La lecture réserve toujours de l’inattendu.
C’est dans le volume consacré au Brésil de l‘excellente collection des dictionnaires amoureux (Dictionnaire amoureux du Brésil, Gilles
Lapouge, Plon) que j’ai découvert le
drame des abeilles brésiliennes. En
1956, donc, le Brésil a acheté des abeilles africaines (mellifera scutellara) en Tanzanie qu’il souhaitait croiser avec l’abeille
brésilienne d’origine européenne (mellifera
ligustica ou mellifera iberiensis). Un centre expérimental de Sao Paulo se
charge de l’opération. Cinquante-six reines africaines lui sont confiées ;
au cours d’une manipulation, vingt-six s’échappent. Résultat : le Brésil,
puis tous les pays d’Amérique du Sud, puis le Mexique, puis l’Amérique du Nord
se trouvent confrontées à l’irrésistible invasion des « abeilles tueuses ».
Mellifera scutellara, plutôt débonnaire en Tanzanie, n’a pas un
venin plus dangereux que celui des abeilles, mais leur transplantation a changé
leur caractère ; elles chassent en meutes, et quand elles ont repéré une
proie, c’est tout l’essaim qui conduit l’assaut : 1,00 piqures d’abeilles
tuent aisément un homme de 70 kg. Depuis cinquante ans, près de deux milles personnes
ont été victimes des abeilles africaines. De plus l’abeille tueuse, lorsqu’elle
s’introduit dans une roche brésilienne, y prend le pouvoir : les larves métissées naissent un jour avant les
larves des abeilles brésiliennes. Résultat : « hier, les apiculteurs
brésiliennes s’occupaient d’abeilles dociles, joyeuses et laborieuses. A leur
place, ils ont maille à partir avec des individus patibulaires que le moindre
désagrément exalte, et qui tuent pour une contrariété ».
L’abeille européenne, comme son
nom l’indique, n’était elle-même pas originaire du Brésil, mais y était arrivée
en 1839, amenée par un missionnaire, le Père Carneiro, à partir de sept
colonies qui ont quasiment éradiquées les abeilles indigènes. Celles-ci ont une
production de miel moins abondantes, exigent davantage de soin, déposent leur
miel dans des petits pots en cire, et non dans des cellules. Plus lentes que
les abeilles européennes, elles se font voler les délicieux nectars par les
abeilles européennes plus rapides. Mais elles sont les seules à polliniser
certaines fleurs tropicales (orchidées, maracuja- fruit de la passion)… et sont
dépourvues de dards.
Le Brésil essaie aujourd’hui de
redévelopper des colonies d’abeilles indigènes. C’est l’un des nombreux récits de catastrophes
provoquées par l’homme, par l’introduction volontaire, intéressée, pour un gain
en l’occurrence hypothétique et une catastrophe certaine, d’espèces invasives. Parmi
les exemples plus dramatiques, rappelons les 12 couples de lapins introduits en 1859 en Australie par Thomas Austin, pour satisfaire son goût d’une
chasse anglaise traditionnelle. 50 ans plus tard, on en compte 600 millions qui
ont colonisé 60% du territoire. La construction d’un gigantesque mur n‘empêcha
pas la prolifération dans toute l’Australie ; et les Autraliens ne
trouvèrent pas mieux que de disséminer la myxomatose pour tenter de contrôler
cette population proliférante... Dans
son excellente chronique scientifique du
Monde, Pierre Barthélémy rappelair récemment l’introduction accidentelle de
serpents Boiga irregularis dans l’île
de Guam… et comment les Américains, pour protéger leurs GI , en sont
réduits à parachutes des souris mortes intoxiquées au paracétamol pour tenter
de s’en débarrasser. Et le problème encore plus commun et souvent plus grave des plantes invasives mériterait un
volume complet de chroniques.
OGM contre proliférations
Je voudrais terminer par un constat
parfaitement provocateur. Avec le génie génétique, avec les OGM, l’homme sait
créer des espèces qu’il peut contrôler. Si le développement, inévitable, souhaitable,
bénéfique des OGM (au moins de certains) se poursuit, il sera l’occasion certes
d’autres erreurs, d’autres drames ; mais en même temps que l’occasion, le
génie génétique fournit aussi, à condition d’être bien utilisé, le remède. L’utilisation
d’OGM devrait entraîner beaucoup moins de problèmes de proliférations nuisibles
que les techniques et pratiques du passé ; le génie génétique nous a aussi
donné ce pouvoir sur la nature.
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