Géopolique de l ’électricité :
l’Europe est mal parti !
Géopolitique de l’électricité, c’est d’abord le titre d’une excellente et
très utile lettre périodique dirigée par Lionel Taccoen qui a notamment été
Président du Comité Consultatif de l'Energie auprès de la Commission Européenne
(1998-2001), et qui donc en connait beaucoup sur les arcanes de la politique
énergétique européenne (cf. https://www.geopolitique-electricite.fr/)
Le numéro de juillet était
consacré à certaines implications inattendues ou pas de l’Energiewende, qui implique, sans le dire ouvertement, une
dépendance très forte, et de plus en plus, au gaz- lequel gîte très peu
dans l’Union Européenne et est loin de constituer une solution optimale
pour conterer le dérèglement climatique.
En parallèle, Enerdata a publié un
Executive breefing très intéressant sur les politiques énergétiques chinoise,
russe et américaine dans le secteur européen de l’électricité qui jouent un
rôle croissant. Dans ce secteur pourtant essentiel de l’énergie, l’Europe fait
preuve, comme pour son industrie, d’une absence totale de vision politique et
stratégique, bref de politique qui nous conduit vers des demains très très
inquiétants. Et lorsqu’elle aborde ces sujets importants, c’est pour faire
preuve de graves divergences internes et
d’un manque d’unité dangereux, pour proférer
de grands principes extrêmement banals, et immédiatement contredits par
des décisions scientifiquement et techniquement absurdes, et d’une naïveté
confondante qui nous a déjà coûté cher en matière de politique industrielle…et
qui s’annonce dramatique.
Conclusion de Lionel
Taccoen : « Une stratégie énergie-climat irréelle et une
balkanisation politique conduisent l’Union Européenne à être un enjeu
impuissant entre grandes puissances. »
L’inquiétante évolution allemande le
tout gaz, plus un peu d’ENR
Extraits : « Comme l’indique en termes diplomatiques l’Agence Internationale de l’Energie, l’Allemagne
peine à atteindre à court terme ses objectifs climatiques. Les gains de l’efficacité
énergétique se font attendre. Les énergies renouvelables restent confinées à un
secteur électrique qui correspond à moins de 20% de la consommation d’énergie
et le pays va se priver d’une source
importante non carbonée, le nucléaire…
En conséquence l ’Allemagne envisage un recours accru au gaz naturel pour
remplacer charbon et pétrole dans des applications hors secteur électrique. Ce
combustible émet effectivement moins de gaz à effet de serre que le pétrole
(20% en moins) et que le charbon (40% en moins), à condition de ne pas compter
les fuites de méthane, peu connues, durant extraction et transport. Cette solution limitée est présentée comme
transitoire. A long terme, la situation, toujours prévue comme idyllique
s’appuiera sur les renouvelables. Mais comme disait le célèbre économiste John
Keynes : « A long terme nous seront tous morts ». En attendant, il faut vivre.
Le pays vient également de
lancer une ambitieuse « Stratégie Nationale pour l’Hydrogène », qui serait
fabriquée par électrolyse à partie de l’électricité renouvelable. Greenpeace et
autres ONG environnementales sont sceptiques, en expliquant que les programmes
de développement des renouvelables ne
permettront pas de produire suffisamment d’électricité. Notre étude confirme ce
point de vue. La « Stratégie Nationale pour l’Hydrogène » s’appuiera sur la
puissante industrie chimique allemande, qui depuis plusieurs années cherche à
trouver un processus de fabrication évitant l’important dégagement de gaz
carbonique émis lors de la production de l’hydrogène par le gaz naturel. Si
cela réussit, la grande industrie automobile allemande sera non seulement
sauvée, mais à la pointe de la technologie verte mondiale. La voiture à
hydrogène est une voiture électrique sans accumulateurs. Finis les problèmes de
chargement et de limitation des distances parcourues. Elone Musk et ses Teslas
n’auront qu’à bien se tenir. »
Commentaire : l’hydrogène présente en matière de propulsion des
qualités intéressantes. Le problème est sa production (et tout de même un
peu sa distribution et son stockage, mais rien de techniquement impossible- pas
comme le stockage électrique en batterie..). Pour que l’hydrogène soit vert, il
faut beaucoup, beaucoup d’électricité et il faudra beaucoup de centrales
nucléaires (pour une fois, d’accord avec Greenpeace, les ENR, ça va pas le
faire !). Quant à le produire à partir du gaz, ce n’est ni très vert, ni
très durable. Une solution transitoire ? Moui…mais avec des
conséquences !
NB : »Le craquage du
méthane étudié par Monolith Materials aux Etats Unis11 et BASF en Allemagne
permettrait l’élimination du carbone et même sa commercialisation »…
Extrait : Une de ces conséquences, « c’est que l’Allemagne
choisit donc, de façon présentée comme transitoire, d’utiliser plus de gaz
naturel. Se profile une alliance franco-allemande surprenante,
pour éviter que gaz naturel et nucléaire soient exclus de la taxonomie
européenne qui désignera les activités dont les investissements seront
facilités. »
Commentaire ; on devrait voir rapidement si cette prédiction de
M. Taccoen se vérifie. Elle fait sens sur aussi un autre point. Pour l’instant,
la stabilité du réseau électrique européen est assurée par le fait que
l’Allemagne a une production électriqiue très redondante, en gros un parc
pilotable ( nucléaire, charbon, gaz) et un parc fatal intermittent (ENR). Si
l’Allemagne sort du nucléaire ainsi qu’ »elle l’affiche, alors le nucléaire
français tout entier et au-delà ( et pas 50% hein) deviendra indispensable à la
stabilité du réseau en Europe de l’Ouest.
L’Europe au milieu d’une guerre russo-européenne et soumise aux pressions
américaines.
Extrait : « L’Allemagne et les pays européens qui l’imitent
auront ainsi besoin de plus de gaz que prévu. Le marché européen du gaz est le
lieu d’une lutte âpre entre Russes et Américains. Les Etats Unis s’acharnent à
torpiller un projet de gazoduc géant
entre Russie et Allemagne, ce qui est une grave ingérence dans la politique d’un
Etat souverain et allié..
« Les limites des
politiques énergie-climat européennes conduisent à des besoins accrus de l’UE
en gaz naturel. La Russie et les Etats Unis ont intégré cette donnée dans leur
stratégie…
Pour les Russes, l’Union
Européenne est un client idéal, capable d’acheter des quantités considérables
et payant en monnaie forte. Le transport par gazoduc est bien plus simple et
moins cher que par navires. A condition, bien sûr d’éviter le passage par les pays
empêcheurs de tourner en rond (Pologne et Ukraine). Au début du siècle les
Russes proposèrent deux gazoducs, Nord Stream13 pour les pays du nord européen,
principalement l’Allemagne, et South Stream, l’Italie étant le client le plus
marquant. L’un et l’autre évitaient Ukraine, Pologne et Pays baltes….
Le projet de gazoduc South Stream devait plonger sous la
Mer Noire, aborder en Bulgarie, traverser la Serbie, et distribuer son gaz à
partir de l’Autriche. Tous ces pays étaient demandeurs. Les Italiens, en particulier,
étaient désireux d’une seconde source de gaz sûre, en plus de l’Algérie.
South Stream rencontra des
difficultés que Nord Stream avait su éviter. L’Union Européenne ne
dépendrait-elle pas trop de la Russie ? Le gazoduc traverserait les pays de l’Union,
donc ne pouvait rester propriété de Gazprom. Le Commissaire européen à l’Energie (allemand) fit traîner le projet.
Des pressions de la Commission Européenne amenèrent la Bulgarie à suspendre les
travaux. Enfin l’ambassadeur américain à Sofia menaça de sanctions les
entreprises bulgares engagées dans la construction . Le 1er décembre 2014, le
Président Poutine annonça l’abandon du projet.
Le doublement de Nord Stream.
Pressentant leurs nouveaux
besoins de gaz, un an plus tard, les Allemands lancèrent le projet de
doublement du gazoduc géant Nord Stream. Le
Premier Ministre italien Matteo Renzi bondit d’indignation. Les raisons de
l’annulation de South Stream, la dépendance à la Russie, pays à la politique
réputée dangereuse, disparaissaient quand l’Allemagne avait besoin de gaz ?
Les Américains ont équipé des
ports sur l’Atlantique et un envoi de gaz naturel a été observé en Pologne en
2019. Ils ont décidé un coup d’arrêt à la progression des ventes de gaz russe
en Europe, pour placer leur gaz de schiste. Un accord germano-russe avait
décidé le doublement du gazoduc géant sous-marin Nord Stream amenant
directement le gaz de Gazprom en Allemagne. Les travaux étaient terminés à 90%
en décembre 2019, lorsque le Président Trump a annoncé des sanctions contre les
entreprises du chantier. Celui-ci a été immédiatement stoppé. Un navire russe
poseur de pipelines doit terminer la pose, mais un projet de loi, soutenu par
les démocrates, doit élargir les
sanctions, en particilier aux sociétés d’assurance des poseurs de tubes. Un groupe de parlementaires américains
républicains et démocrates préparent une Loi sur la Protection de la Sécurité
Energétique Européenne « Protecting Europe’s Energy Security Clarification
Act.
Ce qui signifie que la
non-réélection de Trump ne changera pas le problème » Rappelons, c’est
assez assez gratiné : « ce projet aggrave
les sanctions contre les participants au projet Gazprom 2, en l’étendant aux
compagnies d’assurance auxquelles ont recours les entreprises impliquées. »
Attendons la suite. Le conflit
entre Etats Unis et Allemagne est inédit et les divergences sont profondes. Les
Allemands tombent de haut. Les Américains ont annoncé leur intention de
transférer une partie de leurs troupes d’Allemagne en Pologne.
Une stratégie énergie-climat irréelle et une balkanisation politique
conduisent l’Union Européenne à être un enjeu impuissant entre grandes
puissances. Les Etats Unis ignorent les protestations allemandes et européennes
et préparent un projet de loi sur la sécurité d’approvisionnement énergétique
de l’Union Européenne qu’ils s’efforceront d’imposer à l’UE.
Commentaire : ben, ils sont bien gentils, les sénateurs
républicains tet démocrates US qui se soucient de la sécurité énergétique de
l’Europe…au mieux de leurs intérêts…Les Russes aussi se soucient beaucoup de
nous, d’autant qu’ils ont un besoin vital de vendre leur gaz.
Extrait : une remarque en
passant sur le grand succès de l’Energiewende « Sans la baisse conjonturelle de la production en 2019, le gaz
aurait été la première source de remplacement du nucléaire et du charbon avant
les renouvelables. Cette source d’énergie est nécessaire dès que les
renouvelables peinent à remplacer charbon et nucléaire »
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