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lundi 6 juillet 2020

La transition énergétique allemande (Energiewende) au défi des Energies Renouvelables

Une étude critique des défis de la transition énergétique allemande, à partir de données et de critiques d’organismes allemands …et des leçons à en tirer pour la France. Extraits et commentaires :

auteur : Hartmut Lauer, Ingénieur diplômé et Docteur – Ingénieur (Université technique de Hanovre). A travaillé plus de 35 ans dans le secteur de l´électricité en France et en Allemagne. Ancien dirigent d´un grand énergéticien allemand, il a également été membre des comités consultatifs et  techniques dans plusieurs entreprises spécialisées dans le domaine de l´énergie.

Les contraintes techniques d’une forte pénétration des renouvelables

1) Le forte proportion et la très grande variabilité des énergies intermittentes menacent la stabilité du réseau allemand et européen

« Le gouvernement allemand s´est fixé comme objectif d´ici 2030 d´atteindre une part de 30% des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale et de 65% dans la consommation brute d´électricité. La priorité est donnée au développement des énergies éolienne et photovoltaïque intermittentes. »
« Bien que les résultats lissés sur l´année des énergies renouvelables intermittentes soient remarquables, c´est l´instant qui compte pour sécuriser l´approvisionnement en électricité et non pas la production lissée sur une période donnée. » 

« La capacité nette installée des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) représente environ la moitié de la capacité totale installée en Allemagne fin 2019. Cependant, éolien et photovoltaïque ont produit moins de 30% du courant en 2019, ce qui correspond à un facteur de charge d´environ 18% » (A titre de comparaison, le nucléaire allemand, qui représente avec 9,5 GW environ 4,7% de la capacité installée en 2019, a produit 12,4% du courant (75,1 TWh). Cela correspond à un facteur de charge moyen de plus de 90%)

« La production très variable des énergies renouvelables intermittentes menace la stabilité du système électrique. Compte tenu des moyens de stockage très limités, les gestionnaires de réseau doivent en effet maîtriser en permanence l´équilibre du système électrique en s´appuyant notamment sur la flexibilité du système électrique, ce qui oblige à recourir régulièrement à un management du réseau accru. Depuis 2015, ces mesures de stabilisation du réseau ont gagné en importance et les coûts induits sont devenus significatifs, dépassant un milliard d´Euros par an. »

« Un autre défi des énergies renouvelables intermittentes est la répétition régulière des périodes de faible production.  L´expression courante, « Il y a toujours du vent quelque part » ne correspond pas à la réalité. L’Europe occidentale se comporte souvent comme une zone venteuse assez homogène, dominée par l’influence des grands courants océaniques ou continentaux. Le foisonnement de l´éolien au niveau européen se révèle donc peu efficace et le foisonnement solaire est lui-même limité parce que l´Ouest européen ne couvre que 1,5 fuseau horaire. Les énergies renouvelables intermittentes ne peuvent à elles seules assurer la sécurité d´approvisionnement. »

« Trois scenarios sont possibles  et se produisent effectivement : Production aléatoire soumise à une forte variation qui peut excéder la valeur de consommation maximale ; Chute brutale de la production sur une courte période ;  Longues périodes de production quasiment nulle ; »


Dans la semaine du 19 janvier au 26 janvier 2019, la production d’électricité à base d´énergies renouvelables a été particulièrement faible pendant 6 jours. La majeure partie de l’électricité a été fournie par des centrales conventionnelles.


Les trois scenarios ne sont pas une fiction théorique, ils sont bien réels. L´association européenne des producteurs d’électricité et de chaleur VGB PowerTech e.V. a publié deux études sur la performance des éoliennes en Allemagne et en Europe (VGB 2017b, 2018, 2017a). Le résultat des études sur la fréquence des épisodes de production quasi nulle d´éolien et de solaire montre entre 2010 et 2016 environ 160 épisodes de 5 jours avec une production éolienne inférieure à 5 GW et pour chaque année un épisode de 10 à 14 jours de vents faibles.

En pointe, le Photovoltaïque c’est zéro, l’éolien 1% !

Ce n’est donc pas sans raison que les GRT utilisent dans leurs bilans prévisionnels de l’équilibre offre-demande (GRT 2019a) une approche déterministe conservative, en accordant  au photovoltaïque une disponibilité de 0% et 1% à l´éolien dans la gestion des périodes de pointe pouvant atteindre une demande de ~ 82 GW.A noter toutefois que le bilan prévisionnel des GRT est une démarche théorique et suppose la simultanéité d’événements relativement improbables comme une situation de pointe combinée avec une production extrêmement faible d’énergies renouvelables, et ne tient pas compte des importations possibles dans une situation difficile.

Dans ses bilans prévisionnels annuels, RTE utilise une approche probabiliste moins conservative et considère que la puissance minimale garantie des éoliennes terrestres a 90% de chances d’être supérieure à 10 % de la puissance installée (Sapy 2018). »
Même l´approche plus optimiste de RTE ne change pas substantiellement la conclusion que l´éolien et le photovoltaïque contribuent très peu à la production en situation de pointe lors des vagues de froid et des conditions météorologiques peu favorables. De plus il ne s´agit pas d´un événement exceptionnel mais d´une situation qui se répète régulièrement. »

Rôle des interconnexions pour les échanges d´énergies renouvelables intermittentes- le mythe du foisonnement

Selon  l´UE,  les interconnexions peuvent faciliter les échanges d’électricité entre États membres et, partant, réduire la congestion et rendre les énergies renouvelables plus rentables dans certaines régions. Avec un objectif de 10 % de la capacité installée de production d’électricité d’ici à 2020 et de 15 % d’ici à 2030, les interconnexions permettront non seulement de faciliter les échanges d’électricité et d’améliorer les signaux transmis par les prix, mais aussi de renforcer la sécurité de l’approvisionnement et de garantir une approche européenne de l’électricité d’origine renouvelable.

Selon une étude française de 2014 (Flocard et al. 2014) « … le foisonnement de l’éolien au niveau européen se révèle peu efficace. L’Europe de l’Ouest se comporte souvent comme une zone venteuse assez homogène, dominée par l’influence des grands courants océaniques ou continentaux. La similitude entre les productions horaires est grande. . » …. » ..Le foisonnement solaire est lui-même limité parce que l’Ouest européen ne couvre que 1,5 fuseau horaire… « .
VGB Power Tech a démontré (VGB 2018) que la production éolienne dans 18 pays européens correspond en moyenne à 24% de la puissance installée (170 GW en 2017) et peut temporairement baisser à 4% – 5% (6 – 8 GW). Pour le transport et la distribution du lieu de production au consommateur il faut en plus tenir compte des pertes de réseau d´environ 7% à l´intérieur de chaque pays. Cela veut dire que le foisonnement, déjà assez limité, se réduit d’autant plus avec l’éloignement.

Les ingénieurs du VGB concluent que l’éolien et le photovoltaïque ne seront pas en mesure d´assurer à eux seuls la sécurité d´approvisionnement en Europe occidentale. Compte tenu du stockage d’électricité de masse, encore largement hors de portée, techniquement comme économiquement, il faut maintenir une importante capacité de centrales conventionnelles hautement flexibles en backup.

Modernisation du réseau électrique : échec et mat !

Sur 3600 km de réseau supplémentaire prévus en 2015, seuls 17% étaient réalisés en 2019!

Un approvisionnement d´électricité  basé sur des sources d’énergies renouvelables recèle de nouveaux défis pour les réseaux. Dorénavant, une grande partie de l’électricité sera injectée de manière décentralisée dans les réseaux électriques et transportée en partie sur de longues distances. On observe en effet l’accroissement d´un déséquilibre dans la production d’électricité en Allemagne.  Tandis que la production dans le nord et l’est du pays équivaut pratiquement au double de la demande, il y a un déficit dans le sud et l’ouest  où entre un quart et la moitié de la consommation annuelle d’électricité doit être assurée par des importations depuis d’autres régions.

L’électricité éolienne produite dans le nord doit être amenée à des centres de consommation électrique dans le sud et dans l’ouest de l’Allemagne. Par conséquent, le développement des grands réseaux de transport suprarégionaux et des réseaux de distribution locaux est une tâche essentielle.
C’est pourquoi 65 projets d’extension du réseau THT (très haute tension), pour un total de 7656 km, ont été décidés en 3 tranches : 1655 km en 2009, 2494 km en 2013 et 3507 km en 2015 (BNetzA 3, 2019b). L´épine dorsale est constituée par plusieurs tracés nord – sud en courant continu d´une longueur totale d´environ 2100 km.

Or la construction des lignes est lente. Outre les contraintes administratives, l’installation de nouvelles lignes se heurte aux refus des riverains et des associations de protection de la nature. Les autorités ont pris la décision de la mise en souterrain du réseau électrique pour une grande partie, sans parvenir à calmer toutes les résistances. Environ 17 % (1278 km) étaient réalisés fin 2019.

Une nouvelle loi (BMWi 2018c), approuvée en avril 2019 par le parlement, prévoit d’accélérer la procédure d’autorisation des lignes électriques. De plus, le gouvernement fédéral et les Länder se sont mis d´accord en mai 2019 sur un planning précis de mise en œuvre. Mais, en  l’état actuel des choses, les lignes à courant continu ne seront pas opérationnelles avant 2025/2026. La situation devrait donc s´améliorer après 2025…

Or l’ Energiewende complète exigerait 11.000 km…

Sauf que suite au nouvel objectif d´une part de 65% d´énergies renouvelables à la consommation d´électricité d´ici 2030, les besoins d’extension des réseaux électriques de transport sont plus importants. Il faut ajouter environ 3600 km de lignes THT aux projets actuels dont la plupart seront des renforcements de lignes existantes. Le besoin passera donc à plus de 11200 km. Entre autres des nouvelles lignes à haute tension en courant continu doivent être construites d’ici 2030 entre le Schleswig-Holstein, la Basse-Saxe et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, notamment pour transporter le courant produit par les éoliennes en mer du nord vers les centres de consommation plus au sud
En fait : « La très lente modernisation du réseau électrique qui ne suit pas le rythme du développement des énergies renouvelables. En attendant, le système européen est mis à contribution. Des flux appelés « loop flows » traversent les pays limitrophes pour acheminer du courant du nord au sud de l´Allemagne, perturbant les réseaux des pays voisins parfois fragiles. »

Sécurité d´approvisionnement : tant que le Parc allemand est doublement redondant, ça va , ùais quid avec la sortie du nucléaire en 2022 et du charbon en 2038 ?

« La poursuite de l’expansion des énergies renouvelables intermittentes, prioritaires sur le réseau, se révèle malgré tout exigeante pour le système électrique. La compensation des variations de la production éolienne et photovoltaïque demande une flexibilité accrue du système électrique, actuellement assurée par le recours au pilotage de la consommation (demande-site-management), l´écrêtement de la production des énergies renouvelables intermittentes et une importante capacité de centrales conventionnelles à réaction rapide en backup. Et ceci en tenant compte de la qualité de l’alimentation (respect de la tension et de la fréquence).

C´est pourquoi l’Allemagne a conservé jusqu´à maintenant un parc conventionnel confortable pouvant à lui seul faire face à une situation de pointe d´environ 82 GW. Il s´agit donc d´une vraie redondance pour suppléer aux énergies renouvelables intermittentes lors des périodes de faible production.

L’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire d´ici 2022. A cela s’ajoute la sortie progressive des centrales à charbon et à lignite à l´horizon de 2038.  Au cours de cette transformation, des défis majeurs se manifesteront pour le maintien de la sécurité d’approvisionnement en Allemagne et en Europe…

 « Le stockage d´énergie ne remplit pas encore les conditions techniques et économiques requises pour être utilisé à grande échelle et ainsi pouvoir répondre aux besoins physiques du système.  Le développement de l’infrastructure de stockage d´énergie nécessaire pour une production « 100% d’énergie renouvelable » n’est pas une question d’années, mais de décennies. À très long terme, il faudrait encore des centrales conventionnelles pilotables pour compenser les fluctuations de la production des éoliennes et du solaire et assurer les services système. »

Les ingénieurs du VGB Power Tech ont calculé qu´il faudrait, en supprimant le parc conventionnel en support, une capacité de stockage de l´ordre de 21 TWh pour assurer l´approvisionnement lors d´un épisode de 2 semaines de vents faibles en hiver.La capacité de stockage actuellement disponible est de 0,04 TWh.. (soit 0/2%...)

Les contraintes économiques d’une forte pénétration des renouvelables

La loi sur les énergies renouvelables, entrée en vigueur en 2000, est le moteur du développement des renouvelables.  Cette loi a prévu la garantie d´un tarif de rachat sur 20 ans et l´obligation pour le gestionnaire de réseau d’acheter en priorité cette électricité.Les conditions très avantageuses des tarifs de rachat garanti ont attiré des investissements considérables, conduisant au développement massif des énergies renouvelables et à des coûts importants pour le consommateur. La hausse des épisodes avec des prix négatifs au marché spot, avec une part d´énergie renouvelable croissante, contribue également à l´augmentation des coûts.

Le prix du kWh payé par le ménage allemand est parmi les plus élevés d’Europe. La fiscalité représente plus de la moitié du prix du kWh. La majeure partie de la fiscalité est constituée par les charges de soutien aux énergies renouvelables qui ont pour le ménage allemand plus que triplé depuis 2010. Leurs coûts totaux annuels ont dépassé les 24 milliards d´Euros.

Cette loi EEG a été fortement critiquée : « Concernant l´adaptation régulière de la loi sur les énergies renouvelables électriques, on peut reprocher au gouvernement allemand cette navigation à vue et la prise de décision tardive pour stopper la hausse des coûts de soutien aux énergies renouvelables…. La Commission d’experts sur la recherche et l’innovation mise en place par le gouvernement fédéral se montre encore plus critique vis-à-vis du rôle joué par la loi « EEG ». Selon son rapport 2014 (EFI 2014)  « … la loi sur les énergies renouvelables ne contribue pas à la protection du climat, mais la rend plus onéreuse et ne montre aucun impact mesurable sur l’innovation. De ce fait, il n’existe aucune justification pour un maintien de ce dispositif de soutien aux énergies renouvelables… ».

Donc, fin des prix garantis : « Selon le Ministre Fédéral de l´Économie et de l´Énergie, les nombreuses révisions de la loi sur les énergies renouvelables (EEG) et notamment la mise en place des appels d´offres depuis 2017 ont contribué à limiter la tendance haussière des charges de soutien. Les tarifs d’achat étant valables vingt ans, les premiers contrats d´éolien terrestre et de photovoltaïque arriveront à échéance fin 2020, ce qui à partir de cette date, chaque année, «sortira » du soutien les anciennes installations, les plus coûteuses.

« Cependant, à court terme, la situation pourrait se dégrader suite la crise sanitaire liée au Coronavirus. La baisse du prix sur le marché de gros à cause de la baisse de la consommation pourrait augmenter mécaniquement la charge de soutien de 25% à plus de 84,5 €/MWh en 2021 selon une récente étude (EWI 2020), même si l’on inclut les mesures de limitation déjà prévues dans le paquet sur la protection du climat… »

Il n’y a pas qu’en France où les margoulins de l’éolien ont aussi été des profiteurs du Covid ! (cf. https://vivrelarecherche.blogspot.com/2020/04/les-enr-renouvelables-electriques-le.html)

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