Le gaz de schiste américain menace 10.000 emplois en France
L’augmentation du
prix du gaz en Europe menace l’industrie chimique. L’industrie chimique
consomme en France 10,4% du gaz importé, soit environ 10 Milliards de m3 le gaz,
et, en valeur, 2 milliards d’euros. Depuis deux ans, le prix du gaz a augmenté entre
5 à 7 euros le MegaWatt heures, avec un pic de 17 euros en décembre 2013. Cette
augmentation est principalement due aux
tensions sur le marché international, avec l’abandon du nucléaire au Japon pour
cause de Fukushima et en Allemagne, pour cause de démagogie et de bêtise. La
situation ne va pas s’améliorer avec la
politique de sanctions envers la Russie (bien que celle-ci ne fournisse à la France
que 14 % de son gaz, contre 38% pour la Norvège). Pendant ce temps, aux
USA, grâce aux gaz de schiste, le prix
du gaz naturel a été divisé par quatre ! L’industrie chimique américaine
bénéficie d’un prix du gaz trois fois inférieur aux industries européennes !
Conséquence : la
chimie, ça gaze aux USA, et ça dégage sérieusement en France. Toute la filière
éthylène (éthers de glycols, solvants,
peintures, éthanolamines, cosmétiques, tensioactifs, textiles (rayonne),
colorants, insecticides, polyéthylènes, polyvinyles) est gravement menacée.
Grâce aux prix bas du gaz aux USA, l’écart de compétitivité est de deux. Pour
la filière chlore/ soude, l’écart est également de deux, et pour la filière
ammoniac, il est de trois. (rapport Carbone
4 pour l’UIC). Autre méthode de chiffrage mentionnée dans le même rapport :
pour le Polyéthylène, les USA bénéficient d’un avantage de 800 millions d’euros
par ans, pour le PVC, de 450 millions d’euros par ans, pour l’ammoniac, de 160 millions
d’euros par ans…
Donc,
les industries chimiques investissent aux USA et vont désinvestir en Europe, et
la situation change rapidement : « « Dans la production
d'ammoniac, par exemple, où le gaz représente 70 % des coûts, les Etats-Unis
devraient produire 5 à 7 millions de tonnes supplémentaires à l'horizon
2017-2018, alors qu'ils étaient importateurs nets de 7 millions de tonnes en
2012 » Au total, 117 milliards de dollars d'investissements ont été
annoncés aux US, selon l'American Chemistry Council, qui menacent de nombreuses
usines en France et en Europe. Ainsi, pour le Polyéthylène, le rapport de Carbone 4 précise : « le différentiel de
coût de production PolyEthylène est très supérieur au coût du transport
transatlantique. La production excédentaire US attendue à horizon 2016 - 2017
peut s’écouler en Asie ou en Europe suivant la demande. Dans le second cas
l’impact sur la chimie de base européenne et française sera massif ». Ou
encore ceci, qui présage un tsunami dans l’industrie chimique française : « Le
différentiel de coût qui est durable, combiné avec des surcapacité US, rend les
installations de production des grands intermédiaires chimique en France parmi
les moins compétitives au monde.
Rappelons que la France
reste tout de même une grande puissance chimique : la chimie française se situe au
deuxième rang en Europe et au 6e rang mondial, a réalisé un chiffre d'affaires
de 82,4 milliards d'euros en 2013 et emploie 158.000 salariés. L’industrie
chimique est en France le troisième grand pôle industriel après
l’automobile et la métallurgie ; et le bas prix du gaz américain, la
relocalisation de l’industrie chimique aux USA menace à très court terme 10.000 emplois en France.
Que
peut-on faire ? Il serait tout d’abord justifié que l’industrie chimique
se voit reconnaître le statut d’industrie gazo-intensive, et d’autant plus que
le gaz, notamment dans la filière éthylène, est loin d’être seulement un combustible,
mais la matière première même des fabrications ; l’industrie chimique ne
brûle pas le gaz, elle le transforme.
Les
industries situées dans le sud de la France sont défavorisées dans l’accès aux
gazoduc, ce qui se traduit par un surcoût d’accès au gaz d’environ 20%. Un meilleur accès au réseau Nord Sud doit être
garanti et la CRE ( Commission de régulation de l’énergie) a déjà agi en ce
sens. Cela ne suffira pas, et l’UIC (Union des Industries Chimiques) demande la
création de nouvelles infrastructures notamment sur le réseau Gascogne Midi,
ainsi qu’un meilleur accès au Gaz Naturel Liquéfié - la signature d’un accord
récent entre EDF et le fournisseur de gaz de schiste américain Chenière va dans
ce sens.
L’UIC
demande encore le développement de la production de gaz issu des anciennes mines de charbon du Nord
et de l’Est et un effort rapide pour la production de gaz renouvelable (biofermentation de la biomasse,
méthanation du dioxyde de carbone).
Le
message du rapport de Carbone 4 me
parait un peu brouillé par l’appel à la recherche et à l’exploitation de gaz de
schiste en France, alors qu’on ne sait pas combien il y en a, ni si on peut l’exploiter
dans des conditions compatibles avec la géographie française- ce qui est sûr, c’est
que, même s’il devait y en avoir en quantités intéressantes, on ne pourrait l’exploiter
selon les méthodes et dans les conditions américaines très favorables. Nous n’avons
plus de réserves indiennes à polluer sans limites.
En
tout état de cause, cela ne suffira pas, et il faudra prévoir des mesures protectionnistes
basées par exemple sur le coût réel pour l’environnement des exploitations de gaz de schiste.
Chimie
et transition énergétique : les chimistes ont des choses à dire
Par ailleurs, l’Union des
Industries Chimiques et la Société Française de Chimie souhaitent s’impliquer durablement et activement
dans la transition énergétique – un congrès aura lieu à Lille sur le thème Chimie et transition énergétique en juin
2015. Il serait assez bienvenu que les autorités gouvernementales s’y intéressent
et s’intéressent à ce que les chimistes ont dire sur le sujet, notamment sur la conversion
et le stockage de l’énergie, sur les matériaux photovoltaïques ( lumière et
énergie) , sur l’exploitation de la biomasse et la nouvelle chimie du carbone à
créer, sur les matériaux à inventer pour les énergies renouvelables, sur les applications
de la chimie bio-inspirée pur l’énergie. La transition énergétique ne pourra se
faire sans de vraies ruptures technologiques, sans une action importante de
recherche et de développement qui impliquera au premier plan de nombreux
aspects de la chimie.
Des choix sont faits,
sans que soient pris en compte, connus, relayés, les avis pourtant clairs des
experts. Par exemple ; il est clair que l’Allemagne a choisi le d’abandonner
la lutte contre le réchauffement climatique en refusant le nucléaire. Dans les pays comme l’Allemagne, le
Danemark, les pays –Bas, qui ont massivement investi dans les éoliennes, les
émissions de CO2 par kilowatt.heures sont six à neuf fois plus importantes que
la France ! Six à neuf fois
plus importantes !
Le SPD vient d’ailleurs
de l’avouer : « On ne peut pas arrêter le charbon et le
nucléaire en même temps ; et Hannelore Kraft, la présidente SPD de Rhénanie
du Nord annonce voir « les centrales à charbon fonctionner encore pendant
des décennies » (y compris d’ailleurs les centrales à lignite). Sigmar
Gabriel, le vice-chancelier et président du SD, a rétorqué aux Verts qui le
contestaient : « qu’ils devaient tirer un trait sur les illusions de
la politique énergétique allemande ». Entre la lutte contre le
réchauffement climatique, et la réduction d’ici à 2020 de quarante pour cent
des émissions de CO2 et l’intérêt immédiat de l’’industrie allemande, les
Allemands ont choisi. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas
gagnée, et elle n’ira pas sans une forte pénalisation des énergies carbonées.
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