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mercredi 9 septembre 2020

Sur une note d’Alain Grandjean dans Enerpresse, Quels enjeux économiques pour l’industrie nucléaire ?


 (Enerpresse, N°12648 Jeudi 3 septembre 2020)


Les « étrangleurs ottomans » du nucléaire

Alain Grandjean est parfaitement représentatif de ceux que j’appelle les « étrangleurs ottomans du nucléaire » (l’étrangleur ottoman, c’était l’exécuteur du grand vizir, qui vous étranglait si dextrement avec son cordon que vous ne vous en rendiez pas compte).  Attention, c’est pas Michèle Rivasi, ou Sortir du Nucléaire, qui manipulent les peurs à coups de nuages  de Tchernobyl et de fuites de tritium du dixième de banane, non, on est quelques bons niveaux au-dessus. Ils ne contestent pas le caractère décarbonné du nucléaire (6gCO2/kw.h pour le nucléaire, pas 66, ni 666 marque du diable Mme Rivasi,),  ne mentent pas sur les données physiques principales, reconnaissent même au nucléaire un caractère indispensable au moins temporaire comme base pilotable des ENR ;  mais ils tordent en permanence la réalité pour arriver à la conclusion de la fin inéluctable du nucléaire, et proposent des mesures qui, sous un vernis de neutralité, conduisent à cette fin, et même l’accélère.

Un vernis de neutralité

L’article est signé Alain Grandjean, économiste, Farah Hariri, physicienne nucléaire. Or Alain Grandjean, associé-fondateur de Carbone 4, cabinet de conseil et d'études spécialisé dans la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique est depuis longtemps l’un des piliers de la fondation Nicolas-Hulot, et depuis janvier 2019, il  en est même président. Le moins qu’on puisse dire est que cette fondation n’a pas une approche neutre sur la question du nucléaire civil. De son côté, Farah Hariri n’est pas que physicienne nucléaire (au CERN) ;  lors de la présidentielle , elle a conseillé (et conseille encore ?) le mouvement En Marche! sur sa stratégie énergétique,  missionnée par Joachim Son Forget, le référent du candidat Macron en Suisse (https://www.tdg.ch/geneve/grand-geneve/tete-chercheuse-macron-suisse/story/30443011)
Le choix de la présentation des auteurs, assez particulière – il est rare que Grandjean ne fasse pas mention de la Fondation Nicolas Hulot ou de Carbone 4 et vise clairement à donner à l’article une aura de pure neutralité scientifique en masquant les engagements idéologiques ou politiques de ses auteurs… Il est par exemple remarquable que Alain Gandjean et sa coauteur ne critiquent clairement aucune des décisions énergétiques politiques récentes, même parmi les plus contestables : arrêt d’Astrid, fermeture de Fessenheim, fermeture de 14 centrales prévues par la PPE…Et lorsque le sujet est évoqué, c’est d’une manière assez allusive !

L’ombre du militaire sur le nucléaire civil

« La question du nucléaire civile est en forte relation avec celle du nucléaire militaire : d’une part parce que les deux problèmes principaux du nucléaire (le risque de prolifération et le risque d’accident majeur2 ) sont fortement liés au choix du cycle du combustible »

« Il n’est donc pas facile de séparer, sans ambiguïté, le nucléaire civil des activités de fabrication d’armes »

« Les centrales nucléaires actuelles produisent également du plutonium qui peut servir à la fabrication d’armes. »

Que dans un exposé sur le futur du nucléaire civil en France et en Europe, on commence par rappeler brièvement  le lien historique en France entre le nucléaire militaire lié à la volonté d’indépendance et de puissance du Général de Gaulle, et le développement subséquent du nucléaire civil, pourquoi pas ? Mais insister ad nauseam sur un supposé lien perpétuel et universel entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire, c’est évidemment placer le nucléaire civil dans l’ombre supposée maléfique du nucléaire militaire, et, en quelque sorte, placer  chaque centrale dans l’ombre du champignon atomique d’Hiroshima. C’est la rhétorique classique des adversaires intransigeants du nucléaire, tels Sortir Du Nucléaire.

C’est ignorer tout de même le Traité de Non Prolifération entré en fonction en 1970, signé par 191 Etats (manque Inde, Israël, Pakistan, Soudan du Sud et la Corée du Nord, qui s’en est retirée) et le rôle très effectif de l’AIEA dans son contrôle et qui a permis le développement du nucléaire civil dans de nombreux pays sans pour autant que se produise la très redoutée, dans les années 60, prolifération du nucléaire militaire. Les cas problématiques se comptent sur une seule main, et encore pas entière.

Quant à l’affirmation sur le plutonium civil qui « peut » servir à la fabrication d’arme, le très influent et pointu Tristan Kamin demande : «   Quelle est la source ? Cette affirmation est fréquemment faite par des anti-nucléaire, mais jamais de preuve. »  Si Alain Grandjean a des preuves, qu’il en fasse part à l’AIEA, ça devrait beaucoup les intéresser ! Il n’est pas si facile que ça de passer du plutonium civil au plutonium militaire, et de le faire de manière dissimulée !

https://doseequivalentbanana.home.blog/2020/06/27/le-nucleaire-civil-et-militaire-deux-freres/

Le coût de Flamanville et plus généralement des EPR

« Pour conclure le coût du MWh de Flamanville 3 dans ces hypothèses est situé entre 154 et 163 euros. Rappelons qu’il s’agit de minorants. »

 « le LCOE de FLA3 s’élève, après la réévaluation du coût complet d’investissement faite par la Cour des comptes à environ 150 euros le MWh, HPC au moins à 110. Il est difficile d’imaginer que les 6 EPR français seront beaucoup moins coûteux »

Je reviendrais plus longuement sur le LCOE par la suite. Quant à la seconde partie de la phrase, c’est évidemment le contraire qui est le plus vraisemblable : il est difficile d’imaginer que les 6 EPR français ne soient pas nettement moins coûteux ! Flamanville était le premier prototype, lancé au surplus dans un climat de relations toxiques entre EDF et Areva, victime (et c’est l’une des principales conclusions de rapport Folz) de décisions politiques fluctuantes et contradictoires, conduisant à de très dommageables stop and go, victime aussi d’un pilotage de projet défaillant  et d’une perte de compétence de sous-traitants (mais que se serait-il passé si l’entreprise STX, l’un des plus grands constructeurs mondiaux de paquebots de croisière n’avait  pas construit de navires durant plus de dix ans?) Il est tout de même difficile d’imaginer que les retours d’expériences de Flamanville lui-même, des EPR chinois, de Hinkley Point ne seront pas utilisés et que la remobilisation des acteurs de la filière (et c’est pour cela qu’il importe de confirmer rapidement la commande de 6 EPR prévus par la PPE) ne produise pas des effets bénéfiques.

Dans son  étude «  Les coûts de production du nouveau nucléaire Français, mars 2018)  la SFEN prévoit des gains importants de 30 à 50% :

« Le coût du nucléaire de troisième génération repose sur deux facteurs : le coût d’investissement et le coût du financement. La SFEN estime que des gains importants sont possibles par rapport aux premiers chantiers : de l’ordre de 30 % sur le coût de construction, grâce à des effets de série et d’apprentissage, et jusqu’à 50 % sur les coûts financiers, notamment via la conception des contrats. »



Les prédictions pour Sizewell d’EDF sont encore plus optimistes.  Julia Pyke, directrice "Régulation économique et financements" du projet Sizewell C :

 « Si la construction de Sizewell C est financée sur le même modèle que les lignes de transport, c'est à dire dans les termes du Regulated Asset Base (RAB) dont bénéficie Scottish and Southern Electricity Network, alors Sizewell C coûterait au consommateur environ 40 €/MWh. » Explication :  « Le coût de l'argent dépend du niveau de risque qu'il est considéré honnête d'imposer aux investisseurs. Il s'agit de trouver un équilibre entre le maintien bas des coûts de construction et le coût d'ensemble de l'électricité pour les consommateurs. »

(EDF Energy, https://t.co/ZHHKIuJrWa?amp=1)

Une explication sur le LCOE (qui fonde les prédictions de coût de l’électricité des EPR)

Le pavé sur le calcul du LCOE qui occupe toute la p.12 constitue un cas typique d’intimidation mathématique. En étalant un certain nombre de sigmas et de rapports enchevêtrés, on exhibe les instruments mathématiques comme l’Inquisition exhibait ses instruments de torture, ce qui dans un cas comme dans l’autre aboutit généralement à abréger les débats pour arriver plus rapidement à la conclusion souhaitée.

Relevons tout d’abord que ces calculs ont été fait  pour une exploitation de 60 ans et non de 80 ans, ce qui diminuerait en proportion les coûts (mais il est vrai qu’il faudrait alors sans doute prendre en compte des réinvestissements peu prévisibles).

Mais surtout, plutôt que d’exhiber ainsi des équations, il conviendrait plutôt de rappeler les limites du calcul, sa significativité  et sa sensibilité extrême à certains paramètres, et la loi d’airain : bullshit in, bull shit out. Cela est fait succinctement d’ailleurs, mais en note. :

« Le coût du capital est un déterminant essentiel du coût du MWh et l’actualisation est faite en général avec un taux qui reflète ce coût. À titre d’exemple, le coût du MWh de HPC double quand le taux d’actualisation passe de 3 % à 10 %. Une nationalisation du nucléaire permettrait en théorie de le réduire. »

Or, pour comprendre les tenants, les aboutissants et la signification du LCOE, c’est bien évidemment cet avertissement qu’il aurait fallu placer en tête et en gras…et plutôt les formules mathématiques en note !.

Car il signifie que le coût du kilowattheure de l’EPR d’Hinkley Point, si savamment calculé par le LCOE, diminue de moitié quand le taux d’actualisation du capital passe de 3 % à 10 % !

Explication : Le coût d’un EPR est pour les deux tiers…le coût des intérêts financiers. Or, les 10% (ou 9% ?) d’actualisation de Hinkley Point sont un exemple extrême à ne pas reproduite, et qui ne sera pas reproduit,  lié au contexte britannique de refus de toute intervention de l’Etat, contexte qui en train de changer. Pour preuve, cette remarque de la structure d’audit britannique à propos de Hinkley Point :

« Dans son audit du projet HPC, le Bureau national de vérification (ONA) a conclu que jusqu'à six EPR auraient pu être construits pour les 11 cents / kWh du HPC, si l'État britannique avait financé le projet lui-même avec des obligations d'État bon marché. »

Donc, non, M. Grandjean, 1) les coûts ne peuvent pas être théoriquement réduits, ils peuvent être pratiquement beaucoup réduits, divisés par deux voir plus ; 2) Il n’est pas besoin pour cela de nationalisation (visiblement placé dans cette note comme un épouvantail synonyme de gabegie).
Les taux d’actualisation  peuvent être considérablement réduits, simplement avec un État « stratège »  qui prendrait  en charge une partie du risque en établissant des contrats de long terme (de type CFD) et structurerait  un programme nucléaire favorisant les baisses de coûts induites par un effet de série. 

Simplement et intelligemment.






Des affirmations péremptoires très contestables ou carrément fausses

Sur la partie technique des EPR, il  a été bien souligné par Tristan Kamin qu’au moins  deux affirmations péremptoires d’Alain Grandjean ne reflètent pas l’opinion des experts ou autorités compétentes :

« les EPR ne sont pas conçus de base pour « être moxés » »

Tristan Kamin : « Au contraire : ils sont d’après mes sources les premiers réacteurs conçus dès le départ pour être moxés, à un taux plus élevé que les autres (jusqu'à 100% de MOx sous certaines conditions)  https://senat.fr/rap/o97-612/o9


« Il est indispensable que les seuls déchets hautement radioactifs ne soient que les produits de fission »

Tristan Kamin : «  C'est l’ opinion d’Alain Grandjean, que l’on peut ne pas partager par exemple, au titre de la sûreté, l'IRSN. https://irsn.fr/dechets/cigeo/

« Un « brûleur » de déchets sera de toute façon nécessaire que l’on veuille rendre le cycle plus durable ou que l’on veuille sortir du nucléaire. »

Tristan Kamin : Ceci est toujours un mensonge, ou en tout cas une opinion et certainement pas un absolu.

En revanche curieusement, la filière d’Astrid/ surgénérateurs  n’est pas évoqué…(voir ci-après)

Même procédé à propos de considérations sur la politique énergétique, avec des affirmations péremptoires fausses ou très contestables :

« Nos voisins vont fermer d’ici 2050 toutes leurs centrales à charbon, qui contribuent à la base électrique européenne et vont les remplacer par des ENR variables »

C'est faux quand on regarde en Allemagne ou au Royaume-Uni. Les centrales à charbon sont essentiellement remplacées par du gaz, en gros par 20% d’éolien (facteur de charge)  et 80% de gaz.   Les ENRi sont ajoutées en plus : elles baissent le facteur de charge du pilotable, au prix en Angleterre d’une fragilisation du réseau qui a notamment conduit au black out géant de Londres et du sud de l’Angleterre du 9 août 2019. Ceci parce que l’Angleterre est complètement sortie du charbon pour la production électrique et n’a donc pas gardé assez de pilotables dans son mix électrique- d’où la décision d’une très grand programme nucléaire de 16.000 MW. L’Allemagne elle a gardé un important volant pilotable de charbon, dont elle ne prévoit de sortir qu’en 2038 et a même récemment construit et mis en service Datteln 4, un monstre de 1 100 MW.

« Au-delà, EDF souhaite maintenir cette part de  nucléaire de 50% jusqu’à 2050 »

Non ce n’est pas le souhait d’EDF, c’est ce qui lui est imposé par la PPE, qui a déjà abouti à la fermeture absurde de Fessenheim et qui lui impose de manière tout aussi absurde climatiquement, écologiquement et économiquement de fermer 14 centrales nucléaires.

« On peut également envisager d’autres technologies (les réacteurs à sels fondus en sont un exemple) »

Curieusement, Alain Grandjean, s’il se monte très circonspect et même assez négatif sur la technologie mature des EPR, manifeste un enthousiasme pour des technologies beaucoup plus exploratoires, telle celle des réacteurs à sels fondus (MSFR - Molten Salt Fast Reactor) dont il liste un certain nombre d’avantages supposés tirés d’une publication visiblement lue sans esprit critique, ce qui déclenche l’ironie de Tristan Kamin.

Tristan Kamin : « L'absence de risque de fusion est liée à l'état déjà liquide du cœur… donc le risque est "simplement" celui d'une fuite et plus d'une fusion….
D'autres filières de Gen IV permettent de fermer le cycle, ça n'est pas exclusif aux sels fondus….
 Le MSR n'est ni simple ni intrinsèquement sûr, sinon on en aurait partout depuis longtemps, c'est évident.
La modularité n'a rien de propre aux sels fondus…
On peut penser que même les très grands partisans de cette filière admettront qu'elle est ici défendue avec de très mauvais arguments. »

Curieusement, ces réacteurs à sels fondus sont aussi promus pace que « il est envisageable d’utiliser les très grands stocks d’uranium appauvri actuellement disponibles dans le monde et s’élevant à plus de 2 millions de tonnes. Il ne serait donc pas nécessaire d’extraire des minerais pendant au moins plusieurs centaines d’années »

C’était aussi exactement ce que permettait le programme Astrid de surgénérateurs récemment abandonné, utiliser les 7000 tonnes d’uranium appauvri que le parc français produit chaque année et les plusieurs centaines de milliers de tonnes stockés,  fournissant une énergie abondante pour plusieurs milliers d’années (7000 ans ?). Une technologie qui fonctionne en Russie (BN800 à BN-800 à Beloïarsk), avec des démonstrateurs avancés en Chine (CEFR), et en Inde. Mais Alain Grandjean toujours très minimaliste dans ses critiques de la politique gouvernementale française , n’a pas un mot sur Astrid.

La mortelle stratégie de la procrastination

« Lancer de 2 à 6 EPR (une analyse approfondie du délai restant pour leur déploiement et du coût à long terme de l’aval de la filière est nécessaire) »

« Au plan de l’approvisionnement énergétique, la décision de lancer un nouvel EPR n’a pas à être prise avant 2025 

« Le renouvellement des compétences sera assuré d’autant que le travail ne manque pas avec : le grand carénage, le démantèlement et la préparation des extensions de stockage (agrandir et repenser nos usines de retraitement de la Hague, construire des piscines, poursuivre Cigéo, et éventuellement accélérer le développement d’un projet industriel de brûleur de déchets par transmutation »

Nous sommes là totalement dans la stratégie de l’étrangleur ottoman…pas d’attaque frontale contre l’EPR, pas vraiment d’arguments, juste la suggestion d’attendre encore et encore (peut-être la prochaine élection présidentielle…et puis celle d’après ?). C’est cette stratégie, cette absence de décision qui a failli tuer Flamanville, et à vrai dire, toute la filière nucléaire française dont les compétences disparaissaient progressivement faute de chantier. Et si l’Angleterre, qui fut l’une des pionnières du nucléaire civil se trouve réduite aujourd’hui à faire appel aux Français et aux Chinois pour construire son nouveau nucléaire, c’est bien parce qu’aucun nouveau chantier n’a été commencé depuis 30 ans ( première centrale Dungeness B1, commencée en 1965, raccordée en 1983 ; dernière Torness 2, commenéce en 1980, raccordée en 1989 – je ne tiens pas compte de Calder Hall (1953, mise en service 1957 et de la génération des réacteurs Magnox de 50 à 500 MW)

Stratégie de l’étrangleur ? Oui, parce que l’absence de prise de décision, la procrastination, l’appel à retarder la décision sous des motifs prétendument techniques est en fait beaucoup plus difficile à critiquer, à mettre en cause, à débattre qu’une décision négative. On se trouve à se battre contre un nuage cotonneux inconsistant.

L’argumentation d’Alain Grandjean pour retarder  la prise de décision sur les EPR est d’ailleurs tout à fait contestable et même fausse. Les compétences pour construire des centrales nucléaires ne sont pas celles des autres travaux cités, elles supposent un tissu dense de professionnels variés et aguerris, notamment dans le génie civil, la métallurgie, chaudronnerie, soudure etc. C’est ce qui fait que la Chine, avec son programme nucléaire important et ses réseaux de sous-traitants a été capable de construire des EPR plus rapidement que la France où l’ensemble des compétences nécessaires à la construction et le savoir faire pour  les coordonner  commençaient à disparaitre, faute de chantiers récents.

Le SFEN (Revue Générale du Nucléaire) lançait déjà  en 2018, (deux ans déjà perdus !) une alerte qui pèse d’un autre poids que les considérations très politiques d’Alain Gandjean (http://www.sfen.org/rgn/faut-construire-epr-france, 21/03/2018) :

« Il revient à l’Etat, garant des intérêts stratégiques du pays, de préserver un socle d’approvisionnement électrique décarboné, flexible, compétitif et prévisible à l’horizon 2050.

Cette réflexion doit être menée sans délai avant 2020 pour tenir l’objectif de mise en service d’une première paire de réacteurs à l’horizon 2030. Cette première paire s’inscrirait dans un programme industriel d’une série d’EPR, que le retour d’expérience conduit à dimensionner à trois paires de réacteurs a minima.

Une telle approche programmatique donnerait à l’ensemble de la chaîne industrielle, des grands acteurs aux PME, la visibilité et le cadencement nécessaires pour investir dans les chaînes de fabrication et les compétences et pour bénéficier des effets de série dès les premières réalisations. Ce programme industriel permettra à la France de maintenir dans les meilleures conditions l’option nucléaire pour piloter la décarbonation de son économie et le renouvellement de son mix électrique à l’horizon 2050.
Sans cela, la France perdra la maîtrise d’éléments stratégiques des réacteurs, dont l’approvisionnement à l’étranger (Chine ou Russie) représenterait un enjeu économique et géopolitique majeur et une perte, sans doute définitive, de souveraineté technologique et énergétique. »

L’ avertissement était clair, et il doit être entendu. La stratégie de procrastination d’Alain Grandjean mène tout simplement à l’accélération de la disparition du nucléaire.

A cela il faut ajouter un certain nombre de conséquences induites très délétères. Un exemple particulièrement illustratif est celui de l’usine d’aluminium de Dunkerque alimentée par la centrale de Gravelines à des conditions préférentielles.  Si un ou deux réacteurs de cette centrale sont arrêtés, et si la France renonce à un projet d’une paire d’EPR sur ce site d’ici 2050, c’est la dernière usine d’aluminium en Europe qui disparait et la dépendance extérieure de la France et de l’Europe pour ce métal critique deviendrait totale…

En résumé, le texte d’Alain Grandjean est un tissu inextricable de faits vrais, de quelques erreurs, et d’opinions qui ne s’appuient pas sur les faits ou alors sur une présentation tendancieuse, et qui ne font pas l’unanimité chez les experts. La manière dont le calcul sur la LCOE de l’EPR est présentée pourrait être qualifié de manipulatoire, ainsi qu’un certain nombre de procédés ( la présentation neutre des auteurs, les larges digressions sur le nucléaire militaire). Lorsque des conclusions favorables au moins à certains types de nucléaire sont avancée, elles ne reflètent pas l’opinion de la majorité des experts (intérêt des réacteurs à sels fondus et fermeture du cycle) ; par contre les décisions les plus évidentes et les plus reconnues par le monde du nucléaire (reprise d’Astrid, construction des EPR,) ne sont pas mentionnées ou sont critiquées, au mépris des avertissements alarmés des experts.

Encore une fois, et c’est une des leçons de Flamanville, l’appel à retarder des décisions critiques, omniprésent dans la conclusion de l’article, est un des moyens  les plus efficaces de tuer un projet, beaucoup plus difficile à contrer que l’opposition franche. Tout se passe comme si Alain Grandjean était convaincu qu’il faut programmer une mort progressive du nucléaire, qui deviendrait inutile dans un système 100% ENR et un monde en forte décroissance énergétique (certains scénarios du Shift Project, pour ne pas parler de Negawatt, font quand même froid dans le dos, sans parler de leur acceptabilité sociale très douteuse !) ; mais ce choix plus idéologique que technique n’est jamais explicité, jamais argumenté et par conséquent jamais critiqué ; cependant qu’un ton de fausse neutralité technique et une argumentation particulièrement  manipulatoire et pernicieuse amènent à cette conclusion et que les propositions présentées favorisent et accélèrent cette évolution. Evolution dont  nous pensons qu’elle n’est pas souhaitable et présente de très grands risques d’effondrement de nos sociétés et de nos civilisations, en amplifiant les défis du dérèglement climatique au lieu de de les mitiger. 


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