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mercredi 2 juillet 2014

La Révolution génétique et la France


Un nouveau code génétique

Une avancée importante, en tous cas un véritable tour de force en biologie synthétique vient d’être réalisé au Scripps Institute (cf La Recherche juillet-Août 14). L’ADN, code génétique universelle fonctionne avec quatre lettres, quatre bases organiques dont la succession code toutes les protéines des organismes vivants. Eh bien, les chercheurs du Scripps (Floyd Romesberg) ont ajouté à cet alphabet deux bases synthétiques, qu’on ne trouve pas dans la nature, et les ont incorporées dans des séquences ADN de plasmides de la bactérie préférée des généticiens, Eschericia Coli. Pour faire bonne mesure, il leur a fallu aussi intégrer dans la bactérie un gène d’algue codant une protéine transmetteur permettant aux deux nouvelles bases de traverser sa paroi. Une fois cela réalisé (15 ans de recherche environ, tout de même), les bactéries répliquent l’ADN modifiè et ses nouvelles bases. C’est la démonstration de la possibilité, de faire produire par les bactéries à terme, non seulement des protéines existantes, mais des protéines complètements nouvelles, avec pourquoi pas, des acides aminés non naturels.

Il y a encore loin de ce premier pas au but affiché, mais la révolution génétique, grâce à la création de nouveaux outils de génétique moléculaire, progresse à pas de géants. Deux sociétés se sont fait récemment remarquer, toutes deux fondées par des scientifiques français. L’un des problèmes principaux des manipulations génétiques, et surtout des thérapies géniques est que l’on sait assez facilement insérer un gêne modifié dans les cellules, mais que l’on ne savait pas jusqu’à présent le faire de manière sélective, ce qui avait malheureusement pour effet fréquent de perturber de manière anarchique les cellules cibles, voire de les rendre cancéreuses ou de les tuer. Ce fut l’une des causes principales des échecs des premières thérapies géniques. Or, c’est ce problème, entre autres, que permet de résoudre les technologies développées par ces deux sociétés.

CRISPR therapeutics

La plus récente de ces deux sociétés est CRISPR therapeutics, fondée par Emmanuelle Charpentier. C’est l’aboutissement de vingt-sept ans de recherche fondamentale sur les mécanismes de virulence et de défense des bactéries. Les CRISPR (courtes séquences palindromiques répétées) associés à des enzymes nucléases Cas (capables de couper l’ADN) ont été découvertes chez les bactéries où elles servent à centraliser les infections virales en intégrant une partie du génome viral, puis l’utilisant pour générer des fragments complémentaires de l’ARN viral couplés à une nucléase cas qui dégrade le génome viral. Le couplage  CRIS cas9 avec des ARN guide permet de cibler des sites d’insertion d’ADN précis et cette stratégie a été validée par la démonstration qu’il est possible d’inactiver in vivo chez le singe des gênes d’intérêt thérapeutique. Ces développements doivent beaucoup à la scientifique française Emmanuelle Charpentier… mais qui n’exerce plus en France- elle est actuellement professeur à l’Université de médecine de Hanovre.

Cellectis

L’autre société,  française celle-là- active dans le domaine de l ’ingénierie génétique est Cellectis. Cellectis a été créée en 1999 par des chercheurs de l’Institut Pasteur (notamment André Choulika). Cellectis a acquis une expérience unique en matière de design, de production et d’utilisation des méganucléases. Ces enzymes, dont plusieurs centaines existent dans les bactéries, les levures, les algues  coupent l’ADN de manière très ciblée grâce à des sites de reconnaissances de longue taille (12à 40 bases) d’ADN. Ces sites peuvent être modifiés pour couper une séquence d’ADN bien particulière et Cellectis a développé toute une famille d’outils génétiques TALEN™ particulièrement efficaces. Un premier succès significatif a été enregistré avec la production de méganucléases capables de cliver le gène humain XPC dont la mutation est en cause dans le Xeroderma pigmentosum, une maladie monogénique grave prédisposant aux cancers cutanés et aux brûlures dès lors que la peau est exposée aux rayons UV. Cellectis a signé des accords avec Servier et, cette année surtout avec Pfizer (Pfizer prend 10 % du capital de Cellectis pour former une « alliance stratégique mondiale ». Le but est de développer des thérapies originales du cancer en rendant les cellules cancéreuses sensibles au systyème immunitaire. Pour cela, Cellectis a développé des outils appelés CAR (récepteurs antigéniques chimériques), qui sont des molécules artificielles qui, lorsqu'elles sont présentes à la surface des cellules immunitaires effectrices, permettent à ces dernières de reconnaître une protéine déterminée (antigène) et de déclencher l'élimination des cellules qui portent cet antigène sur leur surface (cellules cibles). Il devient alors possible de modifier des cellules du système immunitaire (généralement des lymphocytes T) de façon à ce qu'elles expriment un CAR capable de reconnaître des protéines présentes à la surface des cellules cancéreuses.

Deux remarques : en 1970, le Prix Nobel et généticien Jacques Monod affirmait : « Non seulement, la génétique moléculaire moderne ne nous propose aucun moyen d’agir sur le patrimoine héréditaire, pour l’enrichir de traits nouveaux, mais elle révèle la vanité d’un tel espoir, l’échelle microscopique du génome interdit à pour l’instant et sans doute à jamais de telles manipulations ». Prédiction aventurée : nous entrons aujourd’hui clairement dans l’ére industrielle de la transformation génétique de l’homme. Pour le meilleur évidemment- et la sagesse humaine évitera le pire

Grâce à la recherche française, la France est présente dans ce domaine ; mais on ne peut que rêver à ce que serait le développement de sociétés comme Cellectis ou CRISPR therapeutics si elles étaient issues de labos américains. Il serait temps que le Ministère du Redressement Productif s’intéresse davantage aux industries d’avenir qu’à celles du passé, et daigne s’intéresser à la thérapeutique, à la biologie et au pharmaceutique au moins autant qu’à l’énergie et aux transports chers aux Ingénieurs des Mines – peut-être suffirait-il d’introduire ces matières dans leur cursus ?
 

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