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mercredi 16 décembre 2015

Dérive à l’Office Européen des Brevets : le pataquès brocoli tomate


Un office à la dérive
Non seulement l’Office Européen des Brevets (OEB)est en crise constante, avec un dialogue social catastrophique, des suicides, des harcèlements, le tout protégé par une immunité de juridiction, d’ailleurs aberrante qui autorise à sa direction toute violation du droit syndical et des droits les plus élémentaires des salariés, mais en plus il prend, dans le domaine des biotechnologies, des décisions aberrantes qui vont à l’encontre des positions des principaux pays européens, mettent en péril l’excellent système européens  des Certificats d’Obtention Végétale (COV) et sont même en contradiction avec l’évolution de la jurisprudence américaine, pourtant en général favorables au brevet. De quoi s’agit-il ? De la possibilité de breveter des gènes natifs, c’est-à-dire des gênes existant dans la nature, non pas même des gênes par génie génétique, et les organismes qui les contiennent. Le débat s’est focalisé sur deux exemples : le brocoli de Plant Bioscience  et une tomate, dont l’Etat Israélien  demandait la protection.
Dans les deux cas, ces organismes ont été obtenus par des méthodes de sélection classiques, et non pas par des méthodes de génie génétique. Pour le brocoli, l’expression d’un gêne produisant des substances supposées lui conférer de meilleures propriétés de protection contre le cancer a été augmentés ; dans le cas de la tomate, il s‘agit d’une variété capable de donner des tomates sèches sur pied.  A la question : « si l’on découvre un lien entre une séquence génétique existant naturellement dans une plante cultivée et un caractère particulier de cette plante, peut-on devenir propriétaire de toutes les plantes exprimant ce caractère ? », la grande chambre de recours de l’OEB a répondu oui.
Une première étape qui a suscité une inquiétude légitime, tant elle ouvre un espace d’incongruités totales. On ne sait pas exactement ce qui serait brevetable: le gène, la fonction, dans la plante, l’espèce ou le groupe entier. Alors que se passerait-il pour les variétés qui contiennent ou acquerraient naturellement le gêne considéré ? Tous les brocolis naturellement antioxydants deviendraient propriétés  de Plant System ? C’est ce que semble soutenir la directive européenne 98/44/CE, qui affirme : « la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique, ou consistant en une information génétique s’étend à toute matière, sous réserve que l’information génétique exerce sa fonction ». Une directive faite pour protéger les organismes génétiquement modifiés, qui, appliquées aux gènes natifs, devient absurde. Il s’agit en plus d’une novation totale en contradiction avec le principe même du brevet, qui protège une invention, et non une découverte, en l’occurrence celle d’un gêne existant naturellement et de sa fonction. Enfin après quelques hésitation, des brevets revendiquant des gênes natifs humains en vue de leur utilisation dans le diagnostic des cancers (brevets Myriad Genetics)  ont été invalidés d’abord en Europe, mais davantage pour des questions de forme, puis, après quelques hésitations, par une décision définitive, en 2013, de la Cour Suprême des USA. La raison de fond en est que la communauté scientifique admet (et cela  d’ailleurs été démontré) qu’accepter ce genre de brevets reviendraient à entraver considérablement la mise au point de test plus performants, lus précis ou plus économiques, donc à entraver le progrès thérapeutique. La décision de l’Office Européen des brevets allait donc à l’encontre, à la fois, du principe même des brevets (une invention), de décisions déjà prises par les USA et l‘Europe, de la volonté des Etats Européens de ne pas accepter de brevets sur les gênes natifs, et de tout bon sens quant aux conséquences de ces arrêts.
Pourquoi de telles dérives ? On hésite entre une certaine imbécillité juridique, des conflits d’intérêts (l’Office Européen des brevets est payé par les redevances des utilisateurs et a donc intérêt à étendre autant que possible le  domaine du brevet)  et parce que ses experts sont des experts européens et non des représentants des Etats Européens  (ces explications sont proposées dans un dossier très intéressant consacré à cette affaire par La Recherche de novembre 2015). Alors que la propriété industrielle est une composante essentielle d’une saine politique de recherche et de développement, cette indépendance de l’Office Européen des Brevets vis-à-vis de toute politique européenne, mais pas de ses propres intérêts est inquiétante. La stratégie européenne de protection industrielle est chose trop sérieuse pour être confiée entièrement à des juristes, sur des critères purement juridiques
Une attaque contre le système vertueux et efficace des Certificats d’Obtention Végétale (COV)
L’affaire des brocolis/tomates n’est au surplus qu’ un révélateur d’une tendance inquiétante. Ces dernières années, plus d’un millier de demandes de brevets ont été déposées auprès de l’OEB pour des plantes obtenues par des méthodes de sélection classiques. C’est tout le système des Certificats d’Obtention Végétale (COV), intelligent et bien utile, qui est attaqué. Ce système a été imaginé  par le français Jean Bustarret, futur responsable de l’INRA, juste après la seconde guerre mondiale. A une époque où l’Europe et la France souffraient encore de restrictions alimentaires, - et la France importait 50% de son alimentation),  il s’agissait de favoriser l’innovation en matières de semences, tout en la protégeant. Le COV protège la variété végétale uniquement lors de sa commercialisation. En revanche, agriculteurs, chercheurs, semenciers peuvent l’utiliser librement pour générer d’autres variétés végétales, qui, à leur tour, pourront être protégées par un COV. En ce qui concerne l’amélioration des semences par des méthodes traditionnelles, donc des croisements impliquant des gênes natifs, ce système est bien supérieur à celui des brevets, et ^lus logique, puisque le fonds génétique naturel reste disponible à tous pour être réutilisé. Au contraire, breveter des gênes natifs empêcherait l’innovation en empêchant les chercheurs de travailler librement et en créant d’inextricables dépendances en cascade. Christian Huygues, directeur scientifique adjoint de l’INRA, dans le même dossier de La Recherche de novembre 2015,  résume : « le brevet ne vise qu’à maximiser le profit individuel et non l’innovation collective ». Et il précise que depuis sa fondation en 1961, de l’Union Internationale  pour la protection des obtentions végétales (Upov), qui promeut le certificat d’obtention végétale, celle-ci a été rejointe par 72 instances nationales ou internationales – mais les USA en sont absents, les brevets étant très chers aux lawyers américains … Une démonstration  de l’efficacité du système des COV a été faite en 1993, lorsque l’Australie a ratifié la convention de l’Upov ; la recherche australienne sur les variétés végétales a alors fait un bond. Ce système est plébiscité par les états européens, par les semenciers, en particulier français , et par les agriculteurs indépendants qui veulent travailler avec leurs propres semences ; il serait paradoxal que la dérive malfaisante de l’OEB lui porte préjudice.
 
 

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