Sur l’augmentation du plafond de l’ARENH et l’avis négatif du Conseil
Supérieur de l’Electricité (CSE) :
« Le fait que le CSE s'oppose à une décision du
gouvernement est absolument exceptionnel. Mais personnellement, j'irais encore
plus loin : au-delà de ce relèvement du plafond pour 2022, je considère que ce
dispositif de vente par EDF d'une partie de sa production à prix bradés
constitue, à l'origine, une fausse bonne idée pour accroître la concurrence et
faire baisser les prix pour les consommateurs. En quelques mots, on parle là de
l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), qui est
l'obligation faite à l'opérateur historique de vendre à « prix coûtant » 100
milliards de kWh d'énergie nucléaire à ses concurrents chaque année, soit
autant que ces derniers n'auront pas à acheter sur le marché dérégulé de
l'électricité... »
« Aujourd'hui, on s'aperçoit que la plupart des
nouveaux acteurs n'ont pas investi dans des actifs de production, ou n'ont pas
lié de contrats avec des producteurs d'électricité, contrairement à ce qui leur
était demandé. On se retrouve donc avec une multitude de simples fournisseurs,
qui achètent et revendent. Si l'ARENH n'existait pas, ils seraient donc
totalement soumis aux lois du marché, dont les cours fluctuent énormément. Mais
grâce à l'électricité nucléaire qui leur est cédée chaque année, ils ont pu
s'engager vis-à-vis de leurs clients sur des contrats à prix fixes, dans
beaucoup de cas sur trois ans ou plus. Ce sont donc des traders.
Avec l’explosion soudaine du prix de l’électricité,
forcément, ils se trouvent en difficulté. Quelques-uns ont fait faillite, et
tous ou presque ont demandé un appui aux pouvoirs publics. Lesquels sont donc
intervenus en imposant à EDF de leur fournir non pas 100, mais 120 milliards de
kWh cette année, à un tarif toujours inférieur à celui du prix de revient du
nucléaire. Mais alors qu’EDF avait déjà vendu l’ensemble de sa production pour
2022 à la fin de l’année dernière, l’entreprise devra racheter sur les marchés
la quantité qu’elle cédera à prix coûtant à ses concurrents, au moment même où
les cous explosent. Cela va forcément lui coûter très cher ; le groupe
considère que la charge financière pèsera pour plusieurs milliards d’euros sur
l’année en cours… Engie, Total, Eni et Iberdrola…récupèrent à prix bradés une
partie de l’électricité nucléaire d’EDF, sans aucune contrepartie. »
Des solutions possibles : contrats de long terme ou investissements
des clients dans la production nucléaire
« Dès 2008, j’ai été nommé conseiller spécial du
commissaire européen à l’énergie et de la commissaire à la concurrence,
laquelle m’a demandé de jouer le rôle de médiateur… afin de finaliser un
contrat de long terme négocié entre EDF et ses grands clients industriels.
Après de longues discussions entre le service de la concurrence, EDF et
l’association des grands clients électro-intensifs, nous avons obtenu un accord
pour un contrat de vingt ans de la part de Bruxelles. C’était une première.
Baptisé Exeltium, ce contrat est toujours en vigueur aujourd’hui, et permet
d’offrir une visibilité de participer à stabiliser les prix. Pour moi, c’est
dans ce genre de dispositif que se trouve la solution. Et je souhaite même
aller plus loin : je considère qu’il faudrait mettre en place une forme de
contrat à long terme entre EDF et ses concurrents, les fournisseurs
alternatifs, au même titre qu’avec les électro-intensifs. »
« Une autre possibilité, serait que les opérateurs
les plus importants et qui disposent de moyens de production, comme Total ou
Engie, puissent coinvestir dans des projets de réacteurs nucléaires en France.
Engie possède déjà des actifs nucléaires en Belgique, et Total en a les moyens.
C’est donc une possibilité, à condition que des contrats encadrent cela en
bonne et due forme. »
Crise de l’électricité et envol des coûts : constats et solutions
« Il faut comprendre qu’on utilise les moyens de production
dans l’ordre de préséance économique. Par conséquent, le prix relevé par les bourses
d’électricité fonctionne sur le principe de la vente au prix marginal,
c’est-à-dire correspondant à la dernière unité appelée pour satisfaire la
demande dans chaque Etat membre. Il s’agit dans de nombreux pays des centrales
à énergie fossile très sensibles à l’évolution des prix des hydrocarbures,
notamment en ce moment, puisque celui du consommateur, même en France en
période de pointe, alors que le gaz représente une part minime de notre mix
électrique… C’est ce
phénomène qui a poussé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire à fustiger le
« marché européen de l’électricité » et affirmer que ce système
ne permet pas de refléter le coût du mix national de chaque pays » … Mais
c’est plus compliqué que cela : les
échanges entre pays sont en fait freinés techniquement par des capacités
limitées d’interconnexion électrique entre les réseaux. Il y a donc forcément
un impact fort du mix national sur le prix de l’électricité dans chaque pays,
en dépit des échanges entre Etats. »
«Concrètement, pour faire baisser les prix, il faut
accroître les capacités de production pilotables du système électrique français.
Autrement dit, il est nécessaire de disposer de moyens de puissance garantie,
obtenue par des systèmes de production capables d’assurer un suivi de charge.
En France, nous avons de la chance : c’est une source d’énergie décarbonée qui
joue ce rôle le nucléaire…70% de la consommation d’électricité »
« L’éolien ou le solaire ne peuvent pas jouer ce
rôle, et ce, pour une raison simple : même si leur production se développe,
elles restent des énergies intermittentes non pilotables. Par ailleurs, elles
ne peuvent pas apporter l’inertie électromécanique que fournissent les machines
tournantes des centrales thermiques ou hydrauliques. Or, cette inertie assure
le bon fonctionnement du système électrique interconnecté »… Il s’agit d’un point clé, et pourtant, certains
écologistes ont du mal à reconnaître que, malheureusement, ces énergies ont
forcément besoin, en complément, d’autres moyens de production qui eux sont
pilotables et non intermittents. Du moins, tant que nous ne saurons pas stocker
l’électricité à grande échelle. »
Dans ses six scénarios Futurs Energétiques 2050, RTE retient trois voies sans nouveau
nucléaire, dont une 100% renouvelable (même s’il considère que ce scénario est
à la fois le plus risquée et le plus cher (NB 20 milliards par ans, à supposer
que les problèmes techniques soient résolus, ce qui n’a rien
d’évident…). « J’estime que RTE a été incité à élaborer ce scénario…
pour des raisons politiques. Car envisager
un scénario 100% ENR, n’est pas réaliste en l’état de nos connaissances. Tant
sur le plan de la faisabilité technique, comme je l’ai expliqué, que sur le
plan économique.
Dans le cas de l’éolien par exemple, il faut prendre en compte la production garantie nécessaire pour pallier l’absence de vent, y compris en mer, et un facteur de charge difficile à anticiper. C’ est pourquoi rapprocher le prix du kWh éolien avec celui du kWh nucléaire revient à tromper son monde."
Plan Macron de relance du nucléaire insuffisant : 50 EPR en 2050 !
Sur le plan d’Emmanuel Macron de relance du nucléaire (14 EPR, dont 8 en option sur le long terme et l’émergence des SMR "Je pense qu’il faut aller plus loin. Sa stratégie correspond à la trajectoire vers un mix électrique composé à 40 ou 50% de nucléaire d’ici à 2050, tout au plus. Pour moi, un objectif plus adapté serait d’arriver à trois quart de nucléaire et un quart d’énergies renouvelables, couplées à un peu de gaz si possible décarboné, comme c’est presque le cas actuellement. Ce qui reviendrait à mettre en service deux EPR par an dès 2035, soit 50 en 2050. La France a déjà lancé un programme industriel d’une telle ampleur dans le passé, le plan Messmer. Cela peut paraître colossal, mais j’assume : c’est nécessaire, et notamment si l’on veut développer l’hydrogène bas carbone, qui nécessitera énormément d’électricité pour en produire par électrolyse de l’eau.
A côté de cela, je crois beaucoup aux économies
d’énergie, à la fois grâce à l’efficacité, c’est-à-dire l’amélioration des
procédés..et à la sobriété, qui implique un changement de comportement au vu de
l’urgence climatique. Il n’ ya aucune raison de ne pas fournir d’efforts sur la
réduction de la demande si l’on investit sur le nucléaire, qui n’est pas
gratuit. Mais il ne faut pas se leurrer : contrairement à ce qu’affirment
certains écologistes, la consommation électrique va forcément augmenter pour
pallier la sortie des énergies fossiles… Nous devrons y répondre en investissant dans tous les moyens décarbonés possibles,
notamment pilotables, sans quoi le blackout nous guette… »
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