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vendredi 21 janvier 2022

Taxonomie et nucléaire : on en est où ?

 Taxonomie et financement du nucléaire : le nucléaire a besoin d’argent bon marché !

Les enjeux de la taxonomie ont été un combat récurrent de l’année 2020. La Taxonomie verte est un instrument sur lequel travaille la  Commission européenne, une sorte de labellisation destinée à guider les investissements financiers vers les secteurs et les activités les plus appropriés pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, la transition vers une économie bas-carbone et un modèle de développement durable.

Cf sur ce blog https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/06/nouvelles-de-la-taxonomie-juillet-2011v2.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/10/taxonomie-les-pays-bas-poussent.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2019/09/urgence-nucleaire-et-climatique-alerte.html, https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/04/dernieres-nouvelles-de-la-taxonomie.html,

Dans une première version (premier acte délégué), votée l’année dernière et entrée en viguer en janvier 2022 , le nucléaire était tout bonnement exclu de la taxonomie, alors qu’il est la seule source délectricité pilotable abondate et décarbonée. Cette décision imposée par l’Allemagne (le Luxembourg et l’Autriche) s’est heureusement heurtée à une forte mobilisation d’Etats membres.

En effet, pour la France, et pour d’autres pays européens ( Suède, Finlande, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Hongrie,  Bulgarie, Pays-Bas, Pologne), une transition climatiquement efficace, économiquement et socialement soutenable ne peut se passer de l’énergie nucléaire ; et, comme l’utilisation de l’électricité est amenée à augmenter et à se substituer à d’autres sources, la production nucléaire d’électricité est aussi appelée à augmenter.

Que ce soit pour l’augmentation de la durée de vie des centrales existantes (considérée comme l’option la plus économique par l’AIE et l’OCDE ou pour de nouvelles centrales ( EPR, SMR, GENIV), le nucléaire a besoin de financements, et de financements bon marché. Pour l’Europe,  les centrales nucléaires existantes nécessiteront à elles seules 50 milliards € d’ici 2030 et 500 milliards d’ici 2050 pour la nouvelle génération (Thierry Breton). Par ailleurs, le coût du seul financement pour un projet comme Hinkley Point (EPR) représente les deux tiers du coût total du projet…Pour un ordre de grandeur, diminuez de 7 à 4% les taux d’intérêts, et le coût du projet  est divisé par deux

 Non seulement les Etats, mais aussi les syndicats ont fait entendre leurs voix. Ainsi les quatre fédérations syndicales représentatives des salariés du secteur français de l’énergie (CFE-CGC, CGT, FO, CFDT) ont mené une action au niveau national ( lettre au Président de la République) mais aussi au niveau européen : première lettre à la Commission du 28 janvier 2021(Lettre des syndicats du secteur européen de l’énergie, 12 syndicats de 6 pays européens) , deuxième lettre du 23 juillet 2021 (Lettre de suivi des syndicats du secteur européen de l’énergie, 18 syndicats de 10 pays européens) pour défendre l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie.

https://vivrelarecherche.blogspot.com/2021/08/nouvelle-initiative-de-syndicats.html,

 https://twitter.com/EricSartori3/status/1420122844516823040

L’évolution en cours : de l’exclusion à une inclusion bancale

La Commission européenne a transmis en toute fin d'année 2021 un projet d'acte délégué complémentaire sur l’intégration du nucléaire et du gaz dans la taxonomie européenne. Cet acte complète le premier acte délégué, entré en vigueur en janvier 2022, et qui excluait le nucléaire.

Ce projet d’acte délégué (59 pages denses et touffues déposées le 31 décembre, quelques heures avant minuit ) doit être discuté par la plate forme des Experts et les représentants des Etats qui ont jusqu’au 21 janvier (initialement le 123 !!!) pour examiner le projet et proposer leur contribution.

Ensuite le projet sera considéré comme définitif et examiné par le Conseil et le Parlement européen durant une période de 4 à 6 mois.  A ce stade, la seule possibilité sera l’adoption ou le rejet, à la majorité simple pour le Parlement, à la majorité qualifiée pour le Conseil (20 Etats membres représentant 65% de la population. Selon la Commission, il n’y aura pas d’autres  consultations : « une analyse d’impact et une consultation publique ne sont pas nécessaires, car les activités couvertes par le plan  d’action pour le développement ont déjà fait l’objet d’une évaluation et d’une consultation détaillées »

Ce sera donc à prendre ou à laisser

La réaction officielle française a plutôt été à l’autocongratulation (« L’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte, un victoire diplomatique pour la France »

https://www.ladiplomatie.fr/2022/01/04/linclusion-nucleaire-taxonomie-victoire-diplomatique-france/)

Mais les opposants au nucléaire se sont aussi réjouis :

« Taxonomie : une déconvenue pour la France, un recul pour l’environnement » selon Greenpeace

https://www.greenpeace.fr/espace-presse/taxonomie-une-deconvenue-pour-la-france-un-recul-pour-lenvironnement/

En réalité, il s’agit d’un compromis très politique et très peu scientifique : l’Allemagne a négocié dans la taxonomie le gaz (443 gCO2e/kWh) contre le nucléaire (6g CO2e/kWh).

Restons sur le nucléaire : Des avancées réelles

A) les points positifs

On ne peut que se réjouir de la reconnaissance du rôle du nucléaire pour atténuer le changement climatique et de son inclusion dans la taxonomie européenne, à la fois à travers divers type de réacteurs existants, troisième génération (EPR et EPR2), les futurs de quatrième génération et les SMR. Les points suivants apparaissent particulièrement significatifs

1) La Commission reconnait que l’énergie nucléaire peut apporter une contribution substantielle à la lutte contre le dérèglement climatique, et respecte le critère DNSH (Do not significatly harm) en ne provoquant pas de dommages significatifs aux objectifs environnementaux de la Taxonomie, pourvu que certains critères techniques ( TSC technical Screening criteria ) soient respectés;

2) Elément également très important :  l’enfouissement géologique profond, considéré comme très problématique lors de la préparation du premier acte délégué, est maintenant reconnu comme une solution sûre et praticable pour isoler définitivement les déchets radioactifs à longue vie de la biosphère :  « l’enfouissement géologique profond  représente , dans l’état actuel des connaissances, la solution de pointe largement acceptée par la communauté d’experts du monde entier comme l’option la plus sûre, la plus durable et techniquement disponible pour ’isoler les déchets fortement radioactifs de la biosphère sur le très long temps nécessaire »

3) Des technologies existantes appropriées  permettent de  prévenir les impacts environnementaux négatifs potentiels du nucléaire ou d’en mitiger les conséquences. La conformité aux stipulations du traité Euratom permet avec une confiance suffisante d’assurer que les éventuels impacts sur les humains et  l’environnement  restent en dessous du seuil de dommages significatifs. Donc, la Commission reconnait que le fameux critère DNSH est respecté.

4) La production d’électricité nucléaire génère des émissions de gaz à effet de serre proches de zéro et fournit une énergie de base pilotable qui facilite le déploiement des énergies renouvelables intermittentes et n’handicape pas leur développement ; que les preuves de sa contribution substantielle potentielle aux objectifs climatiques sont  convaincantes et variées. (clear and extensive). La Commission reconnait l’intérêt de l’énergie nucléaire  « pour produire de l’électricité et/ou de la chaleur industrielle, y compris à des fins de chauffage urbain ou pour des procédés industriels tels que la production d’hydrogène ».

Selon l’article 10(2)  du règlement EU 2020/852, le nucléaire  contribue substantiellement aux objectifs  climatiques et  soutient la transition vers une économie neutre pour le climat, avec une voie permettant de limiter l’augmentation de la température à 1,5 ° C au-dessus des niveaux préindustriel »

Et c’est là que commencent les problèmes sérieux car cette référence à l’article 10(2) laisse à penser que la Commission considère le nucléaire comme une « énergie de transition » sans que ce soit clairement explicité ; mais aussi comme une énergie durable, bien que non renouvelable.

B) des points de vigilance sérieux et inquiétants

1) L’acte délégué entretient une fâcheuse ambiguïté sur le classement de l’énergie nucléaire ; si elle n’est pas expressément qualifiée d’énergie de transition, elle est pourtant rattachée au paragraphe 10.2, qui définit les énergies de transition, et nombre des problèmes subséquents viennent de cette qualification.

 Le nucléaire doit être considérée comme durable et non comme une simple énergie de transition (jusqu'à quand ?, transition vers quelle autre énergie de base pilotable ?) Avec le développement de la génération IV, qui permet la fermeture du cycle du combustible, il pourrait  même être considéréecomme une énergie renouvelable…

2) L'existence de clauses de caducité : ainsi la prolongation des réacteurs doit être décidée avant 2040 et la construction de nouveaux réacteurs avant 2045 pour être cohérent avec la taxonomie.

Ces clauses semblent difficilement compatibles avec les horizons d'investissement pour les nouveaux projets nucléaires, en particulier pour la génération 4 (surgénérateurs). A terme, elles semblent même conduire à des absurdités : sur la période 2040-2045, un nouveau réacteur nucléaire serait éligible à la taxonomie, mais pas les investissements nécessaires à son exploitation comme un réacteur existant. Elles n'ont aucune justification.

3) La Commission semble exiger un droit de regard sur les critères de sélection technique, ce qui ne relève pas de sa compétence et doit rester strictement du ressort des autorités nationales de sûreté nucléaire. Nous pouvons voir à quels problèmes cela conduit lorsque la Commission impose comme critère l'utilisation de l'ATF (Accident Tolerant Fuel) qu'elle prétend être disponible alors qu'il n'existe aucune norme, aucune décision des Autorités de sûreté à ce sujet, aucun retour d’expérience, simplement la communication promotionnelle d’un  fabricant. De plus, il semble que l'ATF soit un combustible développé pour accroître la sécurité et le fonctionnement des réacteurs nucléaires anciens, et non une exigence de sécurité dans les réacteurs modernes. En tout état de cause, il appartient aux Autorités de sûreté de se positionner ;

Si cette exigence d’utilisation d’un combustible encore inexistant et dont le développement se situe à l’échelle de la dizaine d’année voire plus était maintenue, elle bloquerait le financement de tout projet nucléaire durant la période correspondante…

Au-delà le statut d’énergie de transition suppose des réexamens scientifiques et techniques tous les trois ans et un rapport détaillé tous les 5 ans. La Commission prendrait ainsi la main  sur les programmes nucléaires nationaux, avec tous les risques de blocages bureaucratiques ou politiques que cela entraine, et entrainerait  un climat de justification permanent difficilement compatible avec un développement industriel ;

4) L'échéance de 2050 pour construire un dépôt en couche géologique profonde est très problématique pour certains pays européens. Pour des pays comme la Pologne qui n'ont pas d'énergie nucléaire actuellement et qui décideraient de construire des centrales nucléaires, cela n'a tout simplement aucun sens. Il y a là au surplus un risque politique d’éclatement du front nucléaire entre les pays qui pourraient satisfaire à ce critère (France, Finlande, Suède) et les autres ;

5) Les investissements de pays de l'UE dans des projets nucléaires en dehors de l'UE doivent également être considérés comme conformes à la taxonomie, ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est injustement handicaper le développement à l’international de nos industries nucléaires, c’est priver les pays qui le désirent d’une source d’électricité indispensable au combat contre le dérèglement climatique, sauf à les jeter dans les bras de concurrents étrangers aux très larges ambitions géopolitiques (Chine, Russie, USA) ;

6) Le cycle du combustible nucléaire devrait être inclus en tant qu'activité habilitante. De même, la production de chaleur et d'hydrogène à partir des centrales nucléaires existantes et des technologies avancées doivent être clairement couvertes par la taxonomie ;

7) L’obligation pour  les investisseurs de déclarer de manière distincte leurs investissements  nucléaires n’est pas conforme au principe de neutralité technologique- seul le nucléaire y est soumis. Cette exigence de divulgation présente un caractère discriminatoire et stigmatisant anti- nucléaire, qui est décidément la marque de cette Commission ou du poids de certains Etats dans son action.

Au-delà de son rôle dans l’orientation des investissements dans le secteur énergétique, la taxonomie  portera effet sur  l’éligibilité aux fonds européens, les conditions des aides d’Etat, les « green bonds », les plans de relance, les écolabels…

Il va donc falloir être vigilant



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