J’ai déjà abordé ce sujet de la taxonomie verte dans un
précédent blog, Urgence nucléaire et
climatique, alerte ! : l’énergie nucléaire exclue de la taxonomie verte.
La Commission européenne travaille sur une taxonomie
verte, c’est-à-dire une sorte de labellisation destinée à guider les
investissements financiers vers les secteurs et les activités les plus
appropriés pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, la transition
vers un économie bas-carbone et un modèle de développement durable. Le nouveau
ici est qu’un groupe d’expert a rendu son avis et qu’à ce stade, il recommande
que le nucléaire soit exclu de la taxonomie, c’est-à-dire n’ait pas à accès à
des financements privilégiés alors que c’est la première source d’énergie
décarbonée en Europe, et la seule, à part l’hydraulique, qui soit pilotable
c’est-à-dire disponible quand on en a besoin, et pas quand il fait beau et que
le vent souffle – un détail apparemment aux yeux de certains écolos et des
bureaucrates européens ! Sous une forme assez technique, c’est un
véritable coup de force, un diktat allemand qui pénalise de nombreux états,
l’industrie nucléaire et ses utilisateurs.
Si
le groupe d’expert reconnait le caractère fortement décarboné de l’électricité
nucléaire, il l’élimine provisoirement au titre d’un critère DNSH (Do
Not Sgnificantnly Harm), principalement en raison de la question des déchets.
Le groupe d’expert laisse cependant une porte ouverte en reconnaissant son
incompétence sur le sujet, et en proposant une expertise ciblée sur la
question.
C’est là une opportunité importante dont il faut se
saisir, et, par ailleurs, le rapport du groupe d’expert fait l’objet d’une
consultation européenne à laquelle tout citoyen ou partie prenante peut
participer avant le 27 avril ! Site de la consultation : Urgent,
Mobilisez-vous !
Site
de la consulation https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12302-Climate-change-mitigation-and-adaptation-taxonomy
NB :
Jean-François Brette sur tweeter a publié une excellente compilation des
réponses envoyées ; et il ya quelque chose d’assez réconfortant, c’est qu’
enfin les jours du nucléaire bashing
semblent derrière nous !
Un
syndicat français de salariés, la CFE-CGG Energie a répondu à la consultation
de manière très argumentée. Extraits
Résumé
et points principaux de friction
« L’Union Européenne, par le « Green Deal », a confirmé sa volonté de
parvenir à l’horizon 2050 à une économie neutre en carbone, et, pour aller
au-delà des vœux pieux, de tracer une feuille de route concrète et responsable
pour y parvenir. Le règlement sur la taxonomie est le moyen de mettre en place
un cadre orientant les investisseurs et facilitant des flux d’investissement
importants vers les innovations, les technologies et les projets les plus
pertinents pour permettre d’atteindre cet objectif. En tant qu’organisation
représentative de salariés du secteur de l’énergie, second syndicat du secteur
en France, membre des fédérations syndicales européennes EPSU et Industriall,
la CFE-CGC Énergies souhaite légitimement apporter dans le document ci-joint sa
contribution à l’évaluation du Technical Expert Group (TEG) sur la taxonomie et
relayer un certain nombre de critiques ou d’inquiétudes exprimées par ses
mandants concernant :
• Le non-respect de la neutralité technologique bas carbone,
• L’exclusion « à ce stade » du
nucléaire de la taxonomie dite verte,
• Les contraintes irréalistes sur le
gaz et l’hydroélectricité
• La responsabilité des États dans leur mix
énergétique,
• La prise en compte des aspects
sociaux et stratégiques par les critères DSNH. Finance durable et « taxonomie
verte »
-
Position de la CFE-CGC Énergies sur le rapport
du Technical Expert Group (TEG) Avril 2020
« L’Union Européenne, par le « Green Deal », a confirmé sa volonté de
parvenir à l’horizon 2050 à une économie neutre en carbone, et, pour aller
au-delà des vœux pieux, de tracer une feuille de route concrète et responsable
pour y parvenir. Le règlement sur la taxonomie est le moyen de mettre en place
un cadre orientant les investisseurs et facilitant des flux d’investissement
importants vers les innovations, les technologies et les projets les plus
pertinents pour permettre d’atteindre cet objectif. En tant qu’organisation
représentative de salariés du secteur de l’énergie, second syndicat du secteur
en France, membre des fédérations syndicales européennes EPSU et Industriall,
la CFECGC Énergies souhaite légitimement apporter sa contribution à
l’évaluation du Technical Expert Group (TEG) sur la taxonomie et relayer un
certain nombre de critiques ou d’inquiétudes exprimées par ses mandants.
La CFE-CGC Énergies soutient les
objectifs de la Commission européenne et l’initiative de financement durable
qui en constitue un outil essentiel, aux conséquences importantes qui doivent
être donc soigneusement pesées. Notre organisation partage le consensus
international sur les technologies à embarquer pour réussir le Green Deal,
l’AIE appelant les pays industrialisés à privilégier les énergies renouvelables
(EnR), le nucléaire et le gaz, ce dernier en substitution des énergies fossiles
plus carbonées que sont le pétrole et le charbon (de manière transitoire le gaz
naturel et demain le biogaz comme énergie renouvelable neutre en carbone
lorsqu'il sera suffisamment compétitif d’un point de vue économique pour
remplacer le gaz naturel).
En conséquence, elle souhaite apporte des précisions sur les points
suivants.
1) La neutralité technologique bas
carbone n’a pas été respectée Seule une approche technologique agnostique
permet d’identifier le résultat le plus efficace et le plus pertinent. Or,
le rapport du TEG ne suit pas cette méthode, en particulier, il n’impose pas
que toutes les sources d’énergie sans exception soient évaluées sur
l’intégralité de leur cycle de vie, selon une méthodologie dont la rigueur est
validée et internationalement reconnue (par exemple, normes ISO 14040 et
14044).
Tout choix a priori qui ne serait
pas soutenu par ce type d’analyse porte gravement atteinte à la crédibilité de
ce texte. Le fait que les EnR en soient exemptées et que, pour le nucléaire, il ne
soit pas reconnu que la faiblesse des émissions de gaz à effet de serre ne
concerne pas que la phase d’exploitation, mais bien tout le cycle de vie
(12gCO2/kWh selon le 5ème rapport du GIEC), constitue une violation flagrante
du principe de neutralité technologique qui doivent être corrigées.
Enfin, le critère DSNH (Do Not
Significantly Harm), s’il est indispensable, est plus vague et doit lui aussi
être appliqué selon le critère de neutralité technologique et l’état des
connaissances scientifiques, et non selon des critères dépendant du résultat
souhaité. Cela visiblement n’a pas été toujours le cas, en particulier pour les
déchets nucléaires (voir ci-après). Ceci semble refléter la prise en compte
d’agendas non techniques et très politiques de certains pays ou organisations
qui n’ont nullement le monopole de l’écologie scientifique, ce qui nuit
gravement à la pertinence du rapport du TEG.
2) L’exclusion « à ce stade » du
nucléaire de la taxonomie dite verte. Si le nucléaire est bien identifié comme une
source d’énergie très décarbonée (6g
CO2/kWh dans l’industrie française, selon l’évaluation de l’ADEME), il
n’est pas suffisamment souligné qu’il est non
intermittent et flexible et qu’il n’a pas besoin d’être combiné avec
d’autres moyens de production d’électricité ni de stockage à grande échelle
pour assurer la sécurité du système électrique ; sa faible incidence sur,
notamment, la pollution atmosphérique, la consommation de matières premières,
l’utilisation des sols n’est pas non plus soulignée, et, de façon générale, le
manque de prise en compte de ces critères constitue une faiblesse
méthodologique générale et importante du TEG sur la taxonomie.
L’exclusion du nucléaire, à ce stade,
proviendrait du fait que la gestion de ses déchets ne répondrait pas au critère
DNSH. La CFE-CGC Énergies s’inscrit en faux
contre cette allégation qui ignore visiblement les réalités technologiques et
l’état de la science. Les déchets radioactifs sont gérés selon de stricts
protocoles, leur gestion est encadrée par les autorités de sûreté nationales et
ils font l’objet de nombreuses spécifications du traité Euratom ; il
conviendrait tout de même que la taxonomie n’ignore pas les traités européens
existants ! En ce qui concerne les déchets de faible activité, il existe un
consensus européen pour définir un seuil de libération à partir duquel ces
matériaux peuvent être considérés comme des matériaux ordinaires : AIEA (guide
RS-G-1.7), directive 2013/59/ Euratom. De plus, le recyclage du combustible
nucléaire usé peut être étendu pour mieux utiliser les ressources en uranium et
réduire les déchets.
Le volume des déchets de forte
activité, après retraitement, représente en France 3 % des déchets radioactifs,
soit l’équivalent d’une piscine olympique pour l’ensemble du parc français
depuis sa création. Pour ces déchets ultimes, l’enfouissement
profond dans des dépôts géologiques (de stabilité supérieure à 150 millions
d’années contre une radioactivité détectable de 15.000 ans pour les déchets
retraités) constitue une solution
validée par les autorités de sûreté de nombreux pays (France, Finlande,
Suisse pour l’Europe, mais aussi USA, Japon, Canada, Russie, Chine). Pour la
France, la CFE-CGC Énergies soutient le
projet CIGEO.
Il est à noter que le TEG, après sa position de principe sur l’exclusion du
nucléaire, reconnaît cependant son manque de compétence sur le sujet et ouvre
la porte à une expertise internationale. La
CFE-CGG Énergies appelle à suivre cette recommandation et à nommer un groupe
d’experts pour évaluer le caractère durable et l’aspect DNSH des solutions pour
le traitement des déchets nucléaires, en respectant la neutralité
technologique. Ce groupe devrait être constitué d’experts des autorités de
sûreté nationale, d’agences publiques en charge de la gestion des déchets
radioactifs, de représentants d’organismes de recherche actifs dans les
sciences et techniques nucléaires, et la radioprotection.
La CFE-CGC Énergies insiste sur
l’importance de traiter rationnellement et rapidement ce problème. Le
rapport du TEG traite ainsi bien légèrement une énergie abondante, compétitive,
fortement contributive au PIB et qui est actuellement la première source
d‘énergie décarbonée en Europe ! Il est
par conséquent nécessaire d’éliminer l’incertitude actuelle sur le nucléaire
: d’abord tant pour son importance propre dans le défi climatique (rappelons
que par ailleurs l’électricité est amenée à se substituer massivement à
certains utilisations des énergies fossiles) ; et ensuite parce que l’exclusion de la taxonomie verte impacterait
aussi fortement toutes les industries utilisatrices qui se verraient refuser
l’accès à des financements privilégies pour optimiser leurs process dans le
sens de la transition énergétique.
3) Des contraintes irréalistes sur le gaz et
l’hydroélectricité ; Toutes les activités de stockage et de transport d’énergies
fossiles sont exclues de la taxonomie verte de fait. Un projet de production
d’énergie à partir de combustibles fossiles gazeux ou liquides ne peut ainsi
être étudié que s’il émet moins de 100 g de CO2 équivalent par kilowattheure et
ce chiffre sera réduit par tranches de cinq ans pour arriver à 0 g CO2/kWh
d’ici 2050. Là encore, la CFE-CGG Énergies s’interroge sur le bien-fondé de
décisions peu fondées technologiquement et qui ignorent les réalités
industrielles et des pans entiers d’activité. Dans le domaine énergétique, la
décision proposée par le TEG est nettement contreproductive. Elle risque de
ralentir la suppression des centrales à charbon ou lignite qui constituent
encore une part importante de la production de certains pays. Les convertir en
centrales au gaz constitue le moyen le plus rapide de réduire drastiquement
leur empreinte carbone à court terme, même si d’autres technologies seront
nécessaires à l’avenir pour atteindre ensuite le « zéro émission nette ». C’est
la seule solution qui permette à court terme à ces pays de diminuer leur
empreinte carbone tout en gardant une source d’énergie pilotable abondante et
économique, ce que ne permettent absolument pas les EnR électriques (alors que
le biogaz, lorsque sa production sera compétitive, pourra être plus facilement
transporté et stocké). C’est aussi ignorer le rôle important et irremplaçable
du gaz dans toute une gamme d’industries chimiques, agrochimiques,
pharmaceutiques qui seraient exclus de l’accès aux financements privilégies
pour optimiser leurs process dans le sens de la transition énergétique, de
l’efficacité énergétique et de la décarbonation…
L’hydroélectricité constitue un
outil majeur pour atteindre la neutralité carbone, mais qui est nécessairement
limité par la géographie de chaque pays. Là encore, le TEG a imposé des
contraintes techniquement irréalistes, qui marquent une ignorance certaine des
réalités industrielles. C’est notamment le cas en exigeant que le critère de
zéro émission nette soit atteint sur le seul périmètre de chaque projet
hydroélectrique. Une plus grande clarté est aussi nécessaire concernant les petites centrales hydroélectriques (moins
de 10 MW) que le TEG appelle à ne pas favoriser, donc à ne pas rendre éligibles
aux financements verts. Cela ne repose sur aucune rationalité technique,
les effets positifs et négatifs d’une centrale hydraulique étant spécifiques à
un site et à une masse d’eau donnés, indépendamment de sa taille, et cela
revient à brider le développement de l’hydroélectricité dans des pays (et c’est
assez généralement le cas en Europe) où tous les sites importants sont déjà
exploités. Par ailleurs, la production électrique issue d’une centrale
hydroélectrique ne constitue qu’un aspect de tout un service public de l’eau
qui a des répercussions sur l’alimentation en eau, l’agriculture et
l’aménagement du territoire. Pour cette raison, la CFE-CGC Énergies rappelle
son opposition à la mise en concurrence des concessions hydrauliques, qui ne
garantit nullement l’accomplissement des missions de service public, ni la
réalisation d’investissements à long terme allant dans le sens de la transition
énergétique.
4) La responsabilité des États dans
leur mix énergétique La CFE-CGC Énergies rappelle que la politique
énergétique est de la responsabilité des ÉtatsMembres qui ont des contextes
géographiques, économiques et historiques très différents, et qui doivent
pouvoir choisir leur palette d’outils bas carbone et faire leurs propres choix
technologiques pour réussir leur transition énergétique.
Ici encore, le respect de la neutralité technologique est essentiel, car si des États se voyaient interdire, via une
taxonomie trop restrictive, l’accès à des financements verts pour des projets
bas carbone importants et structurants selon des critères technologiquement
injustifiés (par exemple dans le cas des projets nucléaires en Finlande,
Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Hongrie), c’est l’adhésion au projet
européen qui s’en trouverait affectée à un moment où l’Union européenne
(UE) fait face à une crise d’une gravité sans précédent.
5) Les critères DSNH doivent prendre
en compte des aspects sociaux et stratégiques. Un investissement vert ne
peut pas être un investissement qui violerait les garanties sociales minimales reconnues par les États-Membres, ou
qui provoquerait de graves difficultés d’emplois, même temporaires, sans offrir
de solutions satisfaisantes de reconversion. Par ailleurs, la crise actuelle du
COVID-19 nous oblige impérativement à revoir notre dépendance industrielle et
technologique vis-à-vis des pays tiers et à entamer une véritable politique de
réindustrialisation.
Les investissements verts doivent
prendre en compte les aspects négatifs d’une mondialisation non régulée, ainsi
que les aspects stratégiques. Les financements verts européens ne doivent donc pas
entraîner un surcroît de dépendance vis-à-vis d’États extérieurs à l’UE, dont
chacun peut maintenant constater la dangerosité, ils ne doivent pas servir à
financer des chaînes de valeurs industrielles quasi-exclusivement installées en
dehors de l’UE. Enfin, il serait absurde
de labelliser verts des financements qui auraient pour simple résultat
d’externaliser les incidences négatives (émissions de CO2, pollutions,
conséquences sanitaires, coût et externalités négatives du transport) hors
d’Europe. Les leçons d’un développement non piloté de l’éolien et surtout
du solaire par l’Europe et les États-Membres qui a conduit, par le choix d’EnR
de plus en plus lowcost, à une création importante de valeur et d’emplois
principalement en Chine doivent être prises en compte.
Pour cette raison, la CFE-CGC Énergies considère que les aspects sociaux et stratégiques doivent être pris en compte
dans la taxonomie verte, possiblement au titre des critères DSNH.
La taxonomie verte représente un outil important pour la réussite d’une
transition énergétique climatiquement efficace, économiquement favorable et
socialement juste. Ses potentialités sont immenses, ses conséquences doivent
être soigneusement évaluées. La CFE-CGC
Énergies estime essentiel le respect de la neutralité technologique dans tous
ses aspects, sans quoi cet outil perdra toute légitimité et se heurtera à
l’incompréhension des salariés européens. Elle espère que les futures
discussions sur la taxonomie incluront des aspects sociaux et stratégiques,
qu’elles seront transparentes et ouvertes aux parties prenantes et qu’elles
permettront de développer un modèle européen d’entreprises plus responsables
environnementalement et socialement. Ce sont des conditions essentielles pour
que la taxonomie atteigne ses objectifs et soient effectivement utiles pour
orienter les investissements vers une transition énergétique réussie et conforme
au Green Deal
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