Astrid
c’est mort ? Pour quelles raisons ?
Le Monde du jeudi 29 août se paie une belle
exclusivité : « Astrid, c’est mort » ! Astrid (pour
Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) est un
prototype de réacteur à neutrons rapides (RNR), refroidi au sodium. Il devait
être construit sur le site nucléaire de Marcoule (Gard). Lancé dès 2006, sous
la présidence de Jacques Chirac, le projet devait aboutir à une entrée en service
en 2020 et à un déploiement industriel en 2040. « Astrid, c’est mort. On
n’y consacre plus de moyens ni d’énergie », révèle au Monde une source du CEA.
Pourquoi
Astrid est-il abandonné ? Le CEA aurait été refroidi par le coût du chantier.
Selon Le Monde, 738 millions d’euros avaient déjà été investis fin 2017 mais le
coût total du projet était estimé entre 5 et 10 milliards d’euros alors que
l’uranium est peu onéreux. En parallèle, le réacteur de recherches Jules
Horowitz du CEA a vu sa facture exploser de 500 millions à 2,5 milliards
d’euros. Et il ne doit pas entrer en service avant 2021. (NB : le RJH est
un réacteur de test de matériaux, permettant des expérimentations avec un
spectre neutronique intense en neutrons thermiques et en neutrons rapides, ce
qui lui permettrait des études sur les matériaux des filières nucléaires
actuelles de 2e et 3e génération et
éventuellement futures (4e génération : Réacteur à neutrons rapides…enfin si on
en construit).
Deuxième
explication : manque de soutien du gouvernement à travers la PPE. Au moins
jusqu’à la deuxième moitié du XXIe siècle, le besoin d’un démonstrateur et le
déploiement de réacteurs à neutrons rapides ne sont pas utiles”, indiquait en
janvier le rapport de consultation de la PPE.
Enfin,
une autre source du CEA citée par Le
Monde pointe du doigt EDF qui « n’a pas vraiment soutenu le
projet » en moyens financiers.
Le
CEA lui- même a, après l’article du Monde, livré une explication un peu
différente : « Dans le contexte énergétique actuel, la perspective
d’un développement industriel des réacteurs de 4ème génération n'est en effet
plus envisagée avant la deuxième moitié de ce siècle… le CEA continue ses
travaux dans le cadre de la convention de programme d’étude qui s’achève fin
2019. Cependant, la construction du réacteur prototype, n’est pas programmée à
court ou moyen terme »
Remarque : Que signifie exactement le
contexte énergétique actuel ? Est-ce le prix bas de l’uranium qui ne justifierait plus son
recyclage ? Ou la décision politique et néfaste, écologiquement,
économiquement et d’un point de vue sanitaire de réduire le nucléaire ?
« Conformément
aux engagements qu’il avait pris auprès des pouvoirs publics, le CEA proposera
d’ici la fin de l’année au gouvernement un programme de recherche révisé sur la
quatrième génération – pour 2020 et au-delà, en lien avec les orientations du
gouvernement sur la Ce programme portera sur la simulation, des travaux
expérimentaux et des développements technologiques ciblés. Il permettra également de maintenir les compétences développées sur les
réacteurs rapides au sodium. »
Remarque : Dont acte, mais il est
difficile d’y croire. Et surtout, il faudrait peut-être revoir radicalement
la PPE (Programmation Pluriannuelle de
l’Energie) dont le Grand Débat qui lui a été consacré a montré à quel point
elle était irréaliste, cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2018/09/le-debat-public-sur-la-transition.html
)
En abandonnant Astrid, nous
abandonnons beaucoup de choses ! De quoi se passe-t-on ?
Astrid
est la continuation des réacteurs expérimentaux Rapsodie, Phénix (250 MWe) et
Superphénix (1 240 MWe), qui rappelons-le fut un succès technologique, mais arrêté
pour des raisons politiques sacrifié sur l’autel de la majorité plurielle de
Lionel Jospin, et particulièrement à un accord avec les écologistes.
Astrid
est un surgénérateur, un réacteur, dit
de « 4e génération », qui consomme de l’uranium 238 (constituant
99,3% de l’uranium naturel) plutôt que de l’uranium 235 (0,7% de l’uranium
naturel), ce qui nécessiterait in fine moins d’uranium naturel extrait du
sous-sol pour produire de l’électricité et évite
les étapes d’enrichissement. Il peut également brûler du plutonium et transformer des actinides mineurs, déchets
nucléaires à vie longue, en des déchets nucléaires à vie plus courte.
De
façon plus développée, l’Uranium 238 est bombardé par des neutrons rapides,
celui-ci est converti en plutonium 239 fissile. Avec la même quantité d’uranium naturel initial, on peut ainsi produire
avec ces RNR jusqu’à 100 fois plus d’électricité que dans les réacteurs actuels. Ces systèmes à neutrons rapides consomment
également dans le même temps directement du plutonium dont ils permettent un
multi-recyclage. Dans les réacteurs actuels (REP ou REB) en France, le
recyclage du plutonium est limité à un seul cycle sous forme de combustible
appelé MOX (Mixed OXide fuel).
L’un des grands enjeux des
réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides est de faciliter la
gestion des déchets radioactifs
en réduisant le volume et la radiotoxicité intrinsèque à long terme des déchets
ultimes. Ils peuvent en particulier transformer des éléments radioactifs à vie
longue (les actinides mineurs -américium, neptunium, voire curium), en éléments
à vie plus courte. Les déchets ultimes
se limiteraient alors aux produits de fission de ces actinides mineurs dont le
stockage serait plus simple : ils
retrouveraient le niveau de radioactivité de l’uranium naturel non plus au bout
de plusieurs centaines de milliers d’années comme les actinides mineurs, mais au bout de 300 ans environ.
Les
RNR peuvent produire autant ou plus de matière fissile qu’ils n’en consomment.
Concrètement, à chaque fois qu’un neutron rapide provoque la fission d’un atome
de plutonium 239, d’autres neutrons transforment dans le même temps de
l’uranium 238 en plutonium 239.
Donc,
les réacteurs à neutrons rapides peuvent fonctionner en différents modes selon
l’usage recherché : en mode iso-générateur (égalité entre la production et la
consommation de matière fissile) ; en mode sous-générateur (consommation nette
de matières fissiles) ou mode « brûleur » pour consommer du plutonium de façon
intensive ; en mode surgénérateur (production de plutonium supérieure à sa
consommation.
Conséquences
de l’abandon d’Astrid : Nous nous
privons :
-
d’un réacteur qui, à pleine efficience, peut
produire jusqu’à 100 fois plus d’électricité que dans les réacteurs actuels
- d’un réacteur capable
d’utiliser les stocks d’uranium appauvri disponibles, en
combinaison avec les combustibles usés contenant du plutonium, et permettant, à partir du siècle prochain, de s’affranchir totalement des mines
d’uranium, et ce pendant plusieurs millénaires : on valoriserait, dès lors, les 99% de l’uranium extrait mis
actuellement de côté.
-
d’un réacteur assurant donc un nucléaire durable et une totale autonomie
énergétique à la France, capable de générer de l’électricité en quantité et en
puissance suffisante pour couvrir tous les usages futurs
-
D’un réacteur capable de produire plus de matière fissile qu’il n’en
consomme. C’est
l’énergie abondante pour toujours du surgénérateur!
-
D’un réacteur permettant de réduire
considérablement les déchets nucléaires ; les déchets ultimes se
limiteraient alors aux produits de fission de ces actinides mineurs de durée de
de vie de 300 ans environ.
Et
l’on viendrait nous expliquer que 5 milliards d’euros, c’est trop pour
cela ! Quand on a prévu de dépenser dix fois plus en solaire et en éolien,
qui, s’ils remplacent le nucléaire seront néfastes pour le climat (car il
faudra les adosser à une énergie pilotable, probablement du gaz), des énergies
fatales qui produisent de l’électricité quand on n’en pas besoin.
Ajoutons
que l’arrêt d’Astrid peut imposer de reclasser en déchet des ressources
inexploitées stockées par Orano, ce qui impacterait négativement le plan
national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).
Les Réacteurs à Neutrons Rapides,
ça fonctionne !
La
France a été l’une des premières, avec Phénix et Superphénix à faire la
démonstration de la faisabilité d’un RNR, filière sodium. Si l’utilisation du
sodium peut poser des problèmes de sécurité, Astrid avait justement pour but d’y
répondre en intégrant de nouveaux dispositifs : en particulier, la
présence d’un circuit secondaire en sodium non radioactif permet d’éliminer les
conséquences radiologiques d’un éventuel accident chimique généré par une
réaction sodium-eau.
Ensuite,
des RNR fonctionnent. A la centrale de Benoïarsk,
le réacteur BN 600 a été raccordé au
réseau en 1982 et est entré en phase d’exploitation commerciale, avec un : taux
de disponibilité moyen de 76 % fin 2010.
En 2015, le réacteur Benoïarsk-4 (BN-800) est connecté au réseau électrique
national russe. Apparemment heureux de leurs RNR, les Russes ont décidé de
passer à BN 1200, toujours sur la même centrale. Rosatom étudie d’ailleurs
aussi des RNR où le sodium est remplacé par du plomb : refroidissement au
plomb liquide (projet BREST) et refroidissement au plomb-bismuth (comme dans
les réacteurs de sous-marins nucléaires APL-705, qui devrait aboutir à la
construction d’un réacteur SVBR de 100
MW.
Les
Chinois disposent du China Experimental Fast Reactor (CEFR), réacteur expérimental de 65 MW qui a réussi en 2014 une
démonstration de fonctionnement à pleine puissance pendant 3 jours. Suite à
cette réussite, le nucléariste chinois NNC a annoncé fin décembre 2017 le début
de la construction d'un démonstrateur de 600 MW à Xiapu, dans la province de
Fujian.
L’Inde
dispose du Fast Breeder Test Reactor (FBTR),
réacteur expérimental d’une puissance de 40 MW, et qui comprend un cœur de 50
kg of plutonium de qualité militaire (ce qui est plutôt une bonne façon de
l’utiliser).
Le
Japon dispose du réacteur expérimental Jōyō
qui a fonctionné de juillet 2003 à 2007,
avec une puissance thermique de 140 à 150 mégawatts. Il est à l’arrêt depuis
2007. Le Japon participait à Astrid, mais s’en est semble-t-il retiré.
Et
nous, et nous, et nous ? Rien en France, le pays qui a le plus développé
le nucléaire civil ?
Astrid faisait de plus partie d’un
programme international sur le nucléaire du futur. En 2000, le Forum
international Génération IV (GIF) est né de la volonté de créer un cadre
de R&D international sur le nucléaire du futur et de faire émerger plus
rapidement les technologies les plus performantes à maîtriser. Ce consortium a
regroupé douze pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Canada, Chine, Corée du
Sud, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni, Russie, Suisse) plus Euratom.
En 2002, six technologies ont été retenues par les membres du
Forum international Génération IV. Elles apportent toutes des avancées notables
en matière de développement énergétique durable, de compétitivité économique,
de sûreté et de fiabilité, de résistance à la prolifération et aux agressions
externes.
Trois de ces technologies concernent des Réacteurs à Neutrons
Rapides : GFR (Gas-cooled Fast Reactor), réacteur à neutrons rapides
refroidi au gaz (très hypothétique) ; SFR (Sodium- cooled Fast Reactor),
réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (Astrid); LFR (Lead-cooled fast
Reactor), réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb.
Et nous, et nous, et nous : on arrête tout ?
En complément de la filière à neutrons rapides, 3 types de
réacteurs sont aussi étudiés : VHTR (Very High Temperature Reactor),
réacteur à très haute température; SCWR (Supercritical Water-cooled Reactor),
réacteur à eau supercritique ; MSR (Molten Salt Reactor), réacteur à sels
fondus
L’abandon d’Astrid en
catimini est un scandale inacceptable. La filière nucléaire
française n'aura pas de réacteur de quatrième génération
Compte-tenu de ses enjeux, de ses promesses (un nucléaire
pratiquement sans déchet), des étapes de validation qu’il a déjà franchi, avec
Superphénix en France, avec les réacteurs de la même filière en Russie et en
Chine, l’arrêt en catimini d’Astrid est incompréhensible et scandaleux.
Il est en effet incompréhensible que ce programme d’avenir et du
plus haut intérêt pour une énergie future pratiquement illimitée et décarbonée,
assurant à la France et à l’Europe une pleine souveraineté énergétique, soit
ainsi arrêté sans une évaluation sérieuse, scientifique et internationale, et
une évaluation politique devant le Parlement. Il est scandaleux et inquiétant
qu’aucune piste ne soit indiquée pour le nucléaire du futur en France.
Pense-t-on réellement que l’approvisionnement en uranium ne pose
et ne posera aucun problème dans un avenir d’une trentaine d’année ? Ce
serait prendre un sacré pari sur les instabilités et les tensions
géostratègiques … Et sur l’accroissement des besoins en combustible nucléaire,
avec le développement important de l’électricité nucléaire dans le monde.
Y-a-t-il des arguments techniques pour favoriser une autre
technologie, comme les Réacteurs à Neutrons Rapides au plomb ? Dans ce
cas, il faut le dire et le faire valider par l’expertise.
Cette décision prise en catimini, sans expertise publique, sans
débat parlementaire laisse craindre le pire : que, comme Superphénix,
Astrid ne soit victime de sombres et honteuses manœuvres politiciennes, que
l’on n’ose même pas vouer publiquement
D’où un étranglement discret par les financement ( tout comme
l’Unon Européenne, refuse d’inclure le nucléaire dans la taxonomie verte.
Est-ce ainsi que le CEA, organisme unique d’excellence dans le
domaine atomique, Ets-ce ainsi que le nucléaire français mourra ? Par
étranglement.
N.B. ; pour les réactions politiques, signalons une
excellente tribune de Raphaël
Schellenberger sur Lenergeek ( « Cet abandon est la démonstration que la
raison et la science ont quitté le rang des éléments constitutifs d’une
décision publique… Le
plus grave, c’est que cela se passe dans l’indifférence la plus totale. C’est
que le débat politique est étouffé sur le sujet, c’est que cela se fait en
catimini. »)
Et
la réaction de Marine Le Pen dénonçant « un crime économique,
technologique et écologique ».
Il
faut une commission d’enquête parlementaire.
Benoïarsk
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