La mucoviscidose : grands progrès contre un fléau
immémorial
La mucoviscidose
est le plus répandue des maladies génétiques dans la population occidentale,
touchant environ un enfant sur 3 500 naissances ; la fréquence des hétérozygotes, porteurs
sains de la maladie mais susceptibles de la transmettre est d’environ 1⁄252, soit 4 % de la
population générale occidentale. C’est une vielle maladie- au Moyen Age, elle
était appelée maladie du baiser salé, et les enfants atteints, qui mouraient
rapidement, étaient parfois considérés comme ensorcelés.
C’est en 1988 que
l’origine de la maladie a été comprise, avec
l’identification du gène responsable par les équipes de Lap-Chi Tsui et
Jack Riordan (Hospital for Sick Children de Toronto), Francis Collins (Michigan Medical School). Il s’agit
d’une protéine responsable du transport des ions chlorures (CFTR), qui subit
une ou plusieurs mutations et devient incapable de fonctionner. La mutation la
plus répandue est dite DelF508 et
représente 66% des cas. Les glandes exocrines ne fonctionnent plus et
provoquent l’apparition d’un mucus épais, très difficile à évacuer et
favorisant toutes sortes d’infection. L'insuffisance de fonctionnement des
glandes exocrines se remarque surtout au niveau du poumon, du pancréas et du
foie. Il n'y a pas encore de traitement curatif mais les progrès de la prise en
charge (kiné respiratoire, régime, antibiothérapie, oxygénothérapie…) ont
permis d'améliorer la qualité et l'espérance de vie des patients ; ainsi en
France, l'espérance de vie à la naissance est passée de sept ans en 1965 à 47
ans en 2005 et dépasse 50 ans depuis 2014.
Un immense et quasi-inespéré progrès thérapeutique
En 2010, la firme
américaine Vertex, après des années de recherche très complexes (il leur a
fallu tout inventer en ce domaine, en particulier des tests cellulaires pour
évaluer les médicaments, tests dont maintenant bénéficient tous les chercheurs
du domaine, a trouvé un premier médicament, l’Ivacaftor. Il semblait incroyable
qu’une petite molécule chimique puisse traiter une maladie génétique aussi
complexe, mais les bénéfices thérapeutiques se sont avérés bien réel pour une
petite portion des patients porteurs d’une mutation particulière et même, de
façon plus surprenante au-delà. Ils ont suscité l’enthousiasme des associations
de malades puissantes et bien organisées, fortement impliqués dans la
recherche. En 2015, Vertex a
considérablement amélioré son
médicament en inventant l’Orkambi, une
association de deux molécules (bithérapie) :
l'Ivacaftor qui augmente
l'activité de la protéine CFTR à la surface de la cellule épithéliale, tandis
que le Lumacaftor agit en augmentant la quantité de protéine CFTR à la surface
de la cellule. Cette bithérapie permet d’augmenter l’efficacité et surtout le
nombre de patients répondeurs pouvant profiter du traitement.
Quel prix pour l’Orkambi ? le bras de fer
Tout irait bien
avec une avancée thérapeutique majeure, si
Vertex n’avait annoncé l’arrêt des essais cliniques en France d’une
triple combinaison encore plus prometteuse. La raison : la France a pour
l’instant refusé le prix demandé par Vertex pour la mise sur le marché de
l’Orkambi. Cette décision a provoqué la colère des associations de patients.
«Vaincre la Mucoviscidose », « l'Association Grégory Lemarchand » et la «
Filière Muco FTR » qui coordonne l'action des acteurs engagés dans la lutte
contre la Mucoviscidose ont expliqué que
« pour les patients souffrant de mucoviscidose [ils sont 7.000 en
France], être exclus de ces recherches est une réelle perte de chance. » car
ils ne pourront pas « bénéficier d'un accès précoce au traitement en cas de
succès. Ils dénoncent à juste titre une situation qui apparait bel et bien comme une forme de chantage.
A ceci Vertex
répond qu'il « comprend la colère des patients et des professionnels de santé
», mais que « le laboratoire ne veut pas mener, en France, des essais sur un
produit qu'il ne pourra peut-être jamais y commercialiser ». A l'appui de cette
affirmation, les négociations de prix menées depuis un an et demi sur la
précédente génération, celle de la bithérapie Orkambi. Vertex a fait six
propositions de prix au CEPS (Comité économique des Produits de Santé), dont la
dernière à quelque 13.000 euros par mois et par personne. Si la France, la
Belgique et les Pays-bas ont refusé l’Orkambi à ce prix, l’ Allemagne, l’
Italie et l’Irlande ont accepté- les USA également, mais les assurances
exercent une forte pression à la baisse.
Ceci est assez
inquiétant : quelques remarques un peu désabusées.
- L’arrêt punitif des essais cliniques ;
Vertex n’aurait jamais pu progresser ses composés sans la forte implication des
associations de patients, sans diverses aides. Cette prise en otage des
patients lors des études cliniques est inacceptable et scandaleuse, et en plus
pas très intelligente dans le propre intérêt de Vertex. Si cette méthode
punitive lors du bras de fer est, répétons-le, inacceptable, la position de
Vertex sur le remboursement de l’Orkambi n’est pas dépourvu de fondements.
- Les bras de fer lors des négociations de
prix : alors que la Haute Autorité de Santé, lors de son évaluation, a
considéré que ce médicament était radicalement
nouveau et ne pouvait être comparé à aucun autre, le Comité Economique des Produits de Santé
propose comme prix de référence celui du Pulmozyme de Roche, un médicament
autorisé depuis vingt ans, qui soulage en fluidifiant le mucus mais n’améliore
pas l’état des patients comme le fait Orkambi. C’est quand même un peu se
moquer du monde !
Vertex demande un
prix correspondant à 13000 euros par mois et par patient ((soit 160000 euros
par ans à vie…10 ans, 1.6 millions d’euros, par malades 7,000 malades) qui est
insupportable pour notre système de santé. Conséquences de ce bras de fer : des
patients peuvent tout de même avoir accès au traitement, distribué grâce à des
autorisations temporaires d’utilisation, mais de façon arbitraire et
intermittente- une vraie angoisse proche de la torture.
On pourrait
peut-être, de part et d’autres négocier à partir de positions plus réalistes et
gagner du temps. Et l’on se dit que peut-être ces bras de fer qui tendent à
devenir de plus en plus fréquents entre firmes inventrices et autorités de
santé pourraient être abrégés et seraient plus favorables pour nos systèmes de
santé si les négociations avaient lieu à l’échelle européenne. Puisque marché
unique il y a, qu’il serve à quelque chose ! La Commission ferait mieux de
s’intéresser à ce problème plutôt qu’à la privatisation des concessions
hydrauliques (cf blog précédent)
- Le coût du progrès : à combien
sommes-nous prêts à payer dix, vingt, trente ans d’une vie plus normale pour un
malade de la mucoviscidose ? Cette question sera difficile à éviter, pour toutes les maladies génétiques. Dans le
cas de l’Orkambi et de la mucoviscidose, il se pose de façon aigue. Un
mécanisme de régulation des prix maintenant classique et assez vertueux et
intelligent, les accords prix volumes permettent de faire baisser le prix du
médicament lorsqu’il est plus vendu. Il est inopérant ici en raison du faible
nombre de patients (7000). Si Vertex demande un tel prix, c’est aussi parce qu’il
s’agit de rentabiliser une recherche complexe et pionnière, qu’eux seuls ont
entrepris et réussi en premier. Mais maintenant que la voie est tracée,
d’autres compétiteurs peuvent apparaitre- qui profitent (à grands risques et
difficultés quand même) de la voie ouverte par Vertex et pourront proposer des
molécules et des traitements à prix plus bas- une alliance Abvie Galapagos est
sur les rangs.
Il est légitime
que Vertex puisse rentabiliser une rechercher pionnière qui a abouti à un
progrès réel- sans quoi le progrès thérapeutique risque de ralentir
considérablement. Mais il n’est surement pas légitime qu’un prix aussi élevé
soit maintenu durant toute la vie du médicament. On pourrait réfléchir à un prix baissant au cours du temps (au fond,
l’équivalent d’un accord prix volume étalé dans le temps). On pourrait
aussi lisser encore cet effet, particulièrement dans des cas comme celui-ci) en
étendant la durée de vie des brevets pharmaceutiques
Une dernière
remarque. Pour les chercheurs qui s’y consacrent, ce n’est pas l’appât du gain
qui les attire vers la recherche pharmaceutique – ils choisiraient une autre
profession-, mais l’espoir de trouver des remèdes aux maux humains, d’améliorer
et d’étendre la vie des malades. Lorsqu’ils y parviennent, et cela n’a rien
d’évident, au lieu d’être remerciés ou glorifiés, les voilà maintenant le plus
souvent accusés de vouloir ruiner le budget social des pays ? C’est un peu
démotivant.
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