Un office à la dérive
Non seulement l’Office
Européen des Brevets (OEB)est en crise constante, avec un dialogue social
catastrophique, des suicides, des harcèlements, le tout protégé par une
immunité de juridiction, d’ailleurs aberrante qui autorise à sa direction toute
violation du droit syndical et des droits les plus élémentaires des salariés, mais
en plus il prend, dans le domaine des biotechnologies, des décisions aberrantes
qui vont à l’encontre des positions des principaux pays européens, mettent en
péril l’excellent système européens des Certificats
d’Obtention Végétale (COV) et sont même en contradiction avec l’évolution de la
jurisprudence américaine, pourtant en général favorables au brevet. De quoi s’agit-il ?
De la possibilité de breveter des gènes natifs, c’est-à-dire des gênes existant
dans la nature, non pas même des gênes par génie génétique, et les organismes
qui les contiennent. Le débat s’est focalisé sur deux exemples : le brocoli
de Plant Bioscience et une tomate, dont
l’Etat Israélien demandait la protection.
Dans les deux cas, ces
organismes ont été obtenus par des méthodes de sélection classiques, et non pas
par des méthodes de génie génétique. Pour le brocoli, l’expression d’un gêne
produisant des substances supposées lui conférer de meilleures propriétés de
protection contre le cancer a été augmentés ; dans le cas de la tomate, il
s‘agit d’une variété capable de donner des tomates sèches sur pied. A la question : « si l’on découvre
un lien entre une séquence génétique existant naturellement dans une plante cultivée
et un caractère particulier de cette plante, peut-on devenir propriétaire de
toutes les plantes exprimant ce caractère ? », la grande chambre de
recours de l’OEB a répondu oui.
Une première étape qui a
suscité une inquiétude légitime, tant elle ouvre un espace d’incongruités
totales. On ne sait pas exactement ce qui serait brevetable: le gène, la fonction,
dans la plante, l’espèce ou le groupe entier. Alors que se passerait-il pour
les variétés qui contiennent ou acquerraient naturellement le gêne considéré ?
Tous les brocolis naturellement antioxydants deviendraient propriétés de Plant System ? C’est ce que semble soutenir
la directive européenne 98/44/CE, qui affirme : « la protection
conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique, ou
consistant en une information génétique s’étend à toute matière, sous réserve
que l’information génétique exerce sa fonction ». Une directive faite pour
protéger les organismes génétiquement modifiés, qui, appliquées aux gènes
natifs, devient absurde. Il s’agit en plus d’une novation totale en
contradiction avec le principe même du brevet, qui protège une invention, et
non une découverte, en l’occurrence celle d’un gêne existant naturellement et
de sa fonction. Enfin après quelques hésitation, des brevets revendiquant des
gênes natifs humains en vue de leur utilisation dans le diagnostic des cancers
(brevets Myriad Genetics) ont été
invalidés d’abord en Europe, mais davantage pour des questions de forme, puis,
après quelques hésitations, par une décision définitive, en 2013, de la Cour
Suprême des USA. La raison de fond en est que la communauté scientifique admet
(et cela d’ailleurs été démontré) qu’accepter
ce genre de brevets reviendraient à entraver considérablement la mise au point
de test plus performants, lus précis ou plus économiques, donc à entraver le
progrès thérapeutique. La décision de l’Office Européen des brevets allait donc
à l’encontre, à la fois, du principe même des brevets (une invention), de décisions
déjà prises par les USA et l‘Europe, de la volonté des Etats Européens de ne
pas accepter de brevets sur les gênes natifs, et de tout bon sens quant aux
conséquences de ces arrêts.
Pourquoi de telles
dérives ? On hésite entre une certaine imbécillité juridique, des conflits
d’intérêts (l’Office Européen des brevets est payé par les redevances des
utilisateurs et a donc intérêt à étendre autant que possible le domaine du brevet) et parce que ses experts sont des experts
européens et non des représentants des Etats Européens (ces explications
sont proposées dans un dossier très intéressant consacré à cette affaire par La
Recherche de novembre 2015). Alors que la propriété industrielle est une
composante essentielle d’une saine politique de recherche et de développement,
cette indépendance de l’Office Européen des Brevets vis-à-vis de toute
politique européenne, mais pas de ses propres intérêts est inquiétante. La
stratégie européenne de protection industrielle est chose trop sérieuse pour
être confiée entièrement à des juristes, sur des critères purement juridiques
Une
attaque contre le système vertueux et efficace des Certificats d’Obtention
Végétale (COV)
L’affaire des
brocolis/tomates n’est au surplus qu’ un révélateur d’une tendance inquiétante.
Ces dernières années, plus d’un millier de demandes de brevets ont été déposées
auprès de l’OEB pour des plantes obtenues par des méthodes de sélection
classiques. C’est tout le système des Certificats d’Obtention Végétale (COV),
intelligent et bien utile, qui est attaqué. Ce système a été imaginé par le français Jean Bustarret, futur responsable
de l’INRA, juste après la seconde guerre mondiale. A une époque où l’Europe et
la France souffraient encore de restrictions alimentaires, - et la France importait
50% de son alimentation), il s’agissait
de favoriser l’innovation en matières de semences, tout en la protégeant. Le
COV protège la variété végétale uniquement lors de sa commercialisation. En
revanche, agriculteurs, chercheurs, semenciers peuvent l’utiliser librement
pour générer d’autres variétés végétales, qui, à leur tour, pourront être
protégées par un COV. En ce qui concerne l’amélioration des semences par des
méthodes traditionnelles, donc des croisements impliquant des gênes natifs, ce
système est bien supérieur à celui des brevets, et ^lus logique, puisque le
fonds génétique naturel reste disponible à tous pour être réutilisé. Au
contraire, breveter des gênes natifs empêcherait l’innovation en empêchant les
chercheurs de travailler librement et en créant d’inextricables dépendances en
cascade. Christian Huygues, directeur scientifique adjoint de l’INRA, dans le même
dossier de La Recherche de novembre
2015, résume : « le brevet ne
vise qu’à maximiser le profit individuel et non l’innovation collective ».
Et il précise que depuis sa fondation en 1961, de l’Union Internationale pour la protection des obtentions végétales (Upov),
qui promeut le certificat d’obtention végétale, celle-ci a été rejointe par 72
instances nationales ou internationales – mais les USA en sont absents, les brevets
étant très chers aux lawyers américains … Une démonstration de l’efficacité du système des COV a été faite
en 1993, lorsque l’Australie a ratifié la convention de l’Upov ; la
recherche australienne sur les variétés végétales a alors fait un bond. Ce système
est plébiscité par les états européens, par les semenciers, en particulier
français , et par les agriculteurs indépendants qui veulent travailler
avec leurs propres semences ; il serait paradoxal que la dérive
malfaisante de l’OEB lui porte préjudice.
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