De nombreux
points intéressants dans cette analyse réalisée pour le syndicat européen EPSU
(European Public Sector Union). Suite du blog précédent https://www.blogger.com/blog/post/edit/7992602882194696168/2030896158026849721
1) Le constat
de l ‘échec du marché est maintenant partagé par la Commission elle-même
« La montée en flèche des prix de l'électricité met
maintenant en évidence, pour différentes raisons, les limites de la conception
actuelle de notre marché de l'électricité. [Le marché] a été développé dans des
circonstances et pour des objectifs complètement différents. Il n'est plus
adapté à sa finalité. C'est pourquoi nous, la Commission, travaillons
maintenant à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché
de l'électricité » (Ursula Van Der
Leyen , aout 2022, https://www.euronews.com/my-europe/2022/08/29/energy-crisis-ursula-von-der-leyen-calls-for-emergency-intervention-in-electricity-market)
2a) Ce que
devrait faire le marché
1) fournir un
prix de référence visible et facilement accessible
2) équilibrer l’offre et la demande en rémunérant le
producteur le plus cher
3) Emettre
des signaux de prix émis par le marché
stimulant les investissements nécessaires
dans de nouvelles capacités
Or il a échoué
sur ces trois points. Les raisons :
-Le marché de l’électricité a été fondé sur le modèle des
marchés internationaux des matières
premières échangées au comptant avec des prix publics. Or l’'électricité est coûteuse à stocker et
constitue un achat vital sans substitut immédiat. Les acheteurs seront donc
incités à payer des prix très élevés plutôt que d'être confrontés au désastre
économique et social des coupures de courant.
Les fluctuations inévitables des prix qui accompagnent le
modèle des produits de base, bien illustrées par l'impact des prix élevés du
gaz de 2021/22, ne sont pas appropriées pour un produit de base essentiel comme
l'électricité. (Cycle du porc)
-La nécessité impérieuse d'un équilibre précis entre
l'offre et la demande à chaque instant et la difficulté de stocker
l'électricité font que cet équilibre ne peut être laissé aux aléas du marché.
-L'absence de substituts et le rôle vital de
l'électricité dans la société moderne signifient qu'en période de pénurie, les
prix sont susceptibles d'augmenter de façon spectaculaire
Ces lacunes
ont longtemps été masquées par la position dominante des fournisseurs
historiques, producteurs/détaillants intégrés, qui contournaient simplement le
marché en se vendant leur production à eux-mêmes, ce qui signifie que les prix
du marché n'avaient aucune crédibilité
- les nouvelles capacités à faible émission de
carbone ne peuvent pas être fournies par le marché :
Les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire sont
des options à coût fixe élevé et à coût
d'exploitation relativement faible. La technologie des énergies
renouvelables évolue rapidement, avec des coûts en baisse et des performances
en hausse. Pour le nucléaire, les risques de construction sont élevés et les
coûts réels augmentent. Les risques pour toutes les capacités à faible émission
de carbone (nucléaire, ENR) sont suffisamment importants pour que les nouvelles capacités ne soient
construites que si elles sont totalement protégées du marché, ce qui peut
se faire, par exemple, par le biais de tarifs de rachat (Feed-in Tariffs - FiTs)
ou de contrats d'achat d'électricité à long terme à des prix non liés au
marché, tels que les contrats pour différences (CfDs)
- le problème de la pointe devient de plus en plus
critique :
Pour les centrales de pointe, le risque lié à la conception
actuelle du marché est que les centrales nécessaires pour assurer la sécurité
de l'approvisionnement ne reçoivent pas suffisamment de revenus.
L'influence de la météo deviendra plus importante à
mesure que l'électricité prendra le relais du gaz pour répondre aux besoins
croissants de chauffage et de refroidissement de l'espace. Par exemple, déjà en
France, où le chauffage électrique des locaux est courant, une baisse de
température de 1°C augmente la demande de l'équivalent de la production d'un
grand réacteur nucléaire.
Pour contrer ce phénomène, les États membres ont commencé
à introduire des "paiements de capacité", il s'est avéré difficile de
concevoir des régimes qui ne visent que les centrales de pointe et la plupart
des régimes prévoient des paiements pour un nombre suffisant de centrales au
total pour répondre à la demande de pointe prévue. Les paiements de capacité ne sont généralement disponibles que pour les
centrales répartissables, c'est-à-dire les centrales qui peuvent produire à
tout moment et qui peuvent garantir qu'elles seront disponibles pour produire
lorsque cela sera nécessaire.
NB : ce qui exclut les ENR
Si la raison d'être de ces programmes est claire, ils
passent outre un élément clé de la conception du marché, à savoir que l'entrée
et la sortie du marché doivent être déterminées par les signaux de prix du
marché au comptant. Ils constituent une grave distorsion du marché. Cela suggère qu'il n'y a jamais eu de
marché libre fonctionnel, mais plutôt un projet politique nécessitant des
ajustements constants.
3) Que doit
réaliser une bonne conception du secteur de l'électricité : Il doit
fournir des approvisionnements à prix abordables , fiables et écologiquement
acceptables ou durables à court terme.
Prix abordables : Dans les
monopoles réglementés, la "planification du moindre coût" a été
utilisée. Dans ce cas, la combinaison de ressources la moins coûteuse nécessaire
pour répondre à la demande de manière fiable est identifiée, et la
planification du système est basée sur cette combinaison de ressources. Ce
processus est généralement mené par un organisme indépendant qui n'a pas d'intérêt
direct dans les options choisies… la philosophie
de la planification du moindre coût, selon laquelle les consommateurs veulent
le prix global le plus bas pour le service, et non le prix le plus bas du kWh,
devrait être à la base de la conception du secteur de l'électricité.
Fiabilité : Les sources à
faible teneur en carbone ont tendance à être basées sur des ressources
nationales telles que le vent et le soleil, de sorte que la transition vers une
production à faible teneur en carbone augmentera inévitablement
l'autosuffisance nette. Pour lisser les fluctuations de la disponibilité des
ressources, de sorte que lorsque, par exemple, le soleil ne brille pas à un
endroit, l'électricité d'une région ensoleillée peut être exportée vers le pays
qui en a besoin
Durabilité Le changement
climatique signifie que la priorité doit être d'éliminer progressivement les
combustibles fossiles pour les nouveaux investissements.
Les énergies renouvelables, l'énergie nucléaire et les mesures d'efficacité
énergétique restent donc les principales options pour de nouveaux
investissements.
4. Une
nouvelle conception du secteur de l'électricité
Le principal obstacle à la réforme du secteur de
l'électricité sous une forme adaptée aux réalités actuelles du changement
climatique pourrait être les intérêts particuliers à la conservation de la
concurrence… Cela semble suggérer une
mentalité selon laquelle les marchés sont une fin utile en soi plutôt qu'un
simple moyen d'aider les consommateurs à obtenir la meilleure offre. Si les
marchés concurrentiels ne produisent pas des prix plus bas que les
alternatives, ils ne sont pas justifiés
Depuis
l'adoption de la première directive sur l'électricité en 1996, la FSESP a fait
valoir qu'une conception du secteur de l'électricité fondée sur le marché libre
n'est ni faisable ni durable. Les caractéristiques économiques des options à faible
émission de carbone les rendent encore moins adaptées à un marché libre que les
options de combustibles fossiles qui dominaient en 1996. Toutefois, cela
n'exclut pas l'utilisation de mécanismes concurrentiels.
Par exemple,
les ventes aux enchères de capacités ont très bien réussi à faire baisser les
prix à la consommation et pourraient constituer un mécanisme utile pour
garantir la construction de nouvelles capacités à faible coût.
Il est difficile de faire des généralisations sur les énergies renouvelables, car chaque pays dispose de ressources qui lui sont propres....Les ressources en énergies renouvelables et la structure de la demande variant considérablement d'un pays à l'autre, la conception du marché doit pouvoir s'adapter aux caractéristiques du pays…. la conception pour un pays d'Europe du Sud avec un bon potentiel solaire photovoltaïque décentralisé installé chez les consommateurs et un pic de demande estival (demande de refroidissement) sera très différente de celle d'un pays d'Europe du Nord avec un pic hivernal (demande de chauffage) et une bonne ressource éolienne offshore.
Le système doit également s'adapter à la culture
économique et politique du pays. Le système qui conviendrait bien à un pays où
le niveau de propriété publique locale est élevé serait différent de celui d'un
pays fortement centralisé où la propriété publique privée ou nationale domine.
Les principaux
défauts du modèle de marché libéralisé de l'énergie promu dans le monde entier
étaient qu'il s'agissait d'un modèle "unique" ne tenant pas compte
des caractéristiques nationales spécifiques
Les programmes d'efficacité énergétique doivent être
fortement ciblés sur les ménages à faibles revenus. Un système public bien
conçu et non motivé par le profit contribuerait à corriger le déséquilibre
entre les mesures du côté de l'offre et celles du côté de la demande.
L'expérience
des ventes aux enchères de capacité suggère qu'il s'agit d'un mécanisme utile,
en particulier pour les énergies renouvelables ( ???), qui produit
des réductions de prix remarquables. Le champ très restreint des fournisseurs
nucléaires et les caractéristiques spécifiques de l'énergie nucléaire
signifient que les enchères de capacité ne sont pas une option pour l'énergie
nucléaire
Le secteur de
la production en gros sera de plus en plus contrôlé par l'organisation
contractante pour les ventes aux enchères de capacités, et il semblerait
judicieux que celle-ci évolue vers un "acheteur unique". Outre
l'octroi de contrats à long terme aux nouvelles capacités, il devra proposer
des contrats à plus court terme, par exemple aux énergies renouvelables arrivant
au terme de leur contrat initial, y compris certains contrats à court terme,
afin que l'offre et la demande s'équilibrent aussi précisément que nécessaire.
Que cela se fasse par une forme de marché de compensation ou par un processus
d'appel d'offres est un détail que les États membres sont peut-être les mieux
placés pour déterminer.
La variabilité de la production d'énergie renouvelable
tendra à rendre nécessaire le renforcement des connexions internationales afin
que, lorsque, par exemple, le soleil ne brille pas dans une région, l'énergie
d'une région ensoleillée puisse être exportée vers le pays qui en a besoin.
( ???)
Marché de
détail : Il semble très improbable que les économies réalisées par les
consommateurs grâce à la concurrence puissent compenser les coûts associés à la
concurrence, tels que les économies d'échelle perdues, les coûts de publicité
et les coûts de changement de fournisseur. Le retour à un monopole réglementé,
à l'échelle régionale ou nationale, semble donc logique. Les arguments en
faveur de la propriété publique des entreprises de détail à monopole réglementé
sont solides.
Conclusion : Il est important de consacrer le temps
nécessaire à la conception d'une nouvelle structure sectorielle plutôt que de
se contenter de poser de plus en plus de "sparadraps" sur une
conception du marché qui est largement considérée comme défaillante, et ce
depuis au moins une décennie. Ce qui doit disparaître, c'est le préjugé selon
lequel un marché est toujours supérieur à un système planifié.
5) Quelques
remarques
1) L’échec de la conception ultralibérale du « marché »
de l’électricité est patent et met en
danger imminent l’ensemble de l’économie européenne, des gros industriel
électrointensifs à l’artisan boulanger
du coin de la rue. Là où il a fonctionné, c’est surtout grâce à des entorses à
son principe. Seul le développement des interconnections a été positif- mais est-il
vraiment dû au marché ? Pourtant les économistes « mainstream »
qui conseillent le Commission européenne ou des organismes comme le CREE ne
veulent pas le reconnaitre…et cela donne des séquences assez surréalistes et
déprimantes. Seule une pression politique fera évaluer les choses…de préférence
avant l’explosion économique et sociale. Et puis, je me répète : un économiste
« spécialiste de l’énergie sans formation physique de base est tout
simplement non pertinent, en général.
2) Le rapport ignore les responsabilités proprement
politiques qui ont conduit à la destruction de capacités pilotables en Europe (par
exemple la sortie du nucléaire en Belgique et en Allemagne, fermeture de
Fessenheim))… sans que le marché envoie un signal d’alarme. De même, en France
plus particulièrement mais pas seulement , des capacités thermiques ont été
détruites trop rapidement et de manière non coordonnés qui auraient été permis
de sécuriser l’approvisionnement en période pointe ( cf note de France
Stratégie, Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à horizon
2030 ? janvier 2021…bien avant la guerre
en Ukraine)
3) Le rapport ne fait pas suffisamment de différence
entre les sources capables de fournir une électricité décarbonnée de base
pilotable et les sources variables intermittentes. Pourtant, en ce qui concerne
les indispensables mécanismes de capacité, le rapport insiste justement sur la
nécessité de centrales répartissables « pouvant produire à tout moment et pouvant garantir qu'elles seront disponibles
pour produire lorsque cela sera nécessaire. », ce qui exclut les
énergies variables intermittentes. Le problème deviendra de plus en plus aigu
avec l’accroissement des ENR qui devraient être amenées à financer les
capacités supplémentaires dont le système électrique aura auront besoin.
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