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lundi 15 décembre 2014

Le principe de précaution : raisonnable ?


Un principe raisonnable appliqué raisonnablement ?
Dans deux articles du Monde, (Mardi 7 octobre 2014 et la semaine précédente), Stéphane Foucart revient sur le principe de précaution, et en propose un bilan. Le propos de M. Foucart consiste en fait dans une critique bien argumentée des thèses avancées souvent légèrement par les adversaires du fameux principe pur aboutir à la conclusion : « le principe de précaution est un principe raisonnable appliqué raisonnablement ».
M. Foucart s’appuie notamment sur un rapport de la Fabrique de l’Industrie, organisme patronal qui a demandé à un groupe d’experts une analyse du principe et de son application, et notamment de ses supposés ravages économiques. Le rapport, publié aux Presses des Mines ( Précaution et compétitivité, deux exigences incompatibles ?, Alain Grangé Cabannes, Brice Laurent) arrive à la conclusion développée par M. Foucart, mais constate : «  Ce n’est pas le principe de précaution  au sens juridique du terme qui est en cause, mais l’inquiétude exprimée par des citoyens ou des consommateurs devant certaines technologies qui poussent les politiques ou l’administration à produire des règles qui sont pour les industriels une source de contraintes et de coûts ». Les auteurs pointent « un manque de confiance dans les institutions  chargées de la protection des consommateurs ».
Et ajouterais-je : dans l’expertise scientifique, et plus grave, dans l’autorité scientifique en général. Et là, ce n’est pas seulement une source de contraintes et de coûts, mais de la compétitivité, donc de l’existence même de l’industrie et de l’innovation en Europe qui est en cause. En sortir passera notamment par une transparence totale (ou « vivre au grand jour » comme exigence pour le pouvoir spirituel d’expertise pour le Comtien que je suis), mais aussi par une meilleure éducation générale à la science, par des systèmes de conférences de citoyens et de confrontation avec les experts, etc. Mais d’accord, il ne s’agit plus là du Principe de Précaution.
L’autre document sur lequel s’appuie M. Foucart provient de l’Agence Européenne de l’Environnement : « Signaux précoces et leçons tardives ». Il analyse quatre-vingt huit cas que certains commentateurs ont considéré comme de fausses alertes où des mesures coûteuses et justifiées auraient été prises. Avec le recul historique, sur les quatre-vingt huit exemples, seuls quatre correspondent nettement à des décisions inadéquates, parmi lesquels la vaccination de masse en 1976 contre la grippe porcine, ou l’obligation d’étiquetage de la saccharine
Evaluer précautionneusement le Principe de Précaution
Donc un principe raisonnable appliqué raisonnablement sans problèmes ? Eh bien, pas tout à fait d’accord : sans ignorer les arguments de M. Foucart, sans tomber dans les excès de la soi-disant incorrection politique », non-conformisme devenu pensée dominante qui condamne le principe de précaution au nom de l’utopie de la société sans risque et le rend responsable du déclin de l‘industrie et de l’innovation en Europe, il me semble qu’il faille adopter une position plus équilibrée, une appréciation plus précautionneuse.
Un premier problème est celui de la définition du Principe de Précaution que Stéphane Foucart… prend la précaution de rappeler : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait accepter de manière rave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du Principe de Précaution, et dans leur domaine d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Parfait, et sous cette forme avouons-le, peu contestable. Le seul problème est que victime de son succès, il a connu une extension fulgurante et de véritables détournements de sens. Pour le dernier exemple de ce jour ( Le Figaro, 15 décembre 2014), une tribune signée par rien moins que la Commissaire Européenne en charge du Commerce (Cecilia Malstrom) : «  Nous continuerons à baser nos décisions sur le principe de précaution selon lequel un produit ne peut être mis en vente tant qu’il subsistera un doute sur son innocuité »…
Alors là, on n’y est plus du tout, dans le Principe de Précaution , et venant d’une haute autorité européenne, c’est très inquiétant. L’extension devenue habituelle du Principe de Précaution en dehors du domaine des « dommages graves et irréversibles à l’environnement » est réellement problématique. Notamment dans le domaine de la santé, et Stéphane Foucart lui-même n’est pas toujours indemne  de ces dérives - ainsi, dans l’article que je viens de citer, sur l’épidémie de grippe porcine. En matière de santé, ce n’est pas le principe de précaution qui doit s’appliquer, mais celui de l’estimation du bénéfice-risque. Un médicament, un traitement chirurgical ne sont  jamais dépourvu de risques. C’est au nom de principe de précautions que les sectaires anti-vaccination voudraient nous ramener à l’ère des épidémies de  tuberculose, de poliomyélite, de variole ? C’est contre le principe de précaution mal employé que se battaient les associations de lutte contre le Sida pour forcer la FDA à accorder la mise sur le marché des premiers antirétroviraux.
Au nom du principe de précaution, l’Europe a mis en place la directive Reach d’enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques. Reach fait porter à l'industrie chimique la responsabilité d'évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs, risques environnementaux et sanitaires. Compte-tenu de l’explosion du nombre de substances chimiques dans l’environnement, et du manque d’évaluation, Reach, malgré sa lourdeur, est utile, indispensable, et peut même devenir un atout compétitif. Oui, mais à condition, à la grosse condition, que les traités de commerce internationaux, notamment le traité transatlantique, n’induisent pas des distorsions de compétitivité qui balaieraient la chimie européenne, que les industries concurrentes étrangères n’agissent pas en passagers clandestins de Reach, profitant sans charge des données générées par les firmes européennes.
Enfin, Stéphane Foucart reste muet sur les inquiétantes origines intellectuelles heideggériennes, (Heidegger et disciples - Hans Jonas, Anders…) qui les conduit bel et bien à une remise en cause de la démocratie et à l’éloge de dictatures écologiques…( pour une mise au point cf la dernière saison de l’Université populaire de Miche Onfray sur France Culture)
Entre célébrations élogieuses et critiques tous azimuts, le Principe de Précaution premier effort d’organisation scientifique à l’échelle de l’Humanité mérite d’abord de vraies réflexions et un vrai débat.

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