenteraient la valeur de l'industrie pharmaceutique. De faits, des fusions comme Merck/Schering-Plough, Pfizer / Wyeth, Bayer/Schering et Sanofi/Aventis, au mieux, ont seulement résulté en une stabilisation à court terme. L'histoire nous enseigne que ces fusions n'augmentent pas la productivité et la création de valeur. Les licenciements massifs ont stimulé une tendance à la sous-traitance qui s’est accéléré au cours des dix dernières années. Les licenciements liés aux fusions/acquisitions ont atteint 130.000 personnes entre 2005 et 2008, et maintenant plus de 300.000 au total dans le secteur de la recherche ; peu d'entreprises ont été épargné : Merck, Pfizer, Novartis, Abbott, Astra Zeneca, Teva, Sanofi,Johnson & Johnson, Eisai, Bayer… Des alliances entre grandes compagnies pharmaceutiques se sont développées, ainsi qu’entre firmes et centres universitaires, dans l’idée de partager les coûts et les risques. Il y a eu une externalisation de la recherche pharmaceutique ; des firmes comme Wuxi, qui ont été parmi les premières à se positionner sur le marché en expansion de la sous-traitance de la recherche, ont connu une expansion fulgurante- Wu-Xi comte aujourd(hui 6000 chercheurs et a été introduit en 2000 à la Bourse de New-York.

Comme stratégie de croissance, les Big Pharma se sont tournées vers les marchée émergents. Toutrefois, ces marchés se sont montrés résistants à l’introduction de médicaments brevetés, et ont préféré faire reposer l’amélioration de la santé sur la disponibilités de médicaments génériques à faibles coûts. Même en se développant leurs propres génériques, les Big Pharma se heurtent à des équivalents locaux moins chers, à des politiques rigoureuses de contrôle des prix et de licences forcées. Même en tenant compte de la croissance rapide de leurs économies, ces marchés émergents ne peuvent constituer la réponse aux problèmes des firmes pharmaceutiques d’aujourd’hui.

Un impact clairement négatif pour tous ceux qui travaillent dans la recherche thérapeutique

Avec la légère augmentation ces deux dernières années (2011-2012) du nombre de nouveaux médicaments acceptés par la FDA, il a été suggéré que le pire, en ce qui concerne la baisse de productivité de la recherche industrielle pharmaceutique, était derrière nous. Si l’on considère cependant que les médicaments aujourd’hui mis sur le marché ont été découvertes dans les années 1990 à 2000, il est raisonnable de penser que que la baisse de productivité de la recherche pharmaceutique continuera à se faire sentir pendant au moins toute le prochaine décennie, et au-delà.

Il est fortement improbable que les institutions gouvernementales, comme le National Institute of Health et le National Cancer Institute puisse se substituer à l’efficace machine de la recherche pharmaceutique industrielle qui a apporté, dans le passé, tant de nouveaux médicaments. La santé dans nos sociétés dépendra de plus en plus de médicaments génériques, les nouveaux médicaments représentant un pourcentage de moins en moins important des ventes totales. Sous pression des gouvernements, les génériques deviendront des biens de commodité, générant de faibles profits. Nous verrons alors se développer les pénuries dues à des conditions de production dégradées, des contrôles de qualité insuffisant, qui entraineront la fermeture d’usines et des rappels par les agences de santé – comme nous avons déjà pu le constater récemment.

Les firmes pharmaceutiques vont de plus en plus se demander si cela vaut la peine de continuer la recherche pour des médicaments qui ne seraient vendus que pour de faibles volumes et des prix élevés. Nos sociétés elles-mêmes devront décider si elles acceptent de payer un prix élevé pour des médicaments qui prolongent la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave pour une courte période de temps ; elle devront faire face à des questions éthiques redoutables.

Les choses ont changé depuis que j’ai foulé pour la première fois le sol du centre de recherche de Merck. Ces changements, et les stratégies qui en ont résulté, que je viens de discuter ont eu un impact clairement négatif pour tous ceux qui travaillent dans la recherche thérapeutique, et pour tous ceux qui souhaiteraient entrer dans cette carrière. Le ciel est rouge, mais il est difficile de dire s’il s’agit d’une aube ou d’un crépuscule. Le futur nous montre une route vers la guérison bien encombrée d’obstacles.  

A Personal Essay: My Experiences in the Pharmaceutical Industry John J. Baldwin
 
 

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