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dimanche 1 juillet 2018

Eloge du Service Public 2) Le contre-exemple de l’Angleterre


La Commission Européenne (l’Eurokom) et la secte libérale qui y détient le pouvoir en veulent visiblement aux services publics français, et particulièrement à notre façon d’administrer les monopoles naturels (autoroutes, chemin de fer,  réseau téléphonique, énergie hydraulique, aéroports, gazoducs) par des sociétés étatiques. Cet Eurokom a un credo, un véritable acte de foi,  c’est la concurrence libre et  totale. Après un premier blog dans lequel je décrivais un pays parfaitement exemplaire en termes de services publics… La Suisse  (Eloge du Service Public 1) Un pays sovieto-communiste…. la Suisse), voici maintenant le contre-exemple, l’Angleterre.

Le désastre de l’eau- un ministre libéral- conservateur en colère
Il arrive que les membres du Cabinet anglais perdent leur flegme légendaire. Le 1er mars 2018, lors de la Conférence annuelle de Water UK, qui regroupe les industriels désormais privatisés de l’eau, le ministre conservateur de l’environnement, Michael Gove a ainsi grondé: les gens qui sont dans cette salle doivent changer d’attitude… le grand public est de plus en plus inquiet et je le comprends. » .Et de menacer de donner au régulateur, l’Ofwat, « tous les pouvoirs nécessaires » (tiens, il ne les avait pas, un oubli peut-être ?)
C’est un ministre conservateur qui s’exprime ainsi, pas un socialiste genre Corbyn. !

Un exemple éclairant, Thames Water, gère l’eau de la région de Londres -15 millions d’abonnés- pardon de client) dont les principaux actionnaires sont des fonds du Royaume uni, du Canada, du Koweit et d’Abou Dhabi qui possèdent l’entreprise à travers un montage juridique complexe de cinq sociétés. Complexe et efficace : entre 2006 et 2015, Thames River a versé 1.2 milliards à ses actionnaires et O pounds, 0 pense, O nickel d’impôt sur les bénéfices au fisc anglais. Par contre, entre2012 et 2014, Thames River a déversé des milliards… de litres d’eau d’égoûts dans la nature et été condamné pour cela à 20 millions de livres d’amende- un record.

Depuis 1989, le gestion de l’eau est privatisée et confiée à des 18 entreprises qui ont des monopoles régionaux et elles sont quasiment inexpugnables ( l’Etat peut révoquer la licence en prévenant…25 ans à l’avance !) De 2007 à 2016, ces 18 monopoles privés ont reversé 95% de leurs profits à leurs actionnaires ! Ainsi que le constate le ministre (conservateur !) ces entreprises « évitent leurs impôts comme leurs responsabilités sociales ». Les actionnaires se gavent, les investissements sont inexistants, les prestations se dégradent, et pourtant les prix ont été fortement augmentés (plus 40% depuis la privatisation !). Qu’attendre d’autre d‘un monopole naturel confié à des monopoles privés ? ( la situation française est bien différente, avec un rôle encore important de l’Etat et des collectivités locales)

Les désastres des services publics concédés- effondrement d’un géant,  Carillion 

Le lundi 15 janvier 2018l’entreprise de BTP et de services Carillion a été placée en liquidation. Carillion n’a pas survécu à un week-end de négociations désespérées avec le gouvernement britanniques, conséquence d’une dette faramineuse de 1.5 milliards d’euros pour 5. 4 milliards  de chiffre d’affaire, de retards désespérants sut plusieurs chantiers, et d’avertissements sur résultats en série. Le cours de Bourse a été divisé par plus de dix dans la dernière année et a notamment dévissé de 39 % après l’annonce d’une provision pour 845 millions de livres (952 millions d'euros) sur des  contrats ayant mal tourné au Royaume-Uni et des projets en échec dans le golfe Persique et au Canada.

Carillion est une entreprise vieille de 200 ans, était le principal et très dominant concessionnaire/prestataire des services publics britanniques, et comptait 43 000 salariés dont 19 000 au Royaume-Uni. Quelques 30 000 sous-traitants pourraient faire une croix sur 1 milliard de livres, selon les estimations du Daily Telegraph -de quoi faire planer le spectre d’un effet domino sur tout un pan des services publics anglais.

Carillion fait partie de ces entreprises qui, ces dix dernières années, ont connu une croissance rapide en assurant selon les règles du privé la fourniture de services publics ; et Carillion a eu beaucoup de « succès » : construction d’autoroutes, de ponts, de lignes ferroviaires mais aussi  d'hôpitaux, de prisons, de sites militaires, dont il assure aussi la maintenance, gérance de bâtiments et d’ infrastructures pour le compte de l'Etat. Parmi les services publics concédés, mentionnons la livraison quotidienne de repas à 32.000 écoles britanniques. Carillion était le numéro un de la maintenance des bases militaires, un prestataire-clé de l’entretien du réseau ferré et responsable de la propreté de centaines d’hôpitaux au Royaume-Uni. Juste avant sa faillite, Carillion venait d’emporter, en consortium avec Kier et Eiffage, deux gros contrats de tunnels pour 1,4 milliard de livres pour le nouvelle ligne TV Londres Birmingham.

La Première Ministre Theresa May a annoncé que l’Etat assurerait la continuité des services publics et  que tous les salaires seront payés pendant les 48 prochaines heures. L'Etat continuera en outre de les payer dans certains cas, le temps pour l'administrateur de désigner un nouveau prestataire ou pour l'Etat de reprendre la prestation de service public en propre. On espère que les enfants des écoles auront de quoi manger et que les ordures ne s’amoncelleront pas dans les hôpitaux du National Health Service(NHS), déjà en triste état.

C’est une catastrophe qui coûtera beaucoup d’argent à l’Etat britannique- où ‘on voit que l'Etat finalement ne gère pas si mal que ça ses services publics et que les partenariats publics privés, invention de nos géniaux nouveau administrateurs, peuvent facilement tourner à la catastrophe – nous en avons eu quelques avertissements en France.

La faillite de Carillion montre clairement les limites d'une telle sous-traitance du public au privé. L’hebdomadaire New Statesman constate : “Jeremy Corbyn ( le nouveau leader travailliste en rupture avec la politique sociale libérale de Blair) tient là une occasion en or pour faire valoir sa thèse sur les coûts de la privatisation » et la solution de la renationalisation.

Le désastre du rail.

En 1993, le secrétaire d'Etat britannique au Transport John MacGregor vantait les bienfaits de la privatisation : «Je ne vois aucune raison pour laquelle les tarifs devraient augmenter plus rapidement avec des entreprises privées. Au contraire, ils seront plus flexibles et baisseront.». 25 sociétés ont mis la main sur le rail anglais, dont certaines détenues partiellement ou en totalité par des entreprises étrangères, comme la Deutsche Bahn (Allemagne) ou Keolis, filiale de la SNCF.

 Eh bien, la réponse a été donnée : entre 1995 et 2015, le prix d'un billet de train au Royaume Uni a augmenté en moyenne de 117%. Le prix des billets annuels a augmenté de 27% entre 2010 et 2017 selon des calculs du Labour. Selon les estimations, les Anglais dépenseraient environ six fois plus que les Européens en moyenne pour leurs déplacements en train (14% de leur revenu mensuel, contre 2 % pour les usagers français). A noter que l'Etat octroie aussi des subventions aux lignes déficitaires pour un montant de 4,6 milliards d'euros en 2015-2016, ce qui constitue pour les Britanniques une double peine : des billets à des prix exorbitant d'un côté et une partie de leurs impôts réservée aux compagnies privées de l’autre.

De plus, comme le préconise le rapport Spinetta pour la France, un grand nombre de lignes ont été supprimées au Royaume-Uni. Donc moins de lignes, des tarifs plus élevés, retard et service déplorable qui suscitent l’indignation des usagers. . En 2016, quatre trains sur cinq du réseau banlieue sud de Londres Southern Rail, étaient en retard - pour l’anecdote, le train de 7 heures 29 sur la ligne Brighton-Londres n'est pas arrivé une seule fois à l'heure en 2014. Et, pour protester contre les restrictions économiques, les grèves s’enchaînent (33 jours de grèves pendant l'année 2016) pire qu’au temps du service public !

En ce qui concerne le rail, l’entretien des voies, après une première  privatisation est revenu dans le giron du service public après deux accidents mortels survenus l'un en octobre 1999 à Ladbroke Grove qui avait fait 35 morts et 558 blessés, et l'autre à Hatfield, en octobre 2000 qui avait fait 4 morts et 70 blessés. En cause : le manque d’investissement. (Cf le remarquable, comme souvent film de Ken Loach, The Navigators, insîré par l'échec de la Connex South Central et de la Connex South Eastern, qui perdirent leur franchise à cause de leur mauvais fonctionnement et de la piètre qualité de leur service).

Bilan en 2015- 2016 :  Les opérateurs se sont partagé 327 millions d’euros de bénéfices et 58% des Britanniques estiment que la privatisation du rail est un échec ( et encore peut-on suppoer que les 32% restant les autres ne le prennent pas !) et souhaitent la renationalisation

L’association We Own It résume ainsi la situation : «  Il est évident que la privatisation n'a pas fonctionné, elle a plutôt amené de la fragmentation et de l'inefficacité. L'argent gaspillé en subventions  aujourd'hui pourrait être mieux utilisé et servir à améliorer le service et réduire le prix  des billets dans le futur. »

Et il faudrait encore ici parler du désastre de la santé publique,  la privatisation rampante du NHS, le National Health Service, naguère fierté britannique, étranglé par manque de moyen, accumulant scandales sanitaires et crimes divers, et progressivement remplacé par des assurances privées- mais il faudrait pour cela un livre complet.

La leçon des échecs anglais parait assez claire : remplacer un monopole naturel et public par un monopole  privé, c’est l’assurance d’enrichir les actionnaires au détriment des usagers, et des salariés ; privatiser un service public, c’est privatiser les bénéfices réalisés au détriment des usagers, des salariés, de l’investissement, de la communauté nationale ou locale, et socialiser les pertes.

Est-ce vraiment cette politique, celle de la secte libérale au pouvoir à Bruxelles, que veulent les citoyens des pays d’Europe ?

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