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dimanche 25 septembre 2011

Le principe de précaution – ami ou ennemi de la science ?-mode d’emploi

Evaluer le Principe de Précaution
Après une douzaine d’années de jurisprudence l’Assemblée Nationale a souhaité, à juste titre, évaluer le principe de précaution, travail en effet utile et qui a mené à des auditions et des débats passionnants (rapport Gest-Tourtelier ; Alain Gest, UMP ; Philippe Tourtelier , PS). Rappelons sa définition inscrite dans la constitution :
 « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, et dans leur domaine d’attribution, à la mise en oeuvre des procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation d’un dommage »
Il constituait donc, ainsi que l’a souligné la juriste Christine Noiville, une véritable nouveauté qui s’oppose au « principe de prévention » jusqu’alors appliqué : un risque est connu, des mesures doivent être prises. Au contraire, le principe de précaution, impose  d’agir même en l’absence de risque prouvé, en cas de possibilité d’atteintes graves et irréversibles à l’environnement. Il impose tout d’abord d’améliorer les connaissances et donc de favoriser le développement des recherches pour mieux apprécier les risques ; il impose de prendre des mesures proportionnées au risque supposé ( de la simple obligation de mener des recherches au retrait partiel ou total, des mesures provisoires et révisables qui devront être adaptées à l’évolution des connaissances au cours d’un processus continu d’évaluation.
Cette appréciation du principe de précaution a fait l’unanimité et personne ne le remet en cause. Ainsi entendu, dans la lettre et l’esprit de la constitution,  le principe de précaution est maintenant admis, reconnu comme nécessaire et utile,  allié et non adversaire de la science. Le problème majeur reste alors son absence de reconnaissance par les instances internationales, en particulier l’OMC et même les instances européennes.
Un principe clair dévoyé
Plusieurs décisions de justice ou gouvernementales ont cependant créé  un mouvement d’inquiétude et même parfois de révolte dans la communauté scientifique. Beaucoup concernent en général des contentieux liés à la santé humaine, qui, déjà très règlementée, n’est pas à l’origine concernée par le principe de précaution, purement environnemental. Cette extension résulte de décisions de la Cour Européenne de Justice, dont on peut se demander si elle n’a pas été  manipulée par certains intérêts très intéressés à combattre le principe de précaution en le menant sur des voies douteuses.
Le professeur Tubiana a ainsi mentionné l’exemple de  la vaccination contre l’hépatite B, maladie très grave transmise par voie sexuelle généralement pendant l’adolescence. La volonté du ministère de la santé de vacciner dans les écoles pour que toute la population soit protégée s’est heurtée  d’abord à des rumeurs sur des collusions entre le ministère de la Santé et les fabricants du vaccin, puis  à une autre rumeur, beaucoup plus grave, accusant la vaccination d’ être à l’origine de la sclérose en plaques, sans preuve. M Tubiana  rapporte le dialogue suivant avec un décideur politique important :  « Vous m’avez montré que la vaccination ne comporte pas de risque de sclérose en plaques, soit, mais mon problème à moi est de ne pas être envoyé devant les tribunaux… » La vaccination scolaire a été arrêtée au nom du principe de précaution. Le résultat est qu’en France, moins de 30 % des adolescents sont vaccinés contre 85 % en moyenne dans les autres pays de l’Union européenne et la conséquence pratique en sera un excès d’environ 500 décès par an ».
Notons qu’après tout le risque de l’hépatite peut être considéré par certains comme un risque accepté en cas de relations sexuelles non protégées,  comme fumer ou boire. Le choix de la vaccination systématique aurait dû faire l’objet d’un débat et davantage discuté et  éventuellement justifiépar la situation épidémiologique.
Le DTT  a permis l’éradication du paludisme de presque toutes les rives de la Méditerranée. Des territoires comme la côte orientale de la Corse ou certaines portions du Languedoc, auparavant terres désolées, sont devenues territoires agricoles ou paradis touristiques. La peur injustifiée des insecticides a eu des conséquences, comme on l’a constaté à l’occasion de l’épidémie de Chikungunya sur l’île de la Réunion : pendant plusieurs mois, les autorités sanitaires voulaient utiliser les insecticides mais certaines autorités locales s’y opposaient car la population était contre. L’épidémie a pris une ampleur croissante jusqu’à ce qu’enfin, on se décide à utiliser les insecticides : en deux semaines, l’épidémie était terminée. Plusieurs centaines de cas de Chikungunya auraient pu être évités si les insecticides avaient été utilisés plus tôt.
Les antennes de téléphonie mobile
L’accord a en revanche été général pour dénoncer des arrêt récents, comme celui de la Cour d’appel de Versailles considérant que le dommage subi par les riverains d’antennes de téléphonie mobile , même en l’absence de preuve scientifique,  était cependant indemnisable car ces installations généraient une crainte, une angoisse qui, elles, étaient certaines et qu’il y avait lieu de faire jouer le principe de précaution. Il n’y a là en effet pas de dommage irréversible à l’environnement  - on peut toujours démonter une antenne !  Il n’y aucun dommage à la santé : des travaux scientifiques effectués sur des personnes dites hypersensibles  ont montré que elles ne distinguaient pas mieux que les autres des expositions véritables des expositions simulées. Reste effectivement l’angoisse… mais ce serait, comme l’a souligné un des experts, placer le principe de précaution au niveau des procès en sorcellerie, le voisinage d’une sorcière  étant sans conteste de nature à créer une grande angoisse populaire. Ce sont des décision de ce type qui ont conduit, non pas à remettre en cause le principe de précaution, mais à affirmer la nécessité de l’accompagner d’un mode d’emploi[1]
Les OGM
Les OGM constituent l’autre grand sujet de polémique. M. Michel Caboche, directeur de recherche à l’Inra s’est indigné de la destruction illégale par des « faucheurs volontaires » de champs d’essai de mais transgénique visant à réduire les apports en engrais azotés, ou de plans de  vigne transgéniques permettant de bloquer une maladie que l’on ne sait actuellement pas contrer, le court-noué. Les OGM ne constituent qu’une technique plus efficace, plus contrôlée, plus rationnelle de croiser des espèces. L’évaluation de leur innocuité sanitaire, le danger pour les consommateurs,  est simple et bien balisée, sans problème particulier ; reste le danger pour l’environnement, la dissémination génétique ou, pire, une plante devenant invasive. Nous sommes là en plein dans le domaine du principe de précaution…  sauf que celui-ci conduira souvent à recommander des essais en champs auxquels s’opposent justement – et  illégalement – certains. Les adversaires du principe de précaution ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
M. Michel Caboche préconise notamment d’inclure dans la procédure des dossiers d’agrément l’analyse comparée des bénéfices et des risques découlant d’une technologie nouvelle susceptible de remplacer une technologie déjà en usage, et également d’inclure une procédure de suivi des cultures agréées qui permette de déceler des impacts négatifs non anticipés de cette culture, procédure qui doit permettre de revoir les termes de l’agrément, y compris son annulation le cas échéant.
Il me semble en effet que les OGM ne deviendront acceptables qu’en se soumettant au principe de précaution – ce qui nécessité éventuellement  des essais en champs- avec une information loyale du public, en particulier sur leurs avantages, et un débat public.
Des précautions pour le principe de précaution – mode d’emploi
 En résumé, le Principe de précaution constitue incontestablement un principe utile, bénéfique et largement accepté par la communauté scientifique dans le domaine de l’environnement ; sans revenir sur les réflexions philosophiques qui ont conduit à son établissement,- notamment le Principe Responsabilité de Jonas, c’est exactement son but.
Son extension au domaine de la santé, extrêmement régulé par un principe de précaution plus traditionnelle et l’évaluation bénéfice risque  s’avère souvent  très problématique. En particulier, il conduit à se focaliser sur des risques non avérés (lien entre vaccin et sclérose, vaccin et autisme) au détriment de la lutte contre des fléaux de santé publique bien réels.
Le principe de précaution  doit continuer à stimuler la réflexion sur le risque. Le comportement vis-à-vis du risque est évidemment très différent selon qu’il s’agit d’un risque accepté ( fumer, boire, faire du sport), d’un risque toléré ( route, médicament) ou subi (alimentaire, présence d’usine, de centrale nucléaire). Par ailleurs, il existe une asymétrie  entre le fait d’assumer une décision comportant un risque, et la tergiversation, bien qu’elle puisse avoir des effets négatifs, voire catastrophique.
Le principe de précaution doit être pris au sérieux. Il ne remplace pas le courage politique. Les pouvoirs publics ne doivent pas en faire un instrument de gestion de l’opinion publique, les groupes de pressions, les associations, aussi légitimes qu’ils puissent parfois être ne doivent pas en faire un moyen de paralyser l’action publique. Pour cette raison, il est nécessaire, avec l’expérience acquise, d’en fixer un mode d’emploi.
Curieusement peut-être, l’un des intervenants les plus favorables au principe de précaution a été le directeur de la toxicologie d’une grande entreprise chimique. Il a souligné que celui-ci n’allait pas sans une culture démocratique forte, impliquant la transparence des choix, et le fait de considérer les citoyens comme des partenaires, des parties prenantes, qui doivent disposer des moyens de comprendre et de décider par eux-mêmes.
Sous ces conditions, le principe de précaution n’est pas hostile à la science : l’appliquer c’est adopter une démarche scientifique et, en particulier, évaluer le risque . C’est instaurer un dialogue fécond et indispensable  entre les experts scientifiques, les citoyens et les décideurs politiques. Le principe de précaution, c’est la démocratie participative en action.


[1] Voire en particulier l’article Christine Noiville dans La Recherche de février 2011

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