(Enerpresse, N°12648 Jeudi 3 septembre 2020)
Les
« étrangleurs ottomans » du nucléaire
Alain Grandjean est
parfaitement représentatif de ceux que j’appelle les « étrangleurs
ottomans du nucléaire » (l’étrangleur ottoman, c’était l’exécuteur du
grand vizir, qui vous étranglait si dextrement avec son cordon que vous ne vous
en rendiez pas compte). Attention, c’est
pas Michèle Rivasi, ou Sortir du Nucléaire, qui manipulent les peurs à coups de
nuages de Tchernobyl et de fuites de
tritium du dixième de banane, non, on est quelques bons niveaux au-dessus. Ils ne
contestent pas le caractère décarbonné du nucléaire (6gCO2/kw.h pour le nucléaire,
pas 66, ni 666 marque du diable Mme Rivasi,), ne mentent pas sur les données physiques
principales, reconnaissent même au nucléaire un caractère indispensable au
moins temporaire comme base pilotable des ENR ; mais ils tordent en permanence la réalité pour
arriver à la conclusion de la fin inéluctable du nucléaire, et proposent des
mesures qui, sous un vernis de neutralité, conduisent à cette fin, et même
l’accélère.
Un vernis de neutralité
L’article est signé Alain
Grandjean, économiste, Farah Hariri, physicienne nucléaire. Or Alain Grandjean,
associé-fondateur de Carbone 4, cabinet de
conseil et d'études spécialisé dans la transition énergétique et l'adaptation
au changement climatique est depuis longtemps l’un des piliers de la fondation
Nicolas-Hulot, et depuis janvier 2019, il en est même président. Le moins qu’on puisse
dire est que cette fondation n’a pas une approche neutre sur la question du
nucléaire civil. De son côté, Farah Hariri n’est pas que physicienne
nucléaire (au CERN) ; lors de
la présidentielle , elle a conseillé (et conseille encore ?) le mouvement
En Marche! sur sa stratégie énergétique, missionnée par Joachim Son Forget, le référent
du candidat Macron en Suisse (https://www.tdg.ch/geneve/grand-geneve/tete-chercheuse-macron-suisse/story/30443011)
Le choix de la présentation des
auteurs, assez particulière – il est rare que Grandjean ne fasse pas mention de
la Fondation Nicolas Hulot ou de Carbone 4 et vise clairement à donner à
l’article une aura de pure neutralité scientifique en masquant les engagements
idéologiques ou politiques de ses auteurs… Il est par exemple remarquable
que Alain Gandjean et sa coauteur ne critiquent clairement aucune des décisions
énergétiques politiques récentes, même parmi les plus contestables : arrêt
d’Astrid, fermeture de Fessenheim, fermeture de 14 centrales prévues par la
PPE…Et lorsque le sujet est évoqué, c’est d’une manière assez allusive !
L’ombre du militaire sur le nucléaire civil
« La question du nucléaire
civile est en forte relation avec celle du nucléaire militaire : d’une part
parce que les deux problèmes principaux du nucléaire (le risque de
prolifération et le risque d’accident majeur2 ) sont fortement liés au choix du
cycle du combustible »
« Il n’est donc pas facile
de séparer, sans ambiguïté, le nucléaire civil des activités de fabrication
d’armes »
« Les centrales nucléaires
actuelles produisent également du plutonium qui peut servir à la fabrication
d’armes. »
Que dans un exposé sur le futur
du nucléaire civil en France et en Europe, on commence par rappeler
brièvement le lien historique en France
entre le nucléaire militaire lié à la volonté d’indépendance et de puissance du
Général de Gaulle, et le développement subséquent du nucléaire civil, pourquoi
pas ? Mais insister ad nauseam sur un supposé lien perpétuel et universel
entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire, c’est évidemment placer le
nucléaire civil dans l’ombre supposée maléfique du nucléaire militaire, et, en
quelque sorte, placer chaque centrale
dans l’ombre du champignon atomique d’Hiroshima. C’est la rhétorique classique
des adversaires intransigeants du nucléaire, tels Sortir Du Nucléaire.
C’est ignorer tout de même le
Traité de Non Prolifération entré en fonction en 1970, signé par 191 Etats (manque
Inde, Israël, Pakistan, Soudan du
Sud et la Corée du Nord, qui s’en est retirée) et le rôle très effectif de
l’AIEA dans son contrôle et qui a permis le développement du nucléaire civil
dans de nombreux pays sans pour autant que se produise la très redoutée, dans
les années 60, prolifération du nucléaire militaire. Les cas problématiques se
comptent sur une seule main, et encore pas entière.
Quant à l’affirmation sur le
plutonium civil qui « peut » servir à la fabrication d’arme, le très
influent et pointu Tristan Kamin demande : « Quelle est la source ? Cette affirmation
est fréquemment faite par des anti-nucléaire, mais jamais de preuve. » Si Alain Grandjean a des preuves, qu’il en
fasse part à l’AIEA, ça devrait beaucoup les intéresser ! Il n’est pas si
facile que ça de passer du plutonium civil au plutonium militaire, et de le
faire de manière dissimulée !
https://doseequivalentbanana.home.blog/2020/06/27/le-nucleaire-civil-et-militaire-deux-freres/
Le coût de Flamanville et plus généralement des EPR
« Pour conclure le coût du
MWh de Flamanville 3 dans ces hypothèses est situé entre 154 et 163 euros.
Rappelons qu’il s’agit de minorants. »
« le LCOE de FLA3 s’élève, après la
réévaluation du coût complet d’investissement faite par la Cour des comptes à
environ 150 euros le MWh, HPC au moins à 110. Il est difficile d’imaginer que
les 6 EPR français seront beaucoup moins coûteux »
Je reviendrais plus longuement
sur le LCOE par la suite. Quant à la seconde partie de la phrase, c’est
évidemment le contraire qui est le plus vraisemblable : il est difficile
d’imaginer que les 6 EPR français ne soient pas nettement moins coûteux !
Flamanville était le premier prototype, lancé au surplus dans un climat de
relations toxiques entre EDF et Areva, victime (et c’est l’une des principales
conclusions de rapport Folz) de décisions politiques fluctuantes et
contradictoires, conduisant à de très dommageables stop and go, victime aussi
d’un pilotage de projet défaillant et
d’une perte de compétence de sous-traitants (mais que se serait-il passé si l’entreprise
STX, l’un des plus grands constructeurs mondiaux de paquebots de croisière
n’avait pas construit de navires durant
plus de dix ans?) Il est tout de même difficile d’imaginer que les retours
d’expériences de Flamanville lui-même, des EPR chinois, de Hinkley Point ne
seront pas utilisés et que la remobilisation des acteurs de la filière (et
c’est pour cela qu’il importe de confirmer rapidement la commande de 6 EPR
prévus par la PPE) ne produise pas des effets bénéfiques.
Dans son étude « Les coûts de production du
nouveau nucléaire Français, mars 2018)
la SFEN prévoit des gains importants de 30 à 50% :
« Le coût du nucléaire de
troisième génération repose sur deux facteurs : le coût d’investissement et le
coût du financement. La SFEN estime que des gains importants sont possibles par
rapport aux premiers chantiers : de l’ordre de 30 % sur le coût de
construction, grâce à des effets de série et d’apprentissage, et jusqu’à 50 %
sur les coûts financiers, notamment via la conception des contrats. »
Les prédictions pour Sizewell
d’EDF sont encore plus optimistes. Julia
Pyke, directrice "Régulation économique et financements" du projet
Sizewell C :
« Si la construction de Sizewell C est
financée sur le même modèle que les lignes de transport, c'est à dire dans les
termes du Regulated Asset Base (RAB) dont bénéficie Scottish and Southern
Electricity Network, alors Sizewell C coûterait au consommateur environ 40
€/MWh. » Explication : « Le coût de
l'argent dépend du niveau de risque qu'il est considéré honnête d'imposer aux
investisseurs. Il s'agit de trouver un équilibre entre le maintien bas des
coûts de construction et le coût d'ensemble de l'électricité pour les
consommateurs. »
(EDF
Energy, https://t.co/ZHHKIuJrWa?amp=1)
Une explication sur le LCOE (qui fonde les prédictions de
coût de l’électricité des EPR)
Le pavé sur le calcul du LCOE qui
occupe toute la p.12 constitue un cas typique d’intimidation mathématique. En étalant
un certain nombre de sigmas et de rapports enchevêtrés, on exhibe les instruments
mathématiques comme l’Inquisition exhibait ses instruments de torture, ce qui
dans un cas comme dans l’autre aboutit généralement à abréger les débats pour
arriver plus rapidement à la conclusion souhaitée.
Relevons tout d’abord que ces
calculs ont été fait pour une
exploitation de 60 ans et non de 80 ans, ce qui diminuerait en proportion les
coûts (mais il est vrai qu’il faudrait alors sans doute prendre en compte des
réinvestissements peu prévisibles).
Mais surtout, plutôt que
d’exhiber ainsi des équations, il conviendrait plutôt de rappeler les limites
du calcul, sa significativité et sa
sensibilité extrême à certains paramètres, et la loi d’airain : bullshit
in, bull shit out. Cela est fait succinctement d’ailleurs, mais en note. :
« Le coût du capital est un déterminant essentiel du
coût du MWh et l’actualisation est faite en général avec un taux qui reflète ce
coût. À titre d’exemple, le coût du MWh de HPC double quand le taux
d’actualisation passe de 3 % à 10 %. Une nationalisation du nucléaire
permettrait en théorie de le réduire. »
Or, pour comprendre les tenants, les aboutissants et la
signification du LCOE, c’est bien
évidemment cet avertissement qu’il aurait fallu placer en tête et en gras…et
plutôt les formules mathématiques en note !.
Car il signifie que
le coût du kilowattheure de l’EPR d’Hinkley Point, si savamment calculé par le
LCOE, diminue de moitié quand le taux d’actualisation du capital passe de 3 % à
10 % !
Explication : Le coût d’un
EPR est pour les deux tiers…le coût des intérêts financiers. Or, les 10% (ou 9% ?)
d’actualisation de Hinkley Point sont un exemple extrême à ne pas reproduite,
et qui ne sera pas reproduit, lié au
contexte britannique de refus de toute intervention de l’Etat, contexte qui en
train de changer. Pour preuve, cette remarque de la structure d’audit
britannique à propos de Hinkley Point :
« Dans son audit du projet
HPC, le Bureau national de vérification (ONA) a conclu que jusqu'à six EPR
auraient pu être construits pour les 11 cents / kWh du HPC, si l'État
britannique avait financé le projet lui-même avec des obligations d'État bon
marché. »
Donc, non, M. Grandjean, 1) les
coûts ne peuvent pas être théoriquement réduits, ils peuvent être pratiquement
beaucoup réduits, divisés par deux voir plus ; 2) Il n’est pas besoin pour
cela de nationalisation (visiblement placé dans cette note comme un épouvantail
synonyme de gabegie).
Les taux d’actualisation peuvent être considérablement réduits, simplement
avec un État « stratège » qui
prendrait en charge une partie du risque
en établissant des contrats de long terme (de type CFD) et structurerait un programme nucléaire favorisant les baisses
de coûts induites par un effet de série.
Simplement et intelligemment.
Des affirmations péremptoires très contestables ou
carrément fausses
Sur la partie technique des
EPR, il a été bien souligné par Tristan
Kamin qu’au moins deux affirmations
péremptoires d’Alain Grandjean ne reflètent pas l’opinion des experts ou
autorités compétentes :
« les EPR ne sont pas conçus de base pour « être moxés »
»
Tristan Kamin : « Au contraire : ils sont
d’après mes sources les premiers réacteurs conçus dès le départ pour être
moxés, à un taux plus élevé que les autres (jusqu'à 100% de MOx sous certaines
conditions) https://senat.fr/rap/o97-612/o9
« Il est indispensable que les seuls déchets hautement
radioactifs ne soient que les produits de fission »
Tristan Kamin : « C'est l’ opinion d’Alain
Grandjean, que l’on peut ne pas partager par exemple, au titre de la sûreté,
l'IRSN. https://irsn.fr/dechets/cigeo/
« Un « brûleur » de déchets sera de toute façon
nécessaire que l’on veuille rendre le cycle plus durable ou que l’on veuille
sortir du nucléaire. »
Tristan Kamin : Ceci est toujours un mensonge, ou en
tout cas une opinion et certainement pas un absolu.
En revanche curieusement, la filière d’Astrid/
surgénérateurs n’est pas évoqué…(voir
ci-après)
Même procédé à propos de considérations sur la politique
énergétique, avec des affirmations péremptoires fausses ou très contestables :
« Nos voisins vont fermer d’ici 2050 toutes leurs
centrales à charbon, qui contribuent à la base électrique européenne et vont
les remplacer par des ENR variables »
C'est faux quand on regarde en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Les centrales à charbon sont essentiellement remplacées par du gaz, en gros par
20% d’éolien (facteur de charge) et 80%
de gaz. Les ENRi sont ajoutées en plus : elles
baissent le facteur de charge du pilotable, au prix en Angleterre d’une
fragilisation du réseau qui a notamment conduit au black out géant de Londres
et du sud de l’Angleterre du 9 août 2019. Ceci parce que l’Angleterre est
complètement sortie du charbon pour la production électrique et n’a donc pas
gardé assez de pilotables dans son mix électrique- d’où la décision d’une très
grand programme nucléaire de 16.000 MW. L’Allemagne elle a gardé un important
volant pilotable de charbon, dont elle ne prévoit de sortir qu’en 2038 et a
même récemment construit et mis en service Datteln 4, un monstre de 1 100 MW.
« Au-delà, EDF souhaite maintenir cette part de nucléaire de 50% jusqu’à 2050 »
Non ce n’est pas le souhait
d’EDF, c’est ce qui lui est imposé par la PPE, qui a déjà abouti à la fermeture
absurde de Fessenheim et qui lui impose de manière tout aussi absurde
climatiquement, écologiquement et économiquement de fermer 14 centrales
nucléaires.
« On peut également envisager d’autres technologies
(les réacteurs à sels fondus en sont un exemple) »
Curieusement, Alain Grandjean,
s’il se monte très circonspect et même assez négatif sur la technologie mature
des EPR, manifeste un enthousiasme pour des technologies beaucoup plus
exploratoires, telle celle des réacteurs à sels fondus (MSFR - Molten Salt Fast
Reactor) dont il liste un certain nombre d’avantages supposés tirés d’une
publication visiblement lue sans esprit critique, ce qui déclenche l’ironie de
Tristan Kamin.
Tristan Kamin : « L'absence
de risque de fusion est liée à l'état déjà liquide du cœur… donc le risque est
"simplement" celui d'une fuite et plus d'une fusion….
D'autres filières de Gen IV
permettent de fermer le cycle, ça n'est pas exclusif aux sels fondus….
Le MSR n'est ni simple ni intrinsèquement sûr,
sinon on en aurait partout depuis longtemps, c'est évident.
La modularité n'a rien de
propre aux sels fondus…
On peut penser que même les
très grands partisans de cette filière admettront qu'elle est ici défendue avec
de très mauvais arguments. »
Curieusement, ces réacteurs à
sels fondus sont aussi promus pace que « il est envisageable d’utiliser
les très grands stocks d’uranium appauvri actuellement disponibles dans le
monde et s’élevant à plus de 2 millions de tonnes. Il ne serait donc pas
nécessaire d’extraire des minerais pendant au moins plusieurs centaines
d’années »
C’était aussi exactement ce que
permettait le programme Astrid de surgénérateurs récemment abandonné, utiliser
les 7000 tonnes d’uranium appauvri que le parc français produit chaque année et
les plusieurs centaines de milliers de tonnes stockés, fournissant une énergie abondante pour
plusieurs milliers d’années (7000 ans ?). Une technologie qui fonctionne
en Russie (BN800 à BN-800 à Beloïarsk), avec des démonstrateurs avancés en
Chine (CEFR), et en Inde. Mais Alain Grandjean toujours très minimaliste dans ses
critiques de la politique gouvernementale française , n’a pas un mot sur
Astrid.
La mortelle stratégie de la procrastination
« Lancer de 2 à 6 EPR (une
analyse approfondie du délai restant pour leur déploiement et du coût à long
terme de l’aval de la filière est nécessaire) »
« Au plan de
l’approvisionnement énergétique, la décision de lancer un nouvel EPR n’a pas à
être prise avant 2025
« Le renouvellement des
compétences sera assuré d’autant que le travail ne manque pas avec : le grand
carénage, le démantèlement et la préparation des extensions de stockage
(agrandir et repenser nos usines de retraitement de la Hague, construire des
piscines, poursuivre Cigéo, et éventuellement accélérer le développement d’un
projet industriel de brûleur de déchets par transmutation »
Nous sommes là totalement dans
la stratégie de l’étrangleur ottoman…pas d’attaque frontale contre l’EPR, pas
vraiment d’arguments, juste la suggestion d’attendre encore et encore
(peut-être la prochaine élection présidentielle…et puis celle d’après ?).
C’est cette stratégie, cette absence de décision qui a failli tuer Flamanville,
et à vrai dire, toute la filière nucléaire française dont les compétences disparaissaient
progressivement faute de chantier. Et si l’Angleterre, qui fut l’une des
pionnières du nucléaire civil se trouve réduite aujourd’hui à faire appel aux
Français et aux Chinois pour construire son nouveau nucléaire, c’est bien parce
qu’aucun nouveau chantier n’a été commencé depuis 30 ans ( première centrale Dungeness
B1, commencée en 1965, raccordée en 1983 ; dernière Torness 2, commenéce
en 1980, raccordée en 1989 – je ne tiens pas compte de Calder Hall (1953, mise
en service 1957 et de la génération des réacteurs Magnox de 50 à 500 MW)
Stratégie de
l’étrangleur ? Oui, parce que l’absence de prise de décision, la
procrastination, l’appel à retarder la décision sous des motifs prétendument
techniques est en fait beaucoup plus difficile à critiquer, à mettre en cause,
à débattre qu’une décision négative. On se trouve à se battre contre un nuage
cotonneux inconsistant.
L’argumentation d’Alain
Grandjean pour retarder la prise de
décision sur les EPR est d’ailleurs tout à fait contestable et même fausse. Les
compétences pour construire des centrales nucléaires ne sont pas celles des
autres travaux cités, elles supposent un tissu dense de professionnels variés
et aguerris, notamment dans le génie civil, la métallurgie, chaudronnerie,
soudure etc. C’est ce qui fait que la Chine, avec son programme nucléaire
important et ses réseaux de sous-traitants a été capable de construire des EPR
plus rapidement que la France où l’ensemble des compétences nécessaires à la
construction et le savoir faire pour les
coordonner commençaient à disparaitre,
faute de chantiers récents.
Le SFEN (Revue Générale du
Nucléaire) lançait déjà en 2018, (deux
ans déjà perdus !) une alerte qui pèse d’un autre poids que les
considérations très politiques d’Alain Gandjean (http://www.sfen.org/rgn/faut-construire-epr-france,
21/03/2018) :
« Il revient à l’Etat, garant
des intérêts stratégiques du pays, de préserver un socle d’approvisionnement
électrique décarboné, flexible, compétitif et prévisible à l’horizon 2050.
Cette réflexion doit être menée
sans délai avant 2020 pour tenir l’objectif de mise en service d’une première
paire de réacteurs à l’horizon 2030. Cette première paire s’inscrirait dans un
programme industriel d’une série d’EPR, que le retour d’expérience conduit à
dimensionner à trois paires de réacteurs a minima.
Une telle approche
programmatique donnerait à l’ensemble de la chaîne industrielle, des grands
acteurs aux PME, la visibilité et le cadencement nécessaires pour investir dans
les chaînes de fabrication et les compétences et pour bénéficier des effets de
série dès les premières réalisations. Ce programme industriel permettra à la
France de maintenir dans les meilleures conditions l’option nucléaire pour
piloter la décarbonation de son économie et le renouvellement de son mix
électrique à l’horizon 2050.
Sans cela, la France perdra la maîtrise d’éléments
stratégiques des réacteurs, dont
l’approvisionnement à l’étranger (Chine ou Russie) représenterait un enjeu
économique et géopolitique majeur et une
perte, sans doute définitive, de souveraineté technologique et énergétique.
»
L’ avertissement était
clair, et il doit être entendu. La stratégie de procrastination d’Alain
Grandjean mène tout simplement à l’accélération de la disparition du nucléaire.
A cela il faut ajouter un
certain nombre de conséquences induites très délétères. Un exemple
particulièrement illustratif est celui de l’usine d’aluminium de Dunkerque alimentée par
la centrale de Gravelines à des conditions préférentielles. Si un ou deux réacteurs de cette centrale
sont arrêtés, et si la France renonce à un projet d’une paire d’EPR sur ce site
d’ici 2050, c’est la dernière usine d’aluminium en Europe qui
disparait et la dépendance extérieure de la France et de l’Europe pour ce métal
critique deviendrait totale…
En résumé, le texte d’Alain
Grandjean est un tissu inextricable de faits vrais, de quelques erreurs, et
d’opinions qui ne s’appuient pas sur les faits ou alors sur une présentation tendancieuse,
et qui ne font pas l’unanimité chez les experts. La manière dont le calcul sur
la LCOE de l’EPR est présentée pourrait être qualifié de manipulatoire, ainsi
qu’un certain nombre de procédés ( la présentation neutre des auteurs, les
larges digressions sur le nucléaire militaire). Lorsque des conclusions
favorables au moins à certains types de nucléaire sont avancée, elles ne
reflètent pas l’opinion de la majorité des experts (intérêt des réacteurs à
sels fondus et fermeture du cycle) ; par contre les décisions les plus
évidentes et les plus reconnues par le monde du nucléaire (reprise d’Astrid,
construction des EPR,) ne sont pas mentionnées ou sont critiquées, au mépris
des avertissements alarmés des experts.
Encore une fois, et c’est une
des leçons de Flamanville, l’appel à retarder des décisions critiques,
omniprésent dans la conclusion de l’article, est un des moyens les plus efficaces de tuer un projet,
beaucoup plus difficile à contrer que l’opposition franche. Tout se passe comme si Alain Grandjean était
convaincu qu’il faut programmer une mort progressive du nucléaire, qui
deviendrait inutile dans un système 100% ENR et un monde en forte décroissance
énergétique (certains scénarios du Shift Project, pour ne pas parler de
Negawatt, font quand même froid dans le dos, sans parler de leur acceptabilité
sociale très douteuse !) ; mais
ce choix plus idéologique que technique n’est jamais explicité, jamais
argumenté et par conséquent jamais critiqué ; cependant qu’un ton de
fausse neutralité technique et une argumentation particulièrement manipulatoire et pernicieuse amènent à cette
conclusion et que les propositions présentées favorisent et accélèrent cette
évolution. Evolution dont nous pensons qu’elle
n’est pas souhaitable et présente de très grands risques d’effondrement de nos
sociétés et de nos civilisations, en amplifiant les défis du dérèglement
climatique au lieu de de les mitiger.
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