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dimanche 7 décembre 2014

Fin de vie : le CCNE en retrait sur les demandes des Français


Un rapport intéressant, utile, révélateur
Le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) a récemment rendu et publié en ligne son rapport sur la fin de vie. Ce rapport est consultable librement, riche en informations, en interrogations et en débats, et, à ce titre, il est un élément bien utile pour le débat et les propositions de lois en cours.  Il reflète  semble-t-il fidèlement les opinions divergentes qui se sont exprimées au sein du Conseil.  Reste que ce qui se passe au sein du Conseil semble en décalage important avec ce qui se passe dans la société, et que cela pose problème. Et d’autant plus que le législateur semble vouloir davantage écouter un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des religions théocratiques que celles des citoyens d’une société laïque.
Le rapport se base sur les travaux de la Commission Sicard (Penser solidairement la fin de vie, 2012), issu déjà de nombreuses auditions, de débats publics dans neuf villes  et de missions en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et dans l’Etat d’Oregon aux Etats-Unis. A cela, le CCNE a ajouté une conférence de citoyens, qui s’est déroulée durant quatre week-ends à l’automne 2013, et a impliqué un dialogue des citoyens avec une vingtaine d’intervenants de tous horizons et de nombreux débats en région.
Il y a eu accord général sur « le scandale que constitue, depuis 15 ans, le non accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens ». Et pour que, au moins,  la loi Léonetti soit appliquée, le CCNE a appelé à une action vigoureuse  pour «  faire connaître et appliquer les dispositions légales actuelles garantissant les droits des personnes en fin de vie, ( notamment la rédaction de directives anticipées), d’accéder à des soins palliatifs, à un véritable accompagnement humain et à un soulagement de la douleur et de la souffrance » et également à « mettre en place un accompagnement au domicile, qui corresponde à la demande de l’immense majorité de nos concitoyens ».
 
Directives anticipées, sédation finale

Mais déjà en ce qui concerne l’application de la Loi Léonetti, le CCNE se fait l’écho de débats et de positions en retrait avec les souhaits des associations de patients. C’est le cas pour les directives anticipées : doivent-elles rester un souhait du patient, ce qui est le cas actuel ou devenir contraignantes comme le souhaitent la plupart des associations de patients ? Ou encore en ce qui concerne la sédation finale. Le CCNE pose la question : « La sédation profonde, en phase terminale, jusqu’au décès doit-elle accompagner la personne, en soulageant sa douleur et sa souffrance, mais sans accélérer la venue de la mort ? Ou peut-elle accélérer intentionnellement la venue de la mort, à la demande de la personne ? », se fait loyalement  l’écho de la position de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France : « la décision d’un geste létal dans les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie peut correspondre, aux yeux de la commission, aux circonstances réelles d’une sédation profonde telle qu’elle est inscrite dans la loi Léonetti » ; mais il tend à conclure en sens inverse : « le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable. » Ou encore « il existe une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit létal à une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration n’est pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge déraisonnables ». Traduisons :  laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie est aux yeux du CCNE, ou du moins de certains de ses membres,  une pratique civilisée et éthique.
Suicide assisté et Euthanasie : un combat à continuer
Le fossé est plus important encore en ce qui le suicide assisté et l’ euthanasie. L’opinion majoritaire du CCNE et clairement affichée : ni dépénalisation, ni a fortiori légalisation, même si le rapport mentionne loyalement des opinions minoritaires en faveur de l’une ou l’autre de ces pratiques. La majorité du CCNE considère qu’il existe une différence radicale entre suicide assisté et euthanasie, ce qui n’est pas l’avis des Conférences de citoyens puisque dans les deux cas, il s’agit, de la part de la personne malade, d’une demande d’assistance dans le but de mettre un terme à son existence. Certains membres du CCNE semblent en faveur de dépénaliser le suicide assisté, mais pas l’euthanasie. Le rapport rappelle que les situations internationales sont assez variées :  la Belgique a légalisé l’euthanasie, la Suisse, et les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont aux Etats-Unis, ont dépénalisé ou autorisé l’assistance au suicide, mais continuent d’ interdire l’euthanasie ; les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé (sous conditions) les deux pratiques.

En ce qui concerne le suicide assisté, le rapport CCNE présente les solutions retenues en Suisse et aux USA. Après plusieurs vérifications de la libre volonté du patient. La Suisse permet   l’assistance à la réalisation effective du suicide : la personne fixe la date, et doit s’y tenir. En effet, l’une des conditions pour obtenir une assistance au suicide est l’expression d’une volonté ferme et répétée. Si la personne décide de surseoir, et de repousser la date, le caractère ferme de sa volonté sera remis en cause.

Aux USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana), les personnes atteintes d’une maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir la prescription par un médecin d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait.  Seule la moitié des personnes qui se procurent le produit l’utilisent effectivement. La loi n’a pas entraîné une explosion de suicides : ces suicides assistés correspondant à 0.2% des décès.

Sur un point au moins, le CCNE se montre favorable à une évolution du droit, à propos de la non –assistance à personne en danger qui punit l’omission de porter secours à une personne ne péril de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Le CCNE note qu’ « il en résulte que la personne qui souhaite se suicider est contrainte à une totale solitude, ce qui soulève une question au plan de l’éthique et conduit à s’interroger sur la possibilité que le droit prenne en compte la particularité de cette situation précise. »

Le CCNE s’affirme donc majoritairement contre les  dépénalisations et légalisations du suicide assisté et de l’euthanasie, en soulignant « les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble. ». Il reprend aussi partiellement les considérations de la Commission Sicard. Parmi les arguments contre l’euthanasie, la Commission Sicard mentionnait le risque d’en « arriver à demander l’euthanasie par culpabilité de vivre. Près de 50 % des personnes malades et personnes âgées craignent d’être un fardeau pour leur entourage » et « de mettre la médecine en situation impossible en raison d’une culture médicale très radicalement opposée à celle-ci ». Elle se multipliait en avertissements prétendument moraux,  « mettant en garde sur l’importance symbolique du changement de cet interdit car l’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait du rôle et des valeurs de la médecine » et que « tout déplacement d’un interdit crée nécessairement de nouvelles situations limites, suscitant une demande indéfinie de nouvelles lois » ; soulignant avec force dans sa conclusion « qu’il serait illusoire de penser que l’avenir de l’humanité se résume à l’affirmation sans limite d’une liberté individuelle, en oubliant que la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à autrui et dépendante d’autrui » ; critiquant les partisans de l’euthanasie qui « tiennent un discours répétitif, fondé sur la revendication de la liberté inaliénable à exprimer des choix personnels » et risquent « d’être source d’une inflation des droits libertaires qui risquent de diminuer, voire de nier, les devoirs collectifs de solidarité ». Pourtant, cette même commission soulignait que « les expériences étrangères, dans leur diversité, ont suscité une bonne adhésion populaire, n’ont pas conduit à une destruction du système de santé, à des « hécatombes » de citoyens ou à la réalité de la pente glissante, au moins visible »

On le voit, nous sommes loin des demandes des citoyens français qui sont plutôt reflétées par le point de vue de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de 90% à cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins, favorables à 60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de l’Ordre des médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis Néerlandais depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en conscience et librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »

C’est bien de cela qu’il s’agit, d’une nouvelle liberté à conquérir, celle de choisir sa mort, sa façon de mourir. Mon corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient. Le fait que  la moitié de ceux qui peuvent disposer librement d’un produit létal, selon la législation de certains Etats américains, ne l’utilisant pas n’a pas d’autre signification : ne pas subir sa fin de vie, être libre d’en décider.

Le fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement sur ces sujets en retrait sur les demandes des citoyens pose problème,, et ceci étant lié, comme l’a relevé récemment Michel Onfray dans Marianne, pose aussi le problème de la présence dans ces comités de représentants des autorités religieuses.

En 2014, en France, on trouve encore légitime, éthique, de laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie. Décidément, le XXIème siècle ne sera pas théocratique, ou restera barbare…

Un débat (combat) important va avoir lieu, pour lequel se mobilise depuis longtemps l’AMDD (http://www.admd.net)

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