Formation et carrière des docteurs en France : une exception malheureuse
Le CAS (centre d’analyse stratégique) a publié en 2010 une note intitulée « les difficultés d’insertion des docteurs : les raisons d’une exception française » dans lequel il pointe deux malheureuses originalités françaises :
- le taux de chômage trois ans après la thèse des docteurs varie entre 10 et 11%, ce qui est plus élevé que le taux de chômage après un master (7%)
- Ce taux de chômage est trois fois supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE
Rappelons que le doctorat s’obtient 8 à 9 ans après le bac, dont 3 ans de thèses. L’enquête se situe trois ans après le doctorat, les auteurs considérant visiblement qu’il faut encore un ou deux stages post-doctoral, dans un autre laboratoire que celui où la thèse a été accomplie, pour pouvoir enfin trouver un travail, dans le public ou le privé.
Pour la future société de la connaissance et de l’innovation que les différents gouvernements ont prétendu construire, c’est donc plutôt mal parti !
Trop de docteurs ou pas assez de recherche ?
La note du CAS affirme que l‘exception française, le chômage des docteurs n’est pas lié à une « surproduction » de diplômés. C’est peut-être aller un peu vite en besogne ; de fait la France forme peut-être moins de docteurs qu’il ne lui en faudrait pour rester ou redevenir une nation majeure dans l’économie de la connaissance… mais peut-être trop quant à sa situation actuelle.
Le système français produit environ 100 000 diplômés de niveau master et doctorat par an, 64% de DEA et DESS, 26 % d’ingénieurs et 10 % de docteurs. Avec 7.1 chercheurs pour 1000 actifs, la France se place devant l’Allemagne (6.7%) ou le Royaume-Uni (5.5%o) mais derrière les États-Unis (8.6 %), le Japon (10.2 %) ou la Suède (10.6 %). En fait nous retrouvons là le problème majeur du sous-investissement en recherche du secteur privé en France. En France, le pourcentage des dépenses de recherche et de développement dans le PIB est de 2.1 %, très en retrait sur l’objectif de Lisbonne. La part du public (0.76% du PIB) est dans la moyenne de l’OCDE, celle du privé est plus basse (1.3% contre 1.9 aux USA et 1.7 en Allemagne, 2.5 en Suède et au Japon par exemple). La France manque en particulier de « jeunes pousses » ayant poussé, de PME ayant une activité de R et D importante dans des secteurs d’avenir.
Le problème en France est plus celui de la répartition de ces chercheurs entre les secteurs public et privé. Avec 51 % de chercheurs en entreprise et 47% dans le secteur public, la France se place loin derrière les États-Unis (80 % ) de chercheurs en entreprise), la Suède (60 %), l’Allemagne (58 %) ou le Royaume-Uni (57%).
1) Pour l’emploi des docteurs, la première mesure est donc l’encouragement à la recherche et à l’innovation dans le secteur privé. Cela passe par une réforme du financement du capital risque et de l’amorçage, un small business act à la française, le renforcement des pôles de compétitivité, une réorientation du crédit impôt - recherche pour inciter davantage à la créations d’emploi, notamment dans les PME et moins favoriser les rentes de situations des grands groupes. Quant au secteur public, il faut évidemment au moins maintenir son importance et veiller au remplacement des générations qui ont accompagné la montée en puissance des grands organismes de recherche (CNRS, CEA, INSERM…) et arrêter les rivalités stériles entre organismes de recherche et universités.
Politique de formation : les propositions du CAS
L’étude du CAS pointe des différences importantes entre les disciplines ; économie, droit et management / mécaniques, électroniques, informatiques et science de l’ingénieur ont des taux de chômage plutôt inférieurs à la moyenne ; mathématiques et physiques : sciences de la vie et de la terre sont dans la moyenne ; chimie (16%), lettres et sciences humaines (12%) connaissent des difficultés d’insertion supérieures. Pour le CAS, il peut donc exister des inadaptations sectorielles.
Ajoutons une réalité passée pudiquement sous silence ; il arrivait que des laboratoires d’accueil et les formations doctorales soient assez indifférents au futur professionnel de leurs doctorants, l’essentiel pour eux étant de bénéficier de « bras » pour faire tourner leurs laboratoires. Les propositions du CAS sont donc pertinentes et bienvenues :
2) Améliorer l’information des établissements et des étudiants, notamment en associant davantage les acteurs privés à la production de données régulières, par disciplines, sur les besoins de recrutements et sur l’insertion professionnelle des docteurs
3) Réaffirmer le rôle central des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) dans la coordination et la régulation de l’offre de formation doctorale
4) Associer davantage les grandes écoles aux formations doctorales, pour permettre à davantage d’ingénieurs de préparer un doctorat
5) Améliorer la proportion de thèses financées, notamment par les entreprises : d’une part, en fixant un objectif aux universités dans le cadre de leur contractualisation avec l’État ; d’autre part, en imaginant un dispositif permettant à une entreprise de financer une thèse en contrepartie d’un engagement du doctorant à demeurer quelques années dans l’entreprise après son embauche
Je suis plus réservé sur cette dernière mesure ; à tout le moins, l’engagement devrait être réciproque, l’entreprise s’engageant alors à proposer un poste au thésard en formation ; mais tout ce qui peut contribuer à rapprocher entreprises, université et organisme de recherche est le bienvenu.
L’effort en vaut-il la peine ?
Faire une thèse suppose plus de trois ans d’un vrai travail, rémunéré par des bourses se situant en général entre 1100 et 1600 euros par mois ; un effort assez important a été fait dans les dernières années pour les réévaluer. Pour pouvoir trouver un poste dans le privé ou dans le public, le doctorat doit maintenant être assez souvent complètè par une expérience post-doctorale, qui peut aller jusqu’à trois ans. C’est excessif et justement dû à la situation désastreuse de l’emploi scientifique en France. Ajoutons que les concours d’entrée à l’Université ou dans les grands organismes de recherche sont encore trop biaisés par des formes de favoritisme et de toute façon délirants en terme de candidats par postes – au CNRS, 50 doctorants pour un poste, c’est arrivé ! Un maître de recherche débutant à l’Université pourra gagner environ 1800 euros –salaire net , un chargé de recherche débutant dans un grand organisme sera peut-être un peu mieux payé; mais le salaire peut donc être moindre que la rémunération d’un post-doc à l’étranger (de l’ordre de 30.000 euros par ans en Angleterre) ! Quant aux ingénieurs qui ont fait une thèse, il arrive assez souvent qu’au début, leur salaire soit moindre que celui de leurs camarades entrés dans l’industrie sans thèse ; mais les perspectives de carrière sont souvent ensuite supérieures.
Donc, pour faire une thèse, il vaut mieux être vraiment motivé pour faire de la recherche, surtout compte-tenu des difficultés d’insertion que pointe la note du CAF. Il y a là une spirale inquiétante pour l’avenir scientifique de la France , car, du coup, sauf motivation extraordinaire, les meilleurs éléments se détournent de la recherche, comme les ingénieurs se détournent de l’industrie… la finance et les banques, c’est nettement mieux !
_ 6) d’où l’importance de la dernière proposition du CAS : reconnaître le doctorat dans les conventions collectives, notamment les grilles salariales. Notons simplement qu’elle est en rupture avec la politique dominante qui consiste au contraire à démanteler les conventions collectives et le statut de cadre…
Diffuser la culture de la recherche et de l’innovation
Le doctorat est une formation à la recherche, mais aussi une formation par la recherche. C’est une formation indispensable à quiconque prétend comprendre notre société et y exercer des responsabilités. Les docteurs sont les mieux placés pour diffuser dans les entreprises et dans l’Etat la culture de la recherche et de l’innovation, essentielle à l’économie de la connaissance. Le doctorat ne devrait pas être vu comme une voie ne menant qu’à la recherche, mais comme une formation indispensable pour diriger des entreprises capables d’affronter l’a venir. De même, les décideurs publics doivent apprendre à travailler davantage avec le monde scientifique et universitaire, comme cela se pratique dans d’autres pays.
Le manque de formation scientifique à un bon niveau d’une grande partie des élites dirigeantes constitue un inconvénient majeur pour l’avenir de la France. Depuis des années, les organisations de doctorants, notamment l’Andes (Association nationale des docteurs) demandent en vain que le dispositif de formation des cadres de haut niveau de la fonction publique, soit ouvert aux docteurs aux divers stades de leur carrière professionnelle. Un bon exemple de réforme symbolique et utile serait d’imposer à l’ENA de recruter au moins un tiers de titulaires d’une thèse dans chaque promotion
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