Un
problème international majeur
La contrefaçon de
médicament est devenue un problème international majeur. C’est un marché très
lucratif, jusqu’à présent sans grands risques dans lequel se sont engouffrés de
véritables mafias. Un marché vingt fois plus lucratif que le trafic de drogue,
avec des bénéfices estimés à 200 milliards de dollars et une répression peu
efficace- à titre de comparaison, le chiffre d'affaire de l'industrie
pharmaceutique est de 900 milliards de dollars, selon l’Institut International
de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM). Evidemment, les pays en
voie de développement sont les plus touchés : on estime qu’on estime qu’en
Afrique, un médicament sur trois en circulation est issu de la contrebande. On
hésite à qui décerner la palme de l’ignoble. En 2013, les faux traitements contre le paludisme,
auraient entraîné la mort de 122 350 enfants africains âgés de moins de 5 ans
(IRACM). Ou ceci : « Au Niger, il y a quelques années, 2500 enfants avaient été
vaccinés avec de l’eau du fleuve », se souvient Bernard Leroy (IRACM). Ou
encore cela : des produits contre la
toux à base d’antigel de voiture (84 décès au Nigeria en 2009). Toutes les classes de médicaments majeurs sont
concernés, avec des conséquences terribles : produits imitant des vaccins, des
antibiotiques, des analgésiques, des antidiabétiques, des contraceptifs, des
médicaments contre le cancer - les maladies infectieuses, paludisme, VIH,
tuberculose, sont la proie privilégiée.
C’est déjà assez
scandaleux ; mais jusqu’à présent on pouvait penser que la France était assez
épargnée, grâce à la vigilance des autorités et partenaires du système de
santé, à la distribution en pharmacie et à sa sécurisation etc.
Et
la France : une plaque tournante majeure et maintenant un site de production de
faux médicaments
La France est déjà
devenue une plaque tournante du trafic international, avec une explosion des
saisies : en 2014, les douanes françaises ont intercepté plus de 2,5 millions
de contrefaçons, contre 35.000 en 2010 et 95.300 en 2012 ; Les médicaments sont
désormais en tête des produits les plus copiés, représentant près de 29,5% du
total des contrefaçons saisies.
Ensuite viennent les ventes illégales sur
Internet, où un médicament sur deux est faux. Parmi les médicaments les plus
concernés : amaigrissants, anabolisants, Viagra. Faute d’oser les demander à
leur médecin, les adeptes préfèrent acheter sur internet.
Mais ça ne s’arrête pas
là : la France est devenue aussi un point d’entrée pour des médicaments
contrefaits, dans les circuits de distribution européens. Ainsi, à Marseille,
les acteurs présumés d’un réseau parallèle responsable de l’introduction en
Europe entre 2006 et 2009 de médicaments falsifiés fabriqués en Chine, Arnaud
Bellavoine, 47 ans, gérant de fait d’une société offshore sur l’île Maurice, et
Catherine Koubi, dirigeante de la société niçoise de courtage Keren SA, ont
comparu pour une série d’infractions. Ils doivent répondre de tromperie
aggravée par le danger qu’ils auraient fait courir aux patients. Au cours des
seuls quatre premiers mois de 2007, ils auraient acheminé depuis la Chine plus
de quatre tonnes de deux médicaments dont le principe actif était absent ou
grandement sous-dosé, voire remplacé par du sucre. Les prévenus auraient ainsi
revendu à des distributeurs grossistes
de la chaîne d’approvisionnement de l’Union européenne de grandes quantités
de contrefaçons de Plavix (un produit développé par Sanofi-Aventis, indiqué
dans la prévention des risques cardio-vasculaires) et Zyprexa (fabriqué par
l’américain Eli Lilly et prescrit contre la schizophrénie et les troubles
bipolaires).
Pire encore : la France
est aussi devenue un site de production de faux médicaments. Les médicaments
contrefaits viennent en effet en grande partie d’usines indiennes ou chinoise,
dont certaines travaillent parfois en partie à la fabrication de médicaments
officiels correspondant aux standards internationaux, et, en dehors des
horaires normaux, à des productions clandestines.
Un nouveau pas a été
franchi avec la production en France même de faux médicaments sous le nom de
First Immune. Deux ressortissants britanniques ont été arrêtés pour avoir
organisé un vaste trafic à destination de plusieurs pays européens. C'est dans
un corps de ferme près de Digosville, dans la Manche, que les enquêteurs de l'Office central de
lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp)
ont découvert la base arrière d’un site internet spécialisé dans la vente de
médicaments non autorisés. Les gendarmes ont aussi révélé l'existence d'autres
laboratoires clandestins appartenant au même réseau dans les environs de
Cherbourg. «Le nombre de laboratoires est impossible à dire à ce stade de
l'enquête», a indiqué au Figaro une source judiciaire.
En dehors de ses
implications gravissimes pour la santé, la contrefaction de médicaments représente
un enjeu économique important. Un médicament sur dix vendus dans le monde
serait une contrefaçon. Le manque à gagner pour l’industrie pharmaceutique en
Europe est évalué à 10,2 milliards d’euros par an, selon un rapport de l’Office
de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) publié en 2016.
La
contrefaction de médicaments, nouveau défi criminel
C’est une criminalité
pharmaceutique en plein essor qu’il faut prendre au sérieux et combattre. Une
Convention Médicrime, unique outil international qui criminalise la contrefaçon
mais aussi la fabrication et la distribution de produits médicaux mis sur le
marché sans autorisation ou en violation des normes de sécurité a été créée en
2011 et démarre poussivement - à ce jour, elle ne compte que 26 Etats signataires. Combien faudra-t-il
de mort, singulièrement dans les pays les plus pauvres avant qu’elle soit
effective, même si cela heurte les intérêts de certains pays contrefacteurs.
Certains pays (Algérie, Etats-Unis, Hongrie, Mexique,Russie) ont récemment considérablement alourdi les peines à l’encontre des
trafiquants de faux médicaments. Constatons aussi que la multiplication de la
fabrication de génériques dans des pays à bas coût de main d’œuvre a constitué
une tentation peu résistible pour la fabrication de médicaments contrefaits.
En ce qui concerne la
France, la sécurité des chaines de distributions exclusives ( répartiteurs et
pharmacies) constitue encore une bonne protection, ainsi que le respect des
emballages – des solutions de marquage plus sophistiquées pourraient le cas
échéant être étudiées.. La multiplication des ventes hors pharmacies serait au
contraire un danger à prendre au sérieux. Et surtout, cette fausse bonne idée,
extrêmement dangereuse : la vente à l’unité des médicaments. Elle n’a aucun
intérêt économique, car, rappelons-le, sauf cas particulier, ce n’est pas
le produit médicament lui-même (la
pilute, le comprimé) qui coûte cher, mais la recherche qui a permis sa
découverte : le déconditionnement et la vente à l’unité renchériraient le prix
du médicament du coût des manipulations en officine ! Et surtout, ils
mettraient en péril la sécurité de sa distribution en rompant les emballages-
favorisant le reconditionnement de médicaments comprimés.
Si les Etats ne
réagissent pas davantage, « la contrefaçon de médicaments risque de devenir un
phénomène hors contrôle, menaçant à la fois l’Etat de droit et la santé
publique », décrit Bernard Leroy, directeur de l’IRACM. Eh bien il est plus que
temps d’agir !!