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dimanche 16 juin 2013

Publication scientifique, communication et éthique

Véracité, certitude, précision : un problème général

Rassembler l’ensemble de la bibliographie pour préparer une publication est certainement l’une des tâches les plus fastidieuses qui puisse incomber à un chercheur, mais François Gonon, Erwan Bezard, Thomas Borau (CNRS) en ont fait quelque chose d’utile, d’intéressant, sinon amusant. Etudiant le TDAH (ou HDAD, trouble de l’attention avec hyperactivité) et s’étonnant que les 2/3 des programmes  télévisés aient présenté des affirmations en contradiction avec le consensus scientifique actuel (une inflation de diagnostics et de traitements non justifiés), ils en ont trouvé la source dans les pratiques de la communauté scientifique elle-même.
Ainsi, dans les publications scientifiques, trois types de biais sont couramment trouvés: des contradictions entre les faits et les conclusions sont évacuées, des conclusions fermes sont données dans le résumé alors que les données expérimentales sont moins concluantes, des perspectives thérapeutiques fascinantes sont extrapolées de données biologiques fondamentales de façon inadéquate.
Les données génétiques en particulier sont surévaluées. Ainsi, sur 159 publications mentionnant une association entre une altération (un polymorphisme) du récepteur de la dopamine D4 et l’ADHD, simplement 25 mentionnent que le risque associé est très faible. Toujours en neurobiologie, une étude de 2003 publiée dans Science montrait un lien entre une mutation d’un récepteur de la sérotonine  et la dépression ; cette étude a été invalidée une première fois en 2006 sur un nombre de sujets cinq fois supérieurs, puis en 2009 par une méta-analyse…mais c’est la première étude qui est toujours la plus citée dans les media.
Ce problème ne touche pas que le domaine difficile de la neurobiologie. Une étude publiée dans le Lancet en 1994 associait une mutation d’un gêne (BCRA1) à une risque multiplié par 4 de cancer du colon. Une méta analyse publiée en 2005 ramène le facteur de risque à 1.2. Ce n’est pas sans incidence sur les choix thérapeutiques ou de dépistages.
Les données analysées par une  équipe californienne (John Ioannidis, 2011) montrent que, dans le domaine biomédical, trois études initiales sur quatre sont, soit complètement réfutées, soit largement atténuées par les études suivantes.
Il faut apprendre à faire avec, car c’est sans doute assez inévitable et intrinsèquement lié à la recherche : un premier résultat spectaculaire, mais incertain, est ensuite tempéré par des travaux qui aboutissent à un consensus plus fiable ou de moindre portée… et qui nécessitent souvent plusieurs années ; mais ce qui plus gênant et plus évitable,  c’est la persistance médiatique des études invalidées ou minorées.

Causes et remèdes

Plusieurs facteurs l’expliquent. Les premières études constituent une découverte, elles indiquent forcément un résultat positif et elles sont publiées dans les revues les plus prestigieuses. Les études qui les réfutent, parfois longtemps après,  ne bénéficient pas de la même aura, et sont souvent publiés dans des revues moins importantes.
Les éditeurs des journaux les plus prestigieux devraient donc être incités à accorder davantage de place aux réfutations. Sinon, il apparaîtra, et c’est déjà le cas, que le prestige d’une revue n’est pas un gage de la fiabilité des études qu’elle publie (et ce pourrait même devenir l’inverse !). A défaut, domaine, par domaine, une revue consacrée aux études de consensus devrait avoir un grand avenir.
On pourrait même imaginer que cela devienne un service public de la connaissance. Dans le domaine du médicament, avec les efforts récents faits en termes de communication et de vulgarisation scientifique par l’ANSM (l’agence du médicament) sur son site internet, nous n’en sommes pas très loin .
Il existe une véritable course et compétition à la publication. Dans le domaine des sciences de la vie, cela se traduit par des extrapolations optimistes sinon abusives de la recherche fondamentale aux applications thérapeutiques. C’est assez humain et compréhensible de la part des chercheurs, mais les éditeurs de revue et les « referees » devraient se montrer plus stricts (« les auteurs doivent présenter leurs données de façon à minimiser la possibilité que le lecteur ne soit induit en erreur quant à ce qui est réellement observé », une consigne peut-être pas assez respectée…)
Un  financement de la recherche trop axé sur projet est aussi à mettre en cause. Il n’encourage clairement pas les chercheurs à investiguer et à faire connaître  tout ce qui va à l’encontre des résultats préliminaires qui leur ont valu un financement.
Au sein même de la communauté des chercheurs, le  travail plus humble de ceux qui s’efforcent de valider ou d’invalider par des expériences bien menées des hypothèses initiales doit certainement être plus valorisé, au moins autant que celui de ceux qui lancent des idées audacieuses encore peu étayées.
Il en va tout de même de la crédibilité des chercheurs en général (The Economist, taclant ses confrères , faisait remarquer que si toutes les découvertes relatées par la presse concernant le cancer avaient été confirmées, celui-ci serait vaincu depuis longtemps !) : et, dans le domaine des sciences de la vie, d’implications graves sur la santé des patients !
Encore une fois, dans le domaine biomédical, trois études initiales sur quatre sont, soit complètement réfutées, soit largement atténuées par les études suivantes. Les media doivent le savoir et en tenir compte. De façon générale, une meilleure connaissance de la réalité de la recherche scientifique par les media est nécessaire. Un dispositif intéressant existait aux USA : quelques bourses distribuées chaque année pour qu’un journaliste ou un écrivain s’immerge pendant six mois ou un an, dans la vie d’un laboratoire. Ce dispositif pourrait exister dans chacun des grands organismes de recherche
François Gonon, Thomas Borau
 Le Monde, 5 juin 2013

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