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dimanche 30 novembre 2014

La chimie française balayée ?


Le gaz de schiste américain menace 10.000 emplois en France
L’augmentation du prix du gaz en Europe menace l’industrie chimique. L’industrie chimique consomme en France 10,4% du gaz importé, soit environ 10 Milliards de m3 le gaz, et, en valeur, 2 milliards d’euros.   Depuis deux ans, le prix du gaz a augmenté entre 5 à 7 euros le MegaWatt heures, avec un pic de 17 euros en décembre 2013. Cette augmentation  est principalement due aux tensions sur le marché international, avec l’abandon du nucléaire au Japon pour cause de Fukushima et en Allemagne, pour cause de démagogie et de bêtise. La situation ne va pas s’améliorer  avec la politique de sanctions envers la Russie (bien que celle-ci ne fournisse à la France que 14 % de son gaz, contre 38% pour la Norvège).  Pendant ce temps, aux USA, grâce aux gaz de schiste, le prix du gaz naturel a été divisé par quatre ! L’industrie chimique américaine bénéficie d’un prix du gaz trois fois inférieur aux industries européennes !
 
Conséquence : la chimie, ça gaze aux USA, et ça dégage sérieusement en France. Toute la filière éthylène  (éthers de glycols, solvants, peintures, éthanolamines, cosmétiques, tensioactifs, textiles (rayonne), colorants, insecticides, polyéthylènes, polyvinyles) est gravement menacée. Grâce aux prix bas du gaz aux USA, l’écart de compétitivité est de deux. Pour la filière chlore/ soude, l’écart est également de deux, et pour la filière ammoniac, il est de trois. (rapport Carbone 4 pour l’UIC). Autre méthode de chiffrage mentionnée dans le même rapport : pour le Polyéthylène, les USA bénéficient d’un avantage de 800 millions d’euros par ans, pour le PVC, de 450 millions d’euros par ans, pour l’ammoniac, de 160 millions d’euros par ans…

Donc, les industries chimiques investissent aux USA et vont désinvestir en Europe, et la situation change rapidement : « « Dans la production d'ammoniac, par exemple, où le gaz représente 70 % des coûts, les Etats-Unis devraient produire 5 à 7 millions de tonnes supplémentaires à l'horizon 2017-2018, alors qu'ils étaient importateurs nets de 7 millions de tonnes en 2012 » Au total, 117 milliards de dollars d'investissements ont été annoncés aux US, selon l'American Chemistry Council, qui menacent de nombreuses usines en France et en Europe. Ainsi, pour le Polyéthylène, le rapport de Carbone 4 précise : «  le différentiel de coût de production PolyEthylène est très supérieur au coût du transport transatlantique. La production excédentaire US attendue à horizon 2016 - 2017 peut s’écouler en Asie ou en Europe suivant la demande. Dans le second cas l’impact sur la chimie de base européenne et française sera massif ». Ou encore ceci, qui présage un tsunami dans l’industrie chimique française : « Le différentiel de coût qui est durable, combiné avec des surcapacité US, rend les installations de production des grands intermédiaires chimique en France parmi les moins compétitives au monde.

Rappelons que la France reste tout de même une grande puissance chimique : la chimie française  se situe au deuxième rang en Europe et au 6e rang mondial, a réalisé un chiffre d'affaires de 82,4 milliards d'euros en 2013 et emploie 158.000 salariés. L’industrie chimique est en France le troisième grand pôle industriel après l’automobile et la métallurgie ; et le bas prix du gaz américain, la relocalisation de l’industrie chimique aux USA  menace à très court terme 10.000 emplois en France.

 

Que peut-on faire ? Il serait tout d’abord justifié que l’industrie chimique se voit reconnaître le statut d’industrie gazo-intensive, et d’autant plus que le gaz, notamment dans la filière éthylène, est loin d’être seulement un combustible, mais la matière première même des fabrications ; l’industrie chimique ne brûle pas le gaz, elle le transforme.

Les industries situées dans le sud de la France sont défavorisées dans l’accès aux gazoduc, ce qui se traduit par un surcoût d’accès au gaz d’environ 20%.  Un meilleur accès au réseau Nord Sud doit être garanti et la CRE ( Commission de régulation de l’énergie) a déjà agi en ce sens. Cela ne suffira pas, et l’UIC (Union des Industries Chimiques) demande la création de nouvelles infrastructures notamment sur le réseau Gascogne Midi, ainsi qu’un meilleur accès au Gaz Naturel Liquéfié - la signature d’un accord récent entre EDF et le fournisseur de gaz de schiste américain Chenière va dans ce sens.

L’UIC demande encore le développement de la production de gaz  issu des anciennes mines de charbon du Nord et de l’Est et un effort rapide pour la production de gaz  renouvelable (biofermentation de la biomasse, méthanation du dioxyde de carbone).

Le message du rapport de Carbone 4 me parait un peu brouillé par l’appel à la recherche et à l’exploitation de gaz de schiste en France, alors qu’on ne sait pas combien il y en a, ni si on peut l’exploiter dans des conditions compatibles avec la géographie française- ce qui est sûr, c’est que, même s’il devait y en avoir en quantités intéressantes, on ne pourrait l’exploiter selon les méthodes et dans les conditions américaines très favorables. Nous n’avons plus de réserves indiennes à polluer sans limites.

En tout état de cause, cela ne suffira pas, et il faudra prévoir des mesures protectionnistes basées par exemple sur le coût réel pour l’environnement  des exploitations de gaz de schiste.

Chimie et transition énergétique : les chimistes ont des choses à dire
Par ailleurs, l’Union des Industries Chimiques et la Société Française de Chimie  souhaitent s’impliquer durablement et activement dans la transition énergétique – un congrès aura lieu à Lille sur le thème Chimie et transition énergétique en juin 2015. Il serait assez bienvenu que les autorités gouvernementales s’y intéressent et s’intéressent à ce que les chimistes ont  dire sur le sujet, notamment sur la conversion et le stockage de l’énergie, sur les matériaux photovoltaïques ( lumière et énergie) , sur l’exploitation de la biomasse et la nouvelle chimie du carbone à créer, sur les matériaux à inventer pour les énergies renouvelables, sur les applications de la chimie bio-inspirée pur l’énergie. La transition énergétique ne pourra se faire sans de vraies ruptures technologiques, sans une action importante de recherche et de développement qui impliquera au premier plan de nombreux aspects de la chimie.

Des choix sont faits, sans que soient pris en compte, connus, relayés, les avis pourtant clairs des experts. Par exemple ; il est clair que l’Allemagne a choisi le d’abandonner la lutte contre le réchauffement climatique en refusant le nucléaire. Dans les pays comme l’Allemagne, le Danemark, les pays –Bas, qui ont massivement investi dans les éoliennes, les émissions de CO2 par kilowatt.heures sont six à neuf fois plus importantes que la France ! Six à neuf fois plus importantes  !

Le SPD vient d’ailleurs de l’avouer : « On ne peut pas arrêter le charbon et le nucléaire en même temps ; et Hannelore Kraft, la présidente SPD de Rhénanie du Nord annonce voir « les centrales à charbon fonctionner encore pendant des décennies » (y compris d’ailleurs les centrales à lignite). Sigmar Gabriel, le vice-chancelier et président du SD, a rétorqué aux Verts qui le contestaient : « qu’ils devaient tirer un trait sur les illusions de la politique énergétique allemande ». Entre la lutte contre le réchauffement climatique, et la réduction d’ici à 2020 de quarante pour cent des émissions de CO2 et l’intérêt immédiat de l’’industrie allemande, les Allemands ont choisi. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas gagnée, et elle n’ira pas sans une forte pénalisation des énergies carbonées.  
 

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