Avant de sombrer pour cause de Brexit, le gouvernement
britannique s’était lancé dans un effort louable et sans précédent pour attirer
l’attention de la communauté scientifique internationale et des décideurs politiques et économiques
sur le danger de la résistance croissante aux antibiotiques. Ce thème a fait
l’objet de plusieurs rapports dont l’organisation et la synthèse ont été
confiés à l'économiste et ancien président de la gestion d'actifs de Goldman
Sachs, Jim O'Neill, l’idée étant que les
seules conséquences pour la santé publique paraissant insuffisantes à attirer
l’attention des politiques, qui chaque fois qu’ils entendent ce mot santé
craignent des dépenses supplémentaires,
ils seraient peut-être plus attentifs si un économistes leur montrait en plus
les conséquences économiques. Sur ce point, le rapport final de Jim O'Neill (Tackling drug-resistant infections globally:
final report and recommendations), remarquable, ne devrait pas les
décevoir :
10 millions de morts par ans
La
résistance aux antibiotiques est déjà la cause d’un « très choquant »
nombre de 700.000 victimes par ans.
Elle
pourrait causer 10 millions de morts supplémentaires par an d’ici 2050, soit un
décès toutes les trois secondes. Plus que le cancer !
Le
coût d’ici à 2050 représenterait 100 millions de millions de dollars
Et les auteurs notent que pendant les 18 mois de la
rédaction de leur rapport, ils ont assisté à l’émergence de résistances dont
ils ne pensaient pas qu‘elles apparaitraient aussi tôt, par exemple les
résistances à la colistine, l’un des antibiotiques de dernier recours, fin 2015
(en Chine, en Inde et aux USA), l’une des causes étant l’utilisation de cetantibiotique
dans des élevage, notamment de porcs en Chine). Les Chinois commencent à
s’inquiéter tellement de la situation qu’ils ont contribué (mais pas eux
seulement) à créer qu’ils ont été les premiers avec les britanniques à accepter
de doter un fonds consacré à l’innovation en ce domaine, pour 72 millions de
dollars chacun.
Les
préconisations
- une campagne
internationale publique de développement sur les conséquences de l’émergence
des résistances aux antibiotiques
- Réduire de manière drastique l’utilisation des
antibiotiques dans les élevages. Il faut améliorer la
surveillance mondiale, afin de connaître l’ampleur de l’usage des antibiotiques
dans le secteur agricole de chaque partie du monde. Des objectifs de diminution
devront alors être proposés par chaque gouvernement, leur laissant une certaine
flexibilité pour la décroissance. Il faut
cependant faire progresser beaucoup plus rapidement l’interdiction ou la
restriction chez les animaux d’antibiotiques vitaux pour la santé humaine...Le
rapport propose également de promouvoir le développement et l’utilisation des
vaccins et autres solutions de rechange ;
- Encourager l’innovation et
changer l’économie de l’antibiothérapie
Aucune classe réellement nouvelle d’antibiotiques n’a émergé depuis des
décennies (à l’exception du linezolid). Le marché des antibiotiques n’est pas
du tout attractif pour une compagnie pharmaceutique. Si le marché global est
assez important (40 milliards), les ventes des produits sous brevet ne
représentent que.7 milliards de dollars environ, soit les ventes d’un seul
blockbuster dans le domaine du cancer. A cela s’ajoute la difficulté de la
recherche et le fait que le marché initial sera faible, puisqu’un nouvel
antibiotique sera réservé à l’usage hospitalier (ce qui est une saine mesure).
Le groupe a donc estimé qu’il fallait de nouvelles et meilleures
incitations pour promouvoir l’investissement dans le domaine de la recherche en
antibiothérapie. Il a proposé un système
de ticket d’entrée à 1 milliard de dollars pour toute découverte d’un nouvel
antibiotique actif sur les pathogènes résistants, qu’il appartienne ou non à une nouvelle
famille, à condition qu’il soit disponible dans toute région du monde où il est
nécessaire, et que son utilisation soit limitée au traitement des infections
résistantes ( parmi lesquelles les tuberculoses, les gonorrhées, les pathogènes
gramme négatifs et quelques infections fongiques) sont plus particulièrement
urgentes.
Cette idée devait être discutée à un prochain G20 en septembre, pour
être mise en œuvre à l’échelle internationale.
Il serait dommage que les turbulences actuelles de la Grande-Bretagne, très
moteur en ce domaine, retardent la mise en œuvre de cette préconisation
- Promouvoir de
nouveaux outils diagnostics
Il s’agit de mieux prescrire les antibiotiques existants.
Le groupe a trouvé incroyable que les médecins continuent à
prescrire des antibiotiques uniquement sur leur appréciation immédiate des
symptômes du patient, juste comme ils le font depuis l’invention des
antibiotiques... Lorsqu’un test est utilisé pour le diagnostic, il est souvent basé sur
une technologie très lente qui n’a pas changée de manière significative depuis les
années 1860… ; Des efforts de développement de diagnostics rapides
permettraient des progrès significatifs. J’ajouterais que les préconisations
qui conduisent à prescrire moins d’antibiotiques aussi aveuglément que l’on en
prescrit ne sont guère satisfaisantes : Il ne s’agit pas nécessairement de
prescrire moins, mais mieux.
- Promouvoir la
filière antiinfectieux
Il faut augmenter le nombre de chercheurs, médecins et personnel médical
travaillant dans les maladies antiinfectieuses ainsi que la rémunération et les
profils de carrière. Le rapport constate
que :es médecins des maladies infectieuses sont les moins bien payés de 25
spécialités médicales aux USA, et le tableau est similaire pour les infirmiers
et praticiens hospitaliers. Les carrières sont moins attractives financièrement
et en terme de prestige
Il serait dommage que les péripéties du Brexit mettent en
danger ce programme de lutte contre l’antibiorésistance, en particulier le
financement de la recherche et le ticket d’entrée pour la découverte de
nouveaux antibiotiques. Si le gouvernement britannique a maintenant d’autres
soucis, l‘Europe devrait le reprendre à son compte.
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