Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France- Commission Schellenberger
Témoignage de Jean-Marc Jancovici : extraits
Pétrole
et fossile :
Economie et physique : "Presque tous les scénarios énergétiques partagent une faiblesse, à savoir de placer l’économie comme une donnée d’entrée. Or, de mon point de vue, l’économie est une donnée de sortie., c’est parce que nous avons des ressources que nous sommes capables d’avoir un système économique. S’il n’y avait pas d’atomes de fer sur Terre, il n’y aurait pas d’immeubles tels que nous les construisons aujourd’hui avec des armatures en fer. La disponibilité des ressources est donc un facteur limitant de la production économique."
Renouvelables : le problème du cuivre
« Au
vu des quantités de cuivre impliquées dans le développement de tout ce qui est
électrique, il est évident qu’en France, nous ne pouvons pas déployer quoi que
ce soit de significatif comme mode renouvelable — ou même non renouvelable — et
comme usage aval électrique sans importer du cuivre. Je ne sais pas si ce sera
facile ou difficile.
Concernant
le cuivre, une information a récemment été publiée par l’agence internationale
de l’énergie (AIE), disant que les mines de cuivre en fonctionnement et en
cours de développement dans le monde passeraient leur pic entre maintenant et
dans deux ans. Or, pour que de nouveaux projets de mines voient le jour, il
faut compter entre dix et quinze ans.
« Concernant le cuivre, il me semble que l’ordre de grandeur
est supérieur à dix entre le solaire et le nucléaire pour la quantité de cuivre
par kilowattheure produit. Ainsi, si nous voulons produire des énergies
décarbonées, nous sommes moins dépendants si nous faisons du nucléaire que si
nous faisons un système solaire. En outre, d’une manière générale, les énergies
renouvelables exploitant des sources diffuses (donc le vent et le soleil) ont
besoin de davantage de collecteurs pour avoir la même quantité d’énergie à
l’arrivée, sans parler du fait que nous avons besoin de sources
concentrées — pour maintenir un système pas trop éloigné du système
actuel — et, éventuellement, de stocker, ce qui demande également
des moyens supplémentaires, notamment des métaux. Développer la filière
nucléaire ne permet donc pas d’être indépendants mais d’être moins dépendants
que d’autres options concernant les métaux »
Sur
l’éolien ; des limites physiques contrairement au nucléaire
« le vent n’est pas toujours régulier
en permanence alors que la puissance d’une éolienne dépend du cube du vent. Si
la vitesse du vent est divisée par deux, la puissance électrique fournie est
divisée par huit. À l’échelle de l’Europe, même avec l’interconnexion de toutes
les éoliennes européennes, l’ensemble du parc éolien peut descendre à moins de
5 % de la puissance installée. Nous ne pouvons donc pas avoir un système
purement éolien. En outre, même en ajoutant du solaire — qui est un peu
contracyclique par rapport à l’éolien —, l’ensemble des deux ne permet toujours
pas de garantir l’approvisionnement.
Ces
énergies ont une limite en termes d’emplacements et de matériaux, car elles
sont beaucoup plus intensives en métal que les modes centralisés que nous avons
l’habitude d’utiliser jusqu’à maintenant. Ces limites sont plutôt physiques, a
contrario des limites du nucléaire, qui sont plutôt liées aux compétences et au
consensus »
Le nucléaire durable Passer à la quatrième génération sans tarder
« La
quatrième génération semble être le grand déterminant de la possibilité de
disposer d’un nucléaire « durable » à l’avenir. Le nucléaire que nous
exploitons aujourd’hui utilise un isotope très minoritaire de l’uranium, à
savoir l’uranium 235, présent à environ 0,7 % dans l’uranium naturel.
En raison des quantités récupérables d’uranium sur terre, en ordre de grandeur,
si nous voulions remplacer une fraction significative des centrales à charbon
mondiales par du nucléaire, il n’y aurait pas assez d’uranium 235 pour que
cela fonctionne pendant des siècles. Pour que le nucléaire soit durable, il
faut absolument passer à la quatrième génération, capable d’exploiter soit
l’uranium 238 soit du thorium, sans trop tarder car, pour démarrer ces
réacteurs de quatrième génération, nous avons quand même besoin du seul
matériau fissile trouvable sur terre, à savoir l’uranium 235. En passant à
la quatrième génération, nous serions capables d’exploiter les stocks
d’uranium 238 «
« Si nous nous mettons en « économie de guerre »,
je pense que nous sommes à quinze ans de pouvoir disposer de modèles
déployables. À ce moment, nous faisons la jonction avec des EPR, le temps de
pouvoir commencer à déployer de la quatrième génération. Toutefois, nous n’en
faisons pas plus que cela. Cette option n’est pas sur la table actuellement.
Dans l’intervalle, il est évident qu’aujourd’hui, si nous voulons davantage
d’électricité, la seule option qui reste est de rajouter des moyens
renouvelables dans les dix à quinze ans à venir. »
Sur les dangers du nucléaire
"En cas d’accident sur un
réacteur à eau pressurisée, le plus probable est que, comme à Three Mile
Island, vous perdiez le réacteur à l’intérieur de l’enceinte de confinement. En
cas de conflit, la vraie question est de savoir si l’accident ajoutera
massivement des dommages. Un accident dans la centrale de Zaporijjia ne
changera malheureusement pas significativement le bilan de la guerre en
Ukraine. Lorsqu’une installation est endommagée à cause de la guerre, le
vrai problème est la guerre.
En outre, il existe de
nombreuses manières de causer des morts avec des dommages aux installations de
production électrique. La convention stipule qu’en cas de guerre, les
belligérants ne doivent pas porter atteinte aux centrales nucléaires ni aux
barrages. Or, si vous voulez faire beaucoup de dégâts très rapidement, il vaut
mieux détruire les barrages que les centrales nucléaires. En France, faire
sauter le barrage de Vouglans engendrerait six mètres d’eau place Bellecour à
Lyon."
Sur les déchets nucléaires
"La question des déchets nucléaires est très importante dans le débat public. Le fait que ces déchets fassent partie des éléments générant le plus de peur ne me semble pas du tout en adéquation avec la hiérarchie des nuisances lorsque nous regardons tout ce qui est déversé dans l’environnement (CO2, phytosanitaires ou encore particules fines). Les déchets nucléaires sont de deuxième ordre car, même si leur nature n’est certainement pas anodine, ils sont tout petits, peu nombreux et confinés.
De
très loin, l’option préférentielle est de les mettre dans un trou et de les
oublier, ce que les Suédois ont décidé de faire. Je considère que le
retraitement est une bonne idée puisqu’il permet de concentrer de façon très
importante le volume à stocker et de récupérer un certain nombre d’éléments qui
sont récupérables dans les assemblages usés.
La réversibilité du stockage ne me semble pas cruciale. Un stockage non réversible s’est produit de façon très naturelle il y a deux milliards d’années dans une mine d’uranium à Oklo au Gabon, où des réacteurs sont apparus spontanément. Les produits de fission avaient très peu migré par rapport à l’endroit où ils s’étaient formés. Nous sommes capables de mettre du pétrole et du gaz sous pression dans une couche géologique profonde, dans laquelle ils resteront pendant des millions d’années. Nous pouvons donc très bien placer des éléments solides comme des colis vitrifiés dans une couche géologique appropriée et ne pas être très inquiets à l’idée qu’ils réapparaissent cinquante ans plus tard.
Il
faut savoir qu’au bout de quelques siècles, les produits de fission sont
revenus au niveau de radioactivité de l’uranium initial. C’est moins que la
cathédrale Notre-Dame, qui est à l’air libre et donc beaucoup plus agressée. Le
chiffre de 100 000 ans est souvent mis en avant mais la partie la plus
radiotoxique est beaucoup plus courte."
Sur le financement du nucléaire
"La question du coût du nucléaire est essentiellement une question de cadre de marché. Par exemple, le coût du mégawattheure de la centrale d’Hinkley Point s’élèvera à plus de 100 livres sterling. Or, si le financement de cette centrale avait eu lieu avec de l’argent disponible à 2 % par an — et non pas avec de l’argent disponible à 10 % par an —, la même centrale aurait produit des mégawattheures aux alentours de 50 euros. Le vrai sujet du coût du nucléaire est la structure de financement, qui dépend essentiellement du cadre public ou non. Le nucléaire n’a rien à faire dans un cadre privé car il s’agit, par essence, d’une activité régalienne qui relève de l’État et qui doit accéder à des financements qui sont ceux de l’État."
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