En 2012 ont eu lieu des Assises nationales de
l’Enseignement et de la Recherche, heureuse initiative pour recueillir
l’avis des chercheurs sur l’état actuel de la recherche, les problèmes qu’ils rencontrent
et les solutions qu’ils proposent. Le bilan de l’action des précédents
gouvernements était assez sévère, mais, me semble-t-il juste : « Conçues
sans concertation et conduites dans l’urgence, les politiques menées ont
fait courir des risques majeurs aux établissements et ont accentué
dangereusement les déséquilibres territoriaux. Dans le même temps, il n’a pas
été répondu aux questions fondamentales que sont la place et l’organisation de
la recherche, la réussite des étudiants, la reconnaissance du doctorat, la
condition des chercheurs et des enseignants-chercheurs et le rôle des
territoires.
L’autonomie des Universités a été proclamée haut et
fort, mais, dans les faits, certaines ont été mises sous tutelle. De nouvelles
agences et alliances censées garantir de meilleurs équilibres entre les
Universités et les organismes nationaux ont de fait souvent compliqué, alourdi
et opacifié le système de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que sa gouvernance. Enfin les
procédures de gestion de la recherche ont été inutilement complexifiées, sans
se traduire par davantage d’efficacité scientifique ou d’équité
territoriale. »
Parmi les propositions avancées par les
chercheurs :
Encourager
les mobilités entre les différents statuts de chercheur, d’enseignant
chercheur, ou d’employé d’autres secteurs du monde socio--‐économique.
Il faut noter la louable volonté des participants
aux Assisses de ne plus accepter que l’on joue l’Université contre les
Instituts de Recherche, et la Recherche publique contre la Recherche Privée.
Ainsi, le CNRS se trouve qualifié d’ « organisme de recherche
pluridisciplinaire d’exception ». Le CEA « occupe un rôle majeur sur
l’ensemble des sujets liés aux énergies » et « possède une culture de la recherche
technologique et une culture de l’innovation au plus haut niveau
mondial » ; sont aussi cités l’Institut Pasteur, l’Institut Curie, les
sciences et les technologies du numérique avec l’INRIA, l’agriculture et
l’alimentation avec l’INRA et aussi le CIRAD, l’environnement et l’agriculture
avec l’IRSTEA, l’aéronautique et le spatial avec l’ONERA et le CNES, les
sciences de la terre avec le BRGM, la mer et son exploitation avec l’IFREMER,
le génie urbain, les transports, les infrastructures avec l’IFSTTAR. La
recherche industrielle aussi est mentionnée favorablement : « Certains
laboratoires sont au top niveau de la recherche, citons ceux de Thales, EADS ou
Safran, Alcatel, EDF, Schneider, PSA ou Renault, Michelin, Valeo, Saint-Gobain,
Sanofi, L’Oréal, Air Liquide, Total. Il faut ajouter à cela les milliers de
jeunes pousses innovantes, de petites et moyennes entreprises innovantes, dans
l’industrie pharmaceutique encore ». Du coup, les chercheurs du public
approuvent le Crédit d’impôt Recherche : « Il faut observer que si le
pourcentage des dépenses intérieures pour la recherche et le développement
(DIRD), par rapport au PIB, est bien inférieur au fameux objectif dit de
Lisbonne (de 3%), cela est dû en premier lieu à la part de la dépense privée
qui est insuffisante. La dépense privée pour la recherche et le développement
en France est donc faible. Réduire le Crédit Impôt Recherche n’est donc sans
doute pas une direction à prendre, en revanche il faut s’assurer de son
efficacité à remplir les objectifs affichés ». Et ils voient très
positivement les occasions de collaboration avec le privé : « Rien
n’est plus bénéfique pour renforcer la coopération entre les entreprises et les
laboratoires académiques que d’encourager des échanges de chercheurs ou les
mobilités entre les deux mondes, pour des périodes de temps adaptées au projet.
La réunion de ces deux intelligences, celle de la recherche académique et celle
de la recherche orientée, est très fructueuse. En particulier, pour un
laboratoire académique, comprendre l’intelligence industrielle, la posture et
la tournure d’esprit de l’innovation, le souci de la brevetabilité ou du marché
est absolument stimulant et enrichissant pour toutes les recherches quelles
qu’elles soient. L’encouragement de ces mobilités est d’abord un travail de
simplification des tracasseries administratives ou de nettoyage des handicaps
de carrières consécutifs à ces mobilités ».
Faire
reconnaître le doctorat dans les grilles de la haute fonction publique, et dans
les conventions collectives des branches professionnelles. Prendre en compte le
doctorat dans les concours d’accès à la fonction publique et inscrire à terme
(10 ans) un quota minimal de docteurs dans les grands corps de l’Etat.
« Chez nos cadres dirigeants le taux de docteurs est faible,
comme nulle part au monde. C’est regrettable pour nos entreprises et leur culture
de la recherche, c’est regrettable pour la formation de nos élites en général… Nous
proposons de modifier l’arrêté du 7 août 2006 relatif aux écoles doctorales pour
encourager la présence de représentants du monde socio-‐économique et augmenter
la proportion de doctorants dans leurs conseils : le conseil d’école doctorale pourrait
comprendre par exemple un tiers de doctorants, un tiers de représentants du monde
socio-‐économique, un tiers de chercheurs ou enseignants chercheurs de l’établissement
ou non ».
L’Allemagne nous est souvent présentée comme un modèle (à mitiger
peut-être lorsqu’on lit les aventures professionnelles de diplômés français en
Allemagne). Or, il y a longtemps qu’en Allemagne, pour toutes les grandes
fonctions du privé comme de l’Etat, un doctorat (souvent plus proche du
doctorat d’exercice que de la thèse d’Université) est quasiment imposé.
Revaloriser
les débuts de carrière des chercheurs, enseignants chercheurs et personnels
titulaires d’un doctorat et mieux prendre en compte les années après thèse dans
la reconstitution de carrière pour tous les personnels. Résorber la précarité
de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche. Aller
progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du doctorat.
La condition matérielle des jeunes chercheurs est
indigne, le manque de poste, les post-docs à répétition avant de trouver un
poste, et il ne faut pas s’étonner du manque de candidats, dans les écoles d’ingénieur en particulier. A
force de maltraitance, c’est la qualité de la recherche française qui est en
péril
Les Assises, si elles ont rappelé la responsabilité
de la montée des contrats ANR précaires, ont justement souligné une
responsabilité plus large : « Chacun doit balayer devant sa porte avec
honnêteté. A discuter avec les porteurs de projet sur le terrain, nous sommes
effarés de constater qu’ils n’ont la plupart du temps aucune connaissance des
opportunités d’insertion professionnelle des personnels qu’ils recrutent. Cela
pose de façon crue la question de la responsabilité sociale des universités et
des organismes de recherche… Un
chercheur qui a accumulé de nombreux contrats à durée déterminée, dans des
établissements variables, peut se retrouver dans une situation très délicate
sur le marché du travail. La précarité ne concerne pas que l’accumulation des
contrats successifs, elle englobe également des pratiques en contradiction avec
le droit du travail, telles que les vacations abusives ou l’activité en fin de
thèse ou après un contrat, activité « financée » par les allocations de retour
à l’emploi ou tout simplement non financée. Pour ce qui concerne la résorption
de la précarité immédiate, la seule solution est un plan pluriannuel de
recrutement de chercheurs et d’enseignants chercheurs »
Redisons-le : à force de maltraitance des
jeunes chercheurs, c’est la qualité de la recherche française qui est en péril.
Aller progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du
doctorat ? Non, pas progressivement, rapidement !
L’habilitation à diriger des Recherches (HDR) a été
aussi discutée, sans parvenir à un accord. Mais le rapport rappelle
l’hypocrisie selon laquelle il faudrait un diplôme de plus pour encadrer des
chercheurs…alors que le fait d’avoir encadré des recherches est souvent jugé
nécessaire pour l’obtenir.
Remplacer
en deux ans un grand nombre d’entités existantes (labex, RTRA, GIS, equipex,
etc.), ayant toutes pour objectif de faire coopérer des équipes de manière
transverse aux unités de recherche, par un seul outil cooperatif--‐type simple, léger et sans
personnalité morale, doté d’un conseil scientifique et le cas échéant
pédagogique : le Groupement de Coopération Scientifique
Ah ben oui ! Plus personne - les chercheurs pas plus que les
autres - n'est capable de s'y retrouver dans la jungle de sigles et d'acronymes
qu'est devenue au fil des ans et des lois le paysage français de la recherche…
Et, en plus, ça devrait permettre des économies.
Augmenter
les soutiens de base des laboratoires. Permettre l’allongement de la durée des
projets ANR à 5 ans et augmenter en proportion le volume de financement des
projets. Limiter la prolifération des projets. Alléger les procédures de
soumission des projets ANR en construisant une procédure en deux temps.
« Nous recommandons un rééquilibrage entre les
financements de base et les financements sur projets. De très nombreuses
contributions aux Assises sont allées dans ce sens. Il faut réévaluer le
financement de base simplement pour permettre à chacun de travailler : il est
économiquement douteux de rémunérer des chercheurs sans les mettre en situation
minimale pour produire. Nous souhaitons aussi que l’ANR évolue, de manière à
limiter le taux d’échec dans les appels à projet, taux d’échec devenu tellement
important (près de 80%) que les chercheurs passent trop de temps à écrire des
projets ou à les évaluer, au détriment du temps consacré à leur recherche. Nous
proposons donc d’allonger la durée des contrats, de limiter la prolifération
des projets »
Il s’agit là probablement du problème le plus grave et le plus facile à
résoudre de la recherche française, qui n’exige aucun moyen
supplémentaire ; simplement un rééquilibrage important de la recherche
finalisée vers le financement de base des équipes. Ces dernières années, une
part excessivement importante de la
recherche a été basculée en financement finalisé sur des programmes ANR. Les
chercheurs ont passé un temps fou et inutile (inutile à plus de 80%) à remplir
des documents, vendre des projets à l’ANR, évaluer ceux de leurs collègues. Et
pour clore le tout, et comme tout le monde sait ce que ce n’est pas
raisonnable… alors on a inventé les programmes blanc ANR, les programmes sans
programmes.
Les plus grands chercheurs internationaux, ceux qui
ont fait la renommée du CNRS, dans tous les domaines, n’ont cessé d’expliquer
que, certes le CNRS payait mal en comparaison de ses homologues étrangers, mais
que ce qui le rendait attractif, c’était la liberté qu’il laissait aux
chercheurs. Nous avions un avantage compétitif
étranger au système anglo-saxon, il était urgent que nous nous en
privions…
Les plus grands scientifiques, en particulier
Edouard Brézin, Président de l’Académie des Sciences, n’ont cessé de le
répéter : ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’Edison a inventé la
lampe à incandescence. La recherche fondamentale, il n’y a que les organismes
publics qui puissent la mener, et c’est
leur contribution principale et originale à l’innovation, à la compétitivité d’un pays et de ses
industries. Sans recherche fondamentale, pas de valorisation ; et il vaut
mieux que la recherche publique fasse ce qu’elle sait bien faire, et qu’elle
est seule à pouvoir faire, plutôt que de s’efforcer de faire de la recherche
appliquée, parfois non applicable.
Le rapport se conclut par cet espoir : « les
années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs
au sommet de laquelle la science, la recherche, l’intelligence, la volonté d’apprendre
et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées ».
Les Assises ont eu lieu, mais elles n’ont servi à rien, ignorées, même en leurs
préconisations les plus faciles à mettre en œuvre, par une ministre inexistante.
Les chercheurs en sont, je crois, bien déçus… en attendant la colère.
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