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vendredi 8 janvier 2016

Les X et la politique industrielle française


La revue des Anciens élèves de Polytechnique, la Jaune et la Rouge publie (décembre 2015) un numéro axé sur l’insdutrie en France. Le mois qu’on puisse dire, c’est que les point de vues sont variés.
Le retour de la politique industrielle ?

Pour Bernard Esambert (X54), ancien conseiller industriel et scientifique de Georges Pompidou, , « le concept de politique industrielle est de nouveau à la mode » et  « la politique industrielle de Georges Pompidou peut nous éclairer sur les voies à suivre ». Quels sont les grands axes de cette politique ? C’est d’abord une consolidation du tissu industriel, avec de nombreuses fusions qui permettent la constitution des groupes puissants comme Saint-Gobain-Pont-à- Mousson, Thomson, CGE, Rhône- Poulenc, ATO, Creusot-Loire, Babcok- Five, SNIAS, Le Nickel. Une bonne parte des actuels membres du CAC 40 sont nés à cette époque. Parallèlement, la petite et la moyenne industries, source de créativité et de dynamisme et vivier de la grande, ne sont pas négligées avec la création de l’Institut du développement industriel, la nomination, pour la première fois, d’un secrétaire d’État à la Petite et à la Moyenne Industrie.
Le Président lui-même s’implique dans la politique industrielle, et encourage les exportations. Ainsi, pour la première fois, une quinzaine de grands industriels l’accompagnent à Moscou à l’occasion d’un de ses déplacements en Union soviétique. Le politique industrielle pompidolienne, ce sont aussi des  volonté de rattrapage dans les domaines où la France est en retard ( les télécommunications, notamment les commutateurs).  C’est la volonté d’indépendance dans des domaines identifiés comme critiques, et des programmes ambitieux et de  très beaux succès dont nous bénéficions encore aujourd’hui : le nucléaire, pour s’extraie de la dépendance pétrolière, avec Framatome, qui appuyé par EDF, se libère de sa dépendance technique vis-à-vis des licences américaines ;  l’aéronautique, où ,  après bien des ratés, les industries française et allemande s’associent pour donner un successeur au Boeing 727, à la Caravelle et au Trident, et c’est le décollage d’l’Airbus ; C’est enfin le spatial, où, après l’échec de la fusée Europa II en 1972, les Européens se retrouvent sans perspectives et sans lanceurs , et ce sera l’envol d’Ariane.
Au crédit également de la politique pompidolienne, M. Esambert place la création d’un secrétaire d’État à la Petite et à la Moyenne Industrie et aussi le  premier ministère de l’environnement ; l’ordonnance de 1967 sur l’intéressement des salariés ; et surtout, un effort ambitieux de recherche, à la fois public et privé, qui mène le budget global de recherche français à près de 3 % du PIB, objectif encore proposé récemment par  l’agenda de Lisbonne pour l’Europe de la connaissance, et dont nous nous éloignons années après années, renoncement après renoncement.

Bref, pour M. Esambert, la politique industrielle de George Pompidou reste un modèle à méditer
La fin de la politique industrielle ?
Jean Peyrelevade (X58) se montre beaucoup plus négatif sur le rôle de l’Etat dans la politique industrielle : « La France est, dans sa tête, encore colbertiste. Mieux vaudrait que, sans tarder, elle échappe à l’emprise du passé. L’État ne peut plus être un acteur direct du monde industrie. L’Etat peut-il encore, comme acteur direct, participer à la construction d’une économie industrielle ? Autrefois joué par intermittence, ce rôle est devenu impossible. L’État n’a plus aujourd’hui la capacité d’être un acteur direct de l’industrialisation. Cela pour plusieurs raisons.
La première, à elle seule décisive, est qu’il n’a plus d’argent. Que peut-il alors apporter ? Son imperium, sa puissance politique ? Ces arguments, quoi qu’il en coûte aux représentants du souverainisme, n’ont plus de poids… nous n’avons pas besoin d’un État industriel. »

Pour M. Peyrelevade, l’Etat peut et doit assumer trois fonctions. Premièrement, la formation : - il mentionne notamment que malgré nos grandes écoles, les salariés français sont en moyenne moins qualifiés que leurs homologues de la plupart des pays européens développés -  c’est le grand échec de l’enseignement technique. Deuxièmement, encourager l’innovation, la recherche et développement – il considère que le crédit impôt recherche remplit bien cette fonction. Troisièmement : faire en sorte que les entreprises qui investissent trouvent aussi aisément que possible le capital dont elles ont besoin. Il considère que le risque d’investir dans des sociétés jeunes et innovantes est en France mal récompensé : « Les prélèvements sociaux sur les revenus du capital sont supérieurs à ceux sur les revenus du travail, les revenus du capital sont désormais fiscalisés de manière progressive, comme ceux du travail à un taux marginal proche de 70 %, cas singulier »
Bref, que l’Etat traite fiscalement  bien les investisseurs, et tout ira bien. M. Peyrelevade regrette tout de même que l’Eta ne « pense plus le futur » : « L’État a négligé depuis longtemps sa fonction de stratège du futur. Le commissariat au Plan n’a jamais été vraiment remplacé. Il n’existe plus de lieu organisé où les savants, les scientifiques, les représentants de l’appareil productif, les syndicalistes se réunissent pour réfléchir à l’évolution du monde et à l’organisation de la société future »
Franck LIRZIN (03) constate que la politique européenne produit des divergences insoutenables : « l’Europe se trouve dans la situation surprenante d’avoir une balance commerciale à l’équilibre, voire légèrement positive, et des déséquilibres commerciaux internes très importants : par exemple en 2007 + 129 Md€ pour l’Allemagne et – 48 Md€ pour l’Espagne. Pour faire face à cette hétérogénéité, les règles ne devraient pas être les mêmes pour tous les pays. Or, c’est précisément à l’inverse que s’emploient toutes les nouvelles procédures budgétaires et économiques de la zone euro. »

Refaire l’Agence pour l’Innovation Industrielle ?
Bref, non seulement l’évolution internationale rendrait presque inenvisageable toute politique industrielle, mais en plus la politique proprement européenne, purement financière, est anti-industrielle. Pourtant, même ceux qui, comme M. Peyrelevade, veulent réduire l’Etat à un rôle minimal regrette qu’il ait « négligé depuis longtemps son rôle de stratège du futur ».
Si l’on reconnaît à l’Etat a pour rôle de penser le futur de la politique industrielle, il peut tout de même peut-être agir. Une expérience intéressante a été menée avec l’Agence pour l’Innovation industrielle. L’AII n’a existé que deux ans, entre 2005 et 200, pour de tristes raisons de règlement de compte entre sarkozystes et chiraquiens, et parce qu’elle se heurtait à des tracasseries bruxelloises pénibles et incertaines. Néanmoins, elle avait pu initier un certain nombre de grands projets (imagerie médicale, bioraffinerie, filière hydrogène…). D’autre part, Bruxelles exigeait qu’il existe une défaillance de marché, et j‘ai l’impression que l’idée que les marchés puissent être défaillants a quelque peu progressé ces dernières années. Ensuite, si les pays européens remettent à l’honneur la politique industrielle, l’idée finira bien par arriver jusqu’à la Commission Européenne. L’AII a été partiellement intégrée à la BPI, mais l’esprit unique d’innovation industrielle, de prospective, d’initiative, de mobilisation des industriels qui l’animait a, en grande partie disparu, digérée par la culture à prédominance financière de la BPI. L’heure est peut-être venue de recréer une Agence pour l’Innovation Industrielle, avec éventuellement une coordination européenne entre les différents pays.
 

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