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samedi 10 février 2024

Financement du nouveau nucléaire et gestion des risques dans des économies sous contrainte carbone

 Ce texte est le résume d’un article d’un numéro remarquable de l’Ecole des Mines consacré au nouveau nucléaire, Annales des Mines, N° 113 - Janvier 2024 - Le nouveau nucléaire. . Auteur : Jan Horst KEPPLER, Conseiller économique sénior à l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE (AEN).

Et il se montre extrêmement positif et optimiste concernant le financement du nouveau nucléaire : moyennement des stratégies simples et de bon sens pour mitiger les différents risques , « les investisseurs, qu’ils soient privés ou publics, offriront du capital à des taux de rendement très bas pour acquérir le droit au bien précieux qu’est l’électricité à faibles émissions de carbone livrée de manière prévisible 24 heures sur 24 pendant des décennies. »

Une bonne nouvelle : les coûts en capital de l’énergie nucléaire moindres que ceux annoncés

Le cadre proposé ici permet de tirer deux conclusions clés. D’abord, dans un monde contraint par les émissions de carbone, les coûts en capital réels de l’énergie nucléaire et d’autres sources de production à faibles émissions de carbone sont inférieurs à ce qui est généralement supposé en raison de leur capacité à compenser le risque financier systémique. L’incorporation d’investissements dans la production d’énergie à faibles émissions de carbone peut donc réduire les risques globaux du portefeuille.

Ensuite, il existe des politiques et des mesures efficaces pour réduire de manière radicale les coûts  et financiers d’autres composantes du risque, tels que les risques liés à la construction, les risques liés aux prix et les risques politiques.

Ces conclusions s’appliquent de la même manière aux investissements privés et publics.

Cependant, les gouvernements ont eux aussi un rôle important à jouer.

Tout d’abord, ils doivent garantir des engagements crédibles et efficaces en faveur de l’objectif de zéro émission nette de carbone d’ici 2050. Ils doivent également mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour éliminer ou réduire les coûts économiques liés aux risques de construction, aux risques de prix et aux risques politiques. Enfin, les gouvernements peuvent intervenir en tant que promoteurs directs de projets en cas de défaillance du marché lorsque les acteurs privés ne reconnaissent pas la vraie valeur économique d’un projet nucléaire. Au-delà de la réduction des risques financiers, les gouvernements ont alors un rôle à jouer dans la mise en place de structures de gestion de projet efficaces pour les projets complexes et de grande envergure tels que la construction de nouvelles centrales nucléaires, ainsi que dans la stabilité macroéconomique.

Si les mesures indiquées ci-dessous sont pleinement mises en œuvre et que les projets de nouvelles centrales nucléaires sont entièrement sans risques, les investisseurs privés et publics rivaliseront pour bénéficier des avantages d’une électricité pilotable à faibles émissions de carbone, en réduisant le rendement exigé sur le capital à des taux nettement inférieurs à ceux d’aujourd’hui.

L’énergie nucléaire peut donc contribuer de manière significative à la réduction des émissions de carbone.


Les risques doivent être alloués à la partie la mieux équipée pour minimiser les coûts économiques de ces risques.

Le coût du capital dans la construction de nouvelles centrales nucléaires, comme ailleurs, dépend de la gestion et de l’allocation des risques. Un principe important dans ce contexte est que les risques doivent toujours être alloués à la partie la mieux équipée pour minimiser les coûts économiques de ces risques. La capacité à minimiser le coût des risques est généralement liée soit à une compétence technique particulière (les électriciens gérant les centrales nucléaires devraient supporter le risque opérationnel, par exemple), soit à une capacité particulière à partager, diversifier et couvrir les risques.

Ce rapport introduit une autre considération : dans les cadres politiques visant à réduire les émissions de carbone afin d’atteindre zéro émission nette d’ici à 2050, les sources de production à faibles émissions de carbone telles que l’énergie nucléaire peuvent jouer un rôle important dans la compensation des risques financiers de portefeuille. Explication : À mesure que le changement climatique et les efforts pour le combattre s’intensifient, les prix du carbone implicites et explicites augmentent. Cela diminue la rentabilité de l’économie dans son ensemble, mais augmente la rentabilité des investissements à faibles émissions de carbone. Dans ce cas, l’inclusion des investissements à faibles émissions de carbone réduira le risque et améliorera le rapport risque rendement, également appelé ratio de Sharpe, des portefeuilles financiers

Le risque construction : RAB ou CWP

Pour les projets importants et complexes tels que la construction de nouvelles centrales nucléaires, le risque de construction est peut-être le risque spécifique le plus important. Si une entreprise individuelle supporte ce risque, sa survie pourrait être en jeu. En conséquence, les investisseurs exigeraient une prime de faillite importante en cas d’exposition au risque de construction.

Pour pallier cet inconvénient, des mesures telles que la base d’actifs régulée (regulated asset base ou RAB) au Royaume-Uni ou le travail en cours de construction (construction work in progress ou CWP) aux États-Unis ont été proposées. De telles mesures transfèrent le coût de la construction de l’usine sur les factures d’électricité des consommateurs à partir du moment même où la construction commence, plutôt qu’à partir du moment où la production d’électricité débute. La théorie économique montre que cela implique non seulement un transfert de risque, mais aussi, tant que certaines hypothèses raisonnables sont satisfaites, une réduction des coûts économiques du risque, car les montants en jeu représentent une toute petite partie du budget de chaque consommateur.

Le risque prix de marché : se rapprocher des couts moyens Cfd, contrats à long terme 

Le risque prix dans les marchés de l’électricité dérégulés qui dominent les secteurs de l’électricité des pays de l’OCDE est depuis longtemps reconnu comme un facteur important du coût du capital.  C’est pourquoi les régulateurs ont proposé, dans certains cas, des garanties de prix sous forme de tarifs de rachat garantis ou de contrats à terme régulés, notamment les contrats sur différence (contracts for difference [CFD]). Or, ce n’est que le début.

Si les pays de l’OCDE continuent à opérer des marchés dérégulés également dans des systèmes électriques bas carbone, les prix seront de plus en plus souvent fixés par les coûts marginaux à court terme nuls ou très bas des énergies renouvelables et du nucléaire. Compte tenu des contraintes budgétaires des producteurs ceux-ci devront compenser ces bas prix par des heures de rareté où les prix pourront atteindre des centaines, voire des milliers, de dollars ou d’euros par MWh. Un consensus émerge graduellement, selon lequel dans un contexte de fortes contraintes carbone, tous les fournisseurs à faibles émissions de carbone devront bénéficier de contrats à long terme généralisés avec des prix garantis au niveau des coûts moyens sur toute la durée de vie du projet.

Le risque politique : indemnisations contractuelles

En ce qui concerne le risque politique, la logique qui exige d’attribuer le risque à la partie la mieux équipée pour le minimiser et l’internaliser est dans l’ensemble, déjà respectée. Les clauses d’indemnisation contractuelle assurent les opérateurs de projets et leurs investisseurs contre les changements de la politique énergétique qui limiteraient l’utilisation de l’énergie nucléaire, allouant ce risque aux gouvernements nationaux.

En résumé, le coût du capital pour les projets de construction de nouvelles centrales nucléaires est soit plus bas que ce qui est généralement supposé, soit potentiellement réduit radicalement grâce à des mesures appropriées.

Dans le premier cas, le taux de rendement sans risque à long terme est toujours très bas, tandis que la corrélation avec le risque de marché systémique peut être prudemment supposée nulle, tant que des objectifs de zéro émission nette sont poursuivis avec vigueur et cohérence. Dans le deuxième cas, les gouvernements et les régulateurs des marchés de l’électricité disposent de mesures efficaces pour réduire non seulement le risque effectif pour les investisseurs, mais aussi le coût économique global du risque de construction, du risque de prix de l’électricité et du risque politique….

Autrement dit, si les projets de construction de nouvelles centrales nucléaires sont complètement sans risques de la manière décrite ci-dessus, les investisseurs, qu’ils soient privés ou publics, offriront du capital à des taux de rendement très bas pour acquérir le droit au bien précieux qu’est l’électricité à faibles émissions de carbone livrée de manière prévisible 24 heures sur 24 pendant des décennies.

La responsabilité des gouvernements

En définitive, la responsabilité de la gestion des risques financiers reviendra aux gouvernements. La conclusion du rapport selon laquelle les coûts en capital des projets de construction de nouvelles centrales nucléaires peuvent être nettement inférieurs aux attentes s’applique de la même manière aux investisseurs publics et privés. Néanmoins, les gouvernements ont encore un rôle important à jouer dans ce contexte.

 La première tâche des gouvernements est de garantir un engagement crédible et efficace en matière de réduction des émissions de carbone

Deuxièmement, les gouvernements doivent mettre en œuvre les stratégies présentées ci-dessus pour éliminer ou réduire les coûts économiques de trois risques idiosyncrasiques propres à chaque projet : le risque de construction, en répartissant le risque sur les consommateurs ; le risque de prix, grâce à des contrats à long terme ou à des tarifs réglementés ; et le risque politique, grâce à des accords d’indemnisation appropriés conclus avec les autorités.

Troisièmement, les gouvernements peuvent également intervenir en tant que promoteurs directs de projets, en cas d’échec du marché lorsque les acteurs privés ne reconnaissent pas la vraie valeur économique d’un projet nucléaire, notamment grâce à leur capacité à compenser le risque d’un portefeuille financier.

Inutile pour cela d’en appeler à l’intérêt général ou à des objectifs stratégiques tels que la sécurité de l’approvisionnement énergétique, le développement technologique, la cohésion régionale ou l’emploi, aussi importants soient-ils. Les seules défaillances du marché pertinentes concerneraient l’appréciation correcte des coûts et des avantages d’une électricité pilotable à faibles émissions de carbone.

Quatrièmement, les gouvernements ont un rôle à jouer pour mettre en place des structures de gestion de projet efficaces pour la construction de nouvelles centrales nucléaires. L’interaction des structures de financement, de la gestion de projet, des incitations et de l’architecture des marchés de l’électricité dans la construction de nouvelles centrales nucléaires fera l’objet d’un futur rapport de l’AEN. À ce stade, il convient de dire que les gouvernements doivent veiller à ce que tous les acteurs contribuent à l’objectif commun qui est de mener à bien les projets de construction de nouvelles centrales nucléaires en respectant les délais et le budget définis.

Enfin, les gouvernements doivent garantir la stabilité macroéconomique pour minimiser les primes de risque pays.



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