La revue des Anciens élèves de Polytechnique, la Jaune et la Rouge publie
(décembre 2015) un numéro axé sur l’insdutrie en France. Le mois qu’on puisse
dire, c’est que les point de vues sont variés.
Le retour de la politique
industrielle ?
Pour Bernard Esambert (X54), ancien conseiller industriel et scientifique
de Georges Pompidou, , « le concept de politique industrielle est de nouveau à
la mode » et « la politique industrielle
de Georges Pompidou peut nous éclairer sur les voies à suivre ». Quels sont les
grands axes de cette politique ? C’est d’abord une consolidation du tissu
industriel, avec de nombreuses fusions qui permettent la constitution des
groupes puissants comme Saint-Gobain-Pont-à- Mousson, Thomson, CGE, Rhône-
Poulenc, ATO, Creusot-Loire, Babcok- Five, SNIAS, Le Nickel. Une bonne parte
des actuels membres du CAC 40 sont nés à cette époque. Parallèlement, la petite
et la moyenne industries, source de créativité et de dynamisme et vivier de la
grande, ne sont pas négligées avec la création de l’Institut du développement
industriel, la nomination, pour la première fois, d’un secrétaire d’État à la
Petite et à la Moyenne Industrie.
Le Président lui-même s’implique dans la politique industrielle, et encourage
les exportations. Ainsi, pour la première fois, une quinzaine de grands
industriels l’accompagnent à Moscou à l’occasion d’un de ses déplacements en
Union soviétique. Le politique industrielle pompidolienne, ce sont aussi des volonté de rattrapage dans les domaines où la
France est en retard ( les télécommunications, notamment les
commutateurs). C’est la volonté
d’indépendance dans des domaines identifiés comme critiques, et des programmes
ambitieux et de très beaux succès dont
nous bénéficions encore aujourd’hui : le nucléaire, pour s’extraie de la
dépendance pétrolière, avec Framatome, qui appuyé par EDF, se libère de sa
dépendance technique vis-à-vis des licences américaines ; l’aéronautique, où , après bien des ratés, les industries française
et allemande s’associent pour donner un successeur au Boeing 727, à la
Caravelle et au Trident, et c’est le décollage d’l’Airbus ; C’est enfin le
spatial, où, après l’échec de la fusée Europa II en 1972, les Européens se
retrouvent sans perspectives et sans lanceurs , et ce sera l’envol d’Ariane.
Au crédit également de la politique pompidolienne, M. Esambert place la
création d’un secrétaire d’État à la Petite et à la Moyenne Industrie et aussi
le premier ministère de l’environnement
; l’ordonnance de 1967 sur l’intéressement des salariés ; et surtout, un effort
ambitieux de recherche, à la fois public et privé, qui mène le budget global de
recherche français à près de 3 % du PIB, objectif encore proposé récemment
par l’agenda de Lisbonne pour l’Europe de
la connaissance, et dont nous nous éloignons années après années, renoncement
après renoncement.
Bref, pour M. Esambert, la politique industrielle de George Pompidou reste
un modèle à méditer
La fin de la politique
industrielle ?
Jean Peyrelevade (X58) se montre beaucoup plus négatif sur le rôle de
l’Etat dans la politique industrielle : « La France est, dans sa tête, encore
colbertiste. Mieux vaudrait que, sans tarder, elle échappe à l’emprise du
passé. L’État ne peut plus être un acteur direct du monde industrie. L’Etat
peut-il encore, comme acteur direct, participer à la construction d’une
économie industrielle ? Autrefois joué par intermittence, ce rôle est devenu
impossible. L’État n’a plus aujourd’hui la capacité d’être un acteur direct de
l’industrialisation. Cela pour plusieurs raisons.
La première, à elle seule décisive, est qu’il n’a plus d’argent. Que
peut-il alors apporter ? Son imperium, sa puissance politique ? Ces arguments,
quoi qu’il en coûte aux représentants du souverainisme, n’ont plus de poids…
nous n’avons pas besoin d’un État industriel. »
Pour M. Peyrelevade, l’Etat peut et doit assumer trois fonctions.
Premièrement, la formation : - il mentionne notamment que malgré nos grandes
écoles, les salariés français sont en moyenne moins qualifiés que leurs
homologues de la plupart des pays européens développés - c’est le grand échec de l’enseignement
technique. Deuxièmement, encourager l’innovation, la recherche et développement
– il considère que le crédit impôt recherche remplit bien cette fonction.
Troisièmement : faire en sorte que les entreprises qui investissent trouvent
aussi aisément que possible le capital dont elles ont besoin. Il considère que
le risque d’investir dans des sociétés jeunes et innovantes est en France mal
récompensé : « Les prélèvements sociaux sur les revenus du capital sont
supérieurs à ceux sur les revenus du travail, les revenus du capital sont
désormais fiscalisés de manière progressive, comme ceux du travail à un taux
marginal proche de 70 %, cas singulier »
Bref, que l’Etat traite fiscalement
bien les investisseurs, et tout ira bien. M. Peyrelevade regrette tout
de même que l’Eta ne « pense plus le futur » : « L’État a négligé depuis
longtemps sa fonction de stratège du futur. Le commissariat au Plan n’a jamais
été vraiment remplacé. Il n’existe plus de lieu organisé où les savants, les
scientifiques, les représentants de l’appareil productif, les syndicalistes se
réunissent pour réfléchir à l’évolution du monde et à l’organisation de la
société future »
Franck LIRZIN (03) constate que la politique européenne produit des
divergences insoutenables : « l’Europe se trouve dans la situation surprenante
d’avoir une balance commerciale à l’équilibre, voire légèrement positive, et
des déséquilibres commerciaux internes très importants : par exemple en 2007 +
129 Md€ pour l’Allemagne et – 48 Md€ pour l’Espagne. Pour faire face à cette
hétérogénéité, les règles ne devraient pas être les mêmes pour tous les pays.
Or, c’est précisément à l’inverse que s’emploient toutes les nouvelles
procédures budgétaires et économiques de la zone euro. »
Refaire l’Agence pour l’Innovation
Industrielle ?
Bref, non seulement l’évolution internationale rendrait presque
inenvisageable toute politique industrielle, mais en plus la politique
proprement européenne, purement financière, est anti-industrielle. Pourtant,
même ceux qui, comme M. Peyrelevade, veulent réduire l’Etat à un rôle minimal
regrette qu’il ait « négligé depuis longtemps son rôle de stratège du
futur ».
Si l’on reconnaît à l’Etat a pour rôle de penser le futur de la politique
industrielle, il peut tout de même peut-être agir. Une expérience intéressante
a été menée avec l’Agence pour l’Innovation industrielle. L’AII n’a existé que
deux ans, entre 2005 et 200, pour de tristes raisons de règlement de compte
entre sarkozystes et chiraquiens, et parce qu’elle se heurtait à des tracasseries
bruxelloises pénibles et incertaines. Néanmoins, elle avait pu initier un
certain nombre de grands projets (imagerie médicale, bioraffinerie, filière
hydrogène…). D’autre part, Bruxelles exigeait qu’il existe une défaillance de
marché, et j‘ai l’impression que l’idée que les marchés puissent être
défaillants a quelque peu progressé ces dernières années. Ensuite, si les pays
européens remettent à l’honneur la politique industrielle, l’idée finira bien
par arriver jusqu’à la
Commission Européenne. L’AII a été partiellement intégrée à
la BPI, mais l’esprit unique d’innovation industrielle, de prospective, d’initiative,
de mobilisation des industriels qui l’animait a, en grande partie disparu,
digérée par la culture à prédominance financière de la BPI. L’heure est
peut-être venue de recréer une Agence pour l’Innovation Industrielle, avec
éventuellement une coordination européenne entre les différents pays.
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