Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



Rechercher dans ce blog

mardi 13 octobre 2015

Prix Nobel 2015 : Une première chinoise


De l’armoise au paludisme
Une grande première pour la Chine, et une double première : le premier prix Nobel scientifique, et le premier Nobel décerné à une chinoise, Youyou Tu, 84 ans, récompensée pour la découverte d’un médicament contre le paludisme, l’artémisine.
C’est une longue histoire, d’ailleurs déjà récompensée par le prestigieux prix Lasker en 2011, une très longue histoire même puisqu’elle trouve son origine dans un manuel de médecine traditionnelle chinoise (Des formules d’urgence à garder à porter de main -Zhouhou beijifang 後備 ) écrit au IVème siècle par le médecin et alchimiste Ge Hong 葛洪 (283-343). Une longue histoire aussi pour le Dr Youyou Tu, diplômée de pharmacie de l’Université de Pékin en 1955, et qui suivit ensuite une formation de deux  ans à la médecine traditionnelle chinoise ; puis, de 1965 à 1978,  elle devient professeur assistante à l'Académie chinoise de médecine traditionnelle de Pékin (professeur titulaire en 1985).
Dès ses débuts, le Dr Youyou Tu se consacre donc à l’exploitation de la pharmacopée chinoise traditionnelle par les méthodes de la recherche médicale occidentale. En 1950, l’OMS  se propose l’ambitieux projet d’éradiquer le paludisme. Après un succès limité, la maladie reprend de plus belle dans de nombreuses régions du monde, notamment en Chine, où la chloroquine - le traitement anti-paludique de référence- perd son efficacité. A une situation chinoise qui devient préoccupante s’ajoute ce qui se passe chez les voisins et alors alliés nord-vietnamiens. Les Nord-Vietnamiens en guerre construisent un extraordinaire réseau de tunnels qui leur permettent de s’abriter des bombardements américains et de s’infiltrer au sud. Seulement, ces tunnels sont remplis d‘eau stagnante, asile de choix pour les moustiques vecteurs du paludisme ; au point qu’il est rapporté que le paludisme tue plus que les bombes américaines.
Le programme 523
Mao Zedong décide de monter un projet médical et militaire secret appelé "523" (comme la date à laquelle il a été lancé, le 23 mai 1967), dont le but est de trouver un remède dans la médecine traditionnelle chinoise contre le paludisme, et qui permettrait de damner le pion aux USA où des scientifiques s'acharnent sans grands succès dans le même but. Youyou Tu est choisie pour diriger ces recherches, et ne sera pas pour autant épargnée par le régime et  la folie maoïste. Elle est envoyée dans la province de Hainan, une région du sud du pays relativement épargnée par la maladie. Elle ne reverra pas sa fille de 4 ans pendant six mois et son mari sera banni du pays (envoyé dans un camp de travail) pendant qu'elle mène ses recherches sur le terrain. "Le travail était ma priorité, j'étais prête à sacrifier ma vie personnelle", raconte-t-elle au New Scientist.
Assistée par trois personnes, elle épluche plus de 2.000 recettes de remèdes traditionnels et teste plus de 380 extraits de plantes d’abord sur des souris puis sur elle-même. Un extrait d’Artémisine (la plante chinoise Artemisia annua) se montre efficace pour faire baisser la fièvre et  réduire le nombre de parasites dans le sang. Le nombre d’extraits testés est faible pour une découverte de cette ampleur ; c’est que cette découverte ne doit rien au hasard, car les tisanes d’artémisine étaient réputées actives contre le paludisme dans le Hainan. S’ensuit alors un long travail de purification et d’isolement du principe actif, pendant lequel l’équipe chinoise finit par comprendre pourquoi leurs extraits pourtant de plus en plus purs perdaient de leur activité ; c’est que le principe actif qu’ils recherchent est sensible à la chaleur et dégradée par des extractions à chaud, normalement plus efficaces. Ils devront reprendre un mode d’extraction à froid, finalement assez proche de la recette traditionnelle (macération de la plante dans de l’eau pendant deux jours, après  écrasement au pilon).
La structure chimique de l’artémisine est décrite sans ambiguïté en 1979 par son spectre de diffraction des rayons X. Il s’agit d’une structure extrêmement complexe, et qu’aucun chimiste n’ aurait pu imaginer :  une lactone sesquiterpènique avec deux atomes d'oxygène liés par un pont peroxyde au-dessus d'un cycle à sept atomes de carbone (cf. le tableau ci-dessus) de plus  elle possède sept centres d'asymétrie autorisant un grand nombre de stéréoisomères… mais Artemisia annua n'en synthétise qu'un seul. Chimiste émérite,  Dr TouYou Tu a exprimé à plusieurs reprises sa fierté d’avoir découvert, en partant de la médecine traditionnelle de son pays, une molécule aussi originale, un antipaludéen de structure complètement nouvelle, ce qui de plus lui donne une activité sur les souches résistantes aux médicaments déjà connus.
La nature, chimiste extraordinaire
 La complexité structurale de la molécule d'artémisinine rend sa synthèse artificielle particulièrement difficile, et totalement prohibitive quant aux coûts. Un autre défi à relever a été sa production en quantité suffisante pour traiter un grand nombre de patients, et à un coût acceptable. Il faut 30 à 35 tonnes de plantes fraîches entières pour produire 2,5 à 3 tonnes de feuilles sèches d’où sont extrait environ 1,3 % d'artémisinine. Le laboratoire français Sanofi Pasteur a joué un rôle important dans cette partie de l’histoire ; avec l'arrivée de nouvelles générations d'armoise donnant un plus grand pourcentage de substance active et l'optimisation de la chaine de production, Sanofi Pasteur a annoncé, en 2013, qu’il était capable de produire de manière reproductible de l'artémisinine au prix de revient de 350 à 400 USD le kilogrammes. Renonçant à une synthèse totale, les chimistes thérapeutiques ont cependant  préparé des dérivés semi-synthétiques comme l'artésunate, l'artéméther et l'artéether, plus stables.
Ce n'est qu'après le constat, au début des années 1990, de l'aggravation des phénomènes de résistance du parasite envers les médicaments classiques comme la chloroquine ou l'amodiaquine que les laboratoires pharmaceutiques ont commencé à s'y intéresser, et il fallut attendre 2001 pour que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare l'artémisinine « le plus grand espoir mondial contre le paludisme ». Actuellement, l'artémisinine est considérée comme un traitement très efficace contre le paludisme, maladie qui touche près de 200 millions de personnes par an. Les résultats recensés dans certains pays d'Afrique qui testent des traitements à base de cette substance sont "spectaculaires.  Selon Médecins sans frontières (MSF), l'artésunate, dérivé de  l'artémisinine, réduit la mortalité de cas de paludisme sévère de 39 % chez les  adultes et 24 % chez les enfants. Mais déjà des résistances sont apparues, essentiellement en raison de pratiques médicales défectueuses  (utilisation de tisanes au lieu du produit pur, doses insuffisantes, médicaments trafiqués, absence de traitement par un autre antiupaludéen), essentiellement en Asie ; un gâchis scandaleux, une erreur à ne pas répéter ailleurs ; mais  le combat est déjà à reprendre.
Le prix Nobel 2015 de médecine a également récompensé l'Irlandais William C. Campbell et le Japonais Satoshi Omura pour leur mise au point d'un traitement contre les infections dues à des vers nématodes. Il s’agit également d’une molécule naturelle, l’avermectine, celle-là synthétisée par des bactéries, et "dont les dérivés ont radicalement diminué la prévalence de la cécité des rivières et la filariose lymphatique", a précisé le comité Nobel. La bactérie productrice a été isolée  en 1978, à l’Institut Kitasato d’un échantillon de sol provenant de la préfecture de Shizuoka. L’activité anti parasitaire a été découverte dans les laboratoires de  Merck Sharp and Dohme, où la souche avait été envoyée pour screening selon un procédé assez classique.
Bref, un excellent Prix Nobel de Médecine 2015 récompensant des chimistes pour les découvertes de médicaments majeurs pour des maladies parasitaires surtout présentes chez les pays peu développés – tandis que le Prix Nobel de chimie récompense de plus en plus souvent des biologistes - il serait peut-être  temps de créer un vrai Prix Nobel de biologie ! Peut-on espérer également que ces prix Nobel relancent l’intérêt sur les molécules naturelles, une recherche plus longue, difficile, ingrate qui a été quasiment abandonnée par la plupart des grands laboratoires. Seulement, la Nature reste encore le chimiste le plus imaginatif et efficace, capable de synthétiser des molécules extraordinaires, surprenantes et d’une complexité inouïe. Des molécules qui émerveillent toujours le Pr YouYou Tu !
 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.