Excellente tribune de Gerard Petit dans European Scientist : Contre l’envol des factures d’électricité : « il était une fois… » un pays qui avait fait de bons choix
Extraits :
La
merveilleuse martingale de l’ARENH
« Pour mesurer à quel point
nous avons distordu notre marché intérieur de la fourniture d’électricité, pour
y faire entrer de force une fausse concurrence, il faut s’armer de courage et
consacrer un peu de son temps (sur le site de la CRE(1), ou ceux des Assemblées
Parlementaires) pour mieux approcher les arcanes du système…Dans le schéma
institué par la loi NOME, EDF ne se
trouve pas seulement face à des concurrents, dans une arène où tous joueraient
le même jeu -ce qui, en soi, pourrait s’entendre- mais elle est contrainte de
les nourrir grassement, pour qu’ils grandissent vite et puissent mordre
efficacement la main qui les sustente..
Ce dispositif dit ARENH distribue la manne en
fonction des « portefeuilles clients » des fournisseurs qui en font la demande
(80 actuellement, un chiffre à considérer en soi, car il traduit clairement un
effet d’aubaine), et parmi eux, des « majors » du secteur de l’énergie, comme
Total, ENI, Vattenfall, Iberdrola, Engie, SNCF énergie,..)
A noter qu’Exeltium, un consortium français de
consommateur « électro-intensifs » bénéficie de conditions assimilables à l’ARENH
(et qui viennent en déduction du volume d’ARENH).
Il est d’ailleurs choquant que la loi contraigne EDF
à « biberonner » le géant Total
(devenu récemment Total-Energies), pour faciliter sa pénétration du marché de
la fourniture d’électricité (via le rachat de « Direct Energie »). Cette
situation est parfaitement surréaliste, surtout lorsqu’on sait avec quelle
âpreté Total a œuvré pour que la part de la production d’EDF cédée pour l’ARENH,
passe de 100 TWh à 150 TWh , mais qui, dans sa requête contre EDF, quand il refusait d’enlever sa part
réservée d’ARENH, en pleine crise du Covid, n’a finalement pas été suivi
par le Conseil d’Etat, après avoir gagné devant la juridiction commerciale…
Cette merveilleuse martingale a fait vivre
grassement, toute une cohorte d’affairistes opportunistes, s’affichant souvent
par ailleurs, comme fournisseurs d’électricité verte (grâce au mécanisme obscur
des garanties d’origine, qui permet de s’afficher « vert », sans vrai
fondement, mais avec un surcoût pour l’utilisateur, doublement abusé donc… »
Dès 2017, une tendance haussière s’est établie sur
les marchés, due à l’ajustement des flottes pilotables et à l’augmentation
progressive du prix du gaz et de celui du carbone (les mix, hors de France,
restant encore largement fossiles). .. Pour les « alternatifs » le recours au
marché est donc devenu pénalisant, et a provoqué un repli vers l’ARENH (après
une demande nulle en 2016 !) avec demande corrélative que son volume soit accru
de 100 TWh à 150 TWh. Mais cette
disposition, pourtant votée en 2019 par les parlementaires , n’a pas été
acceptée par Bruxelles.
La
mécanique infernale des TRV modifiés, conjuguée à l’ARENH, risque de tuer
lapoule aux électrons d’or
« En 2014, le Gouvernement a décidé de changer
le mode de calcul des TRV, dans une logique dite « d’empilement des coûts »,
afin que les TRV, valeurs repères pour les « alternatifs », reflètent mieux les
conditions de leur approvisionnement (ARENH + marché), sans plus de référence
aux coûts de production d’EDF….
Le marché de l’électricité est en effet piloté par
le coût de production de la dernière centrale appelée (dans une logique de «
merit order ») pour assurer l’équilibre offre-demande sur la plaque européenne,
or c’est le plus souvent une unité « Cycle Combiné Gaz », pour laquelle (à la
différence du nucléaire) c’est le prix du combustible qui fabrique le coût du
kWh.
Quand le prix du gaz s’envole, celui de
l’électricité suit…sans corrélation avec le coût de production des centrales de
notre territoire national (nucléaire + hydraulique + EnRs), l’appui sur le gaz,
bien réel, restant cependant relatif.
Les TRV,
construits en intégrant les prix de marché, s’envolent donc, à l’unisson, provoquant la crise que
l’on connait. Au prochain ajustement, programmé le 01/02 (14) la CRE prévoyait
en effet une augmentation de l’ordre de 40% !!…à moins de 100 jours d’une
séquence électorale majeure… la situation paraît inextricable.
Pour contenir cette hausse (la limitant au final
à 4%, soit dix fois moins),le gouvernement
a fait un triple choix :
D’abord diminuer les taxes (en réduisant
l’impopulaire CSPE de 22,5€/MWh, à 0,5€/MWh..) ce qui fait baisser
mécaniquement toutes les factures, mais crée un manque à gagner pour l’Etat de
8Mds€.
Puis modifier la formule de calcul des TRV en
pondérant différemment les différents composants
Enfin, pour secourir spécifiquement les «
alternatifs », très exposés aux prix de marché (pour les raisons dites supra),
il a été décidé d’augmenter le volume de l’ARENH qui passerait de 100 TWh à 120
TWh (cet accroissement étant un peu mieux rémunéré (de 42€/MWh à 46,2€/MWh)).
Pour EDF, c’est une charge supplémentaire qu’elle
estime à 8Mds€, en partie parce que ces 20 TWh supplémentaires, elle devra se
les procurer sur les marchés qui flambent, car ils étaient déjà « placés » dans
des contrats conclus avant la crise. Mais hors cette difficulté conjoncturelle
(qui affectera certainement plusieurs exercices), EDF se voit désormais
contrainte de céder, à vil prix, plus d’un tiers de sa production nucléaire à
ses concurrents pour que ceux-ci puissent survivre…au moins jusqu’à 2025,
l’horizon fixé par la loi.
Cette dernière décision est lourde de conséquences
pour EDF, alors que le besoin d’investir pour l’entretien de son parc nucléaire
(un outil plus essentiel que jamais au système), est patent, sans parler du
financement de l’achèvement des EPR de Flamanville et de Hinkley Point et de
celui des nouveaux projets « envisagés » par le Gouvernement, en France, mais
aussi à l’étranger.
Les syndicats, unanimes, soutenus par leur
Direction, ont battu le pavé pour dénoncer la mauvaise part faite à EDF, et le
cours de Bourse a « dévissé » de 20%.
Le risque
de tuer la poule aux électrons d’or est bien réel, malgré les dénégations
gouvernementales (Barbara Pompili) et de la CRE (Jean François Carenco), qui
parlent seulement de manque à gagner pour EDF…
Des
gouvernements hémiplégiques
« Le Gouvernement a une lecture hémiplégique de la
situation, car enfin, la cause de tous ces dysfonctionnements aux conséquences
très dommageables, est bien le maintien de cette concurrence artificielle, une
fiction énergétique qui a abusé bien des consommateurs et enrichi des
affairistes opportunistes.
Sans la création d’un terrain de jeu pour ces «
alternatifs » (l’ARENH) et la fabrication d’un bouclier tarifaire à leur
avantage (car faisant fuir des clients d’EDF pouvant toujours trouver moins
cher que les TRV), la situation actuelle ne présenterait aucun des traits aigus
actuels et surtout, EDF, le socle de notre système, ne serait pas durablement
affaibli, cette vulnérabilité offrant de nouvelles armes à ses détracteurs
historiques.
Si on avait laissé EDF jouer de ses atouts
hydro-nucléaires, c’est-à-dire laissé l’entreprise fixer librement ses tarifs
sur le marché européen (suffisamment vaste et peuplé de poids lourds, sans
risque donc qu’elle n’apparaisse en position dominante), il est clair que la
France ne connaîtrait pas cette crise qui, compte tenu des attendus développés
dans cet article, devrait durer, comme donc les pseudo-palliatifs qui grèvent
EDF. »
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