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lundi 22 juin 2015

Bioéthique : Noirs nuages ou âge des Lumières -2?

Dans un premier billet, j’ai commencé à expliquer à quel point les progrès de la génétique et de la médecine, en particulier en ce qui concerne le décryptage du génome et la prédiction des maladies ou des réponses aux médicaments devraient sérieusement secouer les membres du Comité d’éthique, tant, d’abord,  ils proposent de nouvelles solutions pour de meilleures vies,  ensuite, posent de nouveaux défis, qui doivent être traités dans une société qui semble assez divisée, un contexte législatif souvent absurde voire révoltant quant à ce que la loi autorise ou interdit, de fortes injustices selon le degré de savoir, les moyens financiers, les relations sociales ,un comité d’éthique systématiquement en retard sur les demandes de la société. Ci-joint, dans  ce deuxième billet, d’autres exemples assez décoiffants.
Les Bébés à trois ADN

Les mitochondries sont les « centrales énergétiques » des cellules ; elles disposent de leur propre ADN, qui n’est transmis que par la mère. Les signes les plus fréquents d'une maladie mitochondriale sont un une myopathie ou une fatigabilité musculaire excessive, une cardiomyopathie, une diminution de la vision et de l'audition, et souvent aussi des signes neurologiques graves : encéphalopathie, épilepsie, la démence, ataxie… Elles frappent environ un nouveau-né sur 6500
En février 2015, le Parlement britannique a autorisé la fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial. Lorsqu’une femme est à risque de transmettre une maladie mitochondriale, on peut lui proposer une fécondation in vitro, avec  des ovocytes maternels dont seul le noyau a été gardé, l’ovocyte d’une donneuse, séparé de son noyau et contenant des mitochondries saines, et le sperme de son mari ou compagnon. L’enfant qui naitra nait ainsi de trois parents, de trois ADN différents. David Cameron, qui a vu mourir à six ans un de ses enfants handicapés, a  commenté ainsi le vote : « Si la science peut aider (…), nous devons nous assurer que ces traitements sont disponibles» ; et, pour sa ministre de la santé, c'est «la lumière au bout d'un noir tunnel». Ce traitement n’est pas autorisé en France. Ethique au-delà du Channel, interdit en deçà, lumière au-delà, obscurité en deçà !

Manipulation génétique sur l’embryon humain
En avril 2015, une équipe chinoise  a publié la première tentative de thérapie génique sur un embryon humain. Il s’agissait d’embryons présentant une mutation génétique entrainant la beta thalassémie (une hémoglobine déficiente pouvant entrainer de graves anémies). Utilisant les possibilités nouvelles d’ « édition génétique » qu’offrent les techniques crispR/cas9 (possibilité d’insérer de manière beaucoup plus spécifique un gêne donné à un endroit donné), les chercheurs chinois ont tenté de remplacer le gêne hémoglobine mutant par un gêne fonctionnel. Disons tout de suite que le résultat a été assez décevant : la modification génétique attendue ne s’est produite que dans 4 embryons sur 54, et des insertions se sont produites, en nombre important, en d’autres endroits du génome. Les Chinois le reconnaissent : la technique est loin d’être assez mature pour permettre d’envisager un clonage humain thérapeutique. Dans le cas présent, il ne s’agissait que d’une expérience sur des embryons humains non viables, issus d’une tentative de FIV, destinés à la recherche, avec consentement des donneurs, et sans visée de réimplantation.

Pour autant, ces manipulations sur l’embryon humain sont interdites dans quasiment tous les pays occidentaux, et un certain nombre de chercheurs ont demandé un moratoire sur ce type de recherches dans la revue Nature… pas même un mois avant la publication de l’étude chinoise (d’ailleurs refusée par quelques grandes revues scientifiques). Clairement, ce moratoire ne tiendra pas – en dehors d’être inefficace, est-il seulement éthique ? La recherche continuera, en Occident ou ailleurs et, probablement un jour, la technique permettra de corriger de manière très fiable une mutation dans un embryon humain. Considérerons-nous que le bébé qui en naîtra sera un clone (horreur ?), ou simplement un bébé guéri (super !) ?
Là encore, la communauté scientifique est partagée. Nicole Le Douarin, Pr au Collège de France est plutôt favorable « Je suis pour le progrès, pas pour la peur. Il ne faut pas rejeter cette technique, car elle peut avoir des applications très intéressantes, à condition que celles-ci soient rigoureusement encadrées. Imaginez que cela permette à terme d’éradiquer une maladie monogénique comme la mucoviscidose… » (Sciences et avenir, juin 2015). Axel Kahn parle lui de « l’attrait médiatique et symbolique de l’interdit et du scandaleux » (id.) et précise « il existe une manière beaucoup plus aisée et sûre pour permettre la naissance d’un enfant sain : la diagnostic prénatal ou préimplantatoire, avec élimination des embryons porteurs d’un défaut génétique ». Décidément, les déclarations des membres anciens ou actuels du Comité Consultatif National d’Ethique me laissent de plus en plus pantois. Au nom de quoi, à la place de qui a-t-on le droit de décider que l’élimination des embryons défectueux est plus éthique que la recherche de techniques permettant de les soigner ?
Diagnostic préimplantatoire (sélection des embryons) pour le cancer du sein

Pour la première fois en France, un couple dont la femme est porteuse de la mutation BRCA1, prédisposant aux cancers du sein (risque multiplié par 4-6) et de l’ovaire (risque multiplié par 10 à 50) a été autorisé à faire pratiquer un diagnostic préimplantatoire, de façon à s’assurer que l’enfant née par fécondation artificielle ne sera pas frappée par cette malédiction. Ceci avait déjà été accepté pour d’autres cancers où le déterminisme génétique est encore plus important (rétinoblastome, Li Fraumeni)
Cette démarche est autorisée depuis 2009 en Angleterre (encore le Channel comme barrière éthique !) ; En France, jusqu’à présent, toutes les demandes avaient été refusées (par qui, au nom de quoi ?). Un rapport de 2008 avait recommandé , pour les gènes BCRA1 et A2 de ne pas proposer un DPI, sauf certains cas "où la demande serait tout de même recevable » (par qui, au nom de quoi ?). L’onco  généticien Pascal Pujol parle « d’une subjectivité incroyable » (Le Monde, mercredi17 juin 2015). Et si l’on accepte le recours possible au diagnostic préimplantatoire, je ne vois aucune raison de refuser la liberté du  dépistage de BCRA1, tel que le propose , par exemple, 23andme. Bref, quand la France bouge en ce domaine, c’est dans l’arbitraire et l’injustice.

Oui, il est vraiment temps que le Comité Consultatif National d’Ethique se mette au travail - l’arbitraire et l’injuste s’accumulent. Il serait temps aussi qu’il place au premier plan la volonté des patients, et de la société en général ; qu’il écoute un peu  moins ceux qui, pour des raisons religieuses ou par routine médicale, s’accommodent fort bien d’une Humanité qui devrait rester un minimum et à jamais souffrante. Le positiviste que je suis considérerait volontiers comme éthique, très simplement, toute technique suffisamment sûre qui permet de soulager le malheur des gens.
 
 

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