Un nouveau code
génétique
Une
avancée importante, en tous cas un véritable tour de force en biologie synthétique
vient d’être réalisé au Scripps Institute (cf La Recherche juillet-Août 14). L’ADN,
code génétique universelle fonctionne avec quatre lettres, quatre bases
organiques dont la succession code toutes les protéines des organismes vivants.
Eh bien, les chercheurs du Scripps (Floyd Romesberg) ont ajouté à cet alphabet
deux bases synthétiques, qu’on ne trouve pas dans la nature, et les ont
incorporées dans des séquences ADN de plasmides de la bactérie préférée des
généticiens, Eschericia Coli. Pour
faire bonne mesure, il leur a fallu aussi intégrer dans la bactérie un gène d’algue
codant une protéine transmetteur permettant aux deux nouvelles bases de
traverser sa paroi. Une fois cela réalisé (15 ans de recherche environ, tout de
même), les bactéries répliquent l’ADN modifiè et ses nouvelles bases. C’est la
démonstration de la possibilité, de faire produire par les bactéries à terme, non
seulement des protéines existantes, mais des protéines complètements nouvelles,
avec pourquoi pas, des acides aminés non naturels.
Il
y a encore loin de ce premier pas au but affiché, mais la révolution génétique,
grâce à la création de nouveaux outils de génétique moléculaire, progresse à
pas de géants. Deux sociétés se sont fait récemment remarquer, toutes deux
fondées par des scientifiques français. L’un des problèmes principaux des
manipulations génétiques, et surtout des thérapies géniques est que l’on sait assez
facilement insérer un gêne modifié dans les cellules, mais que l’on ne savait
pas jusqu’à présent le faire de manière sélective, ce qui avait malheureusement
pour effet fréquent de perturber de manière anarchique les cellules cibles,
voire de les rendre cancéreuses ou de les tuer. Ce fut l’une des causes
principales des échecs des premières thérapies géniques. Or, c’est ce problème,
entre autres, que permet de résoudre les technologies développées par ces deux
sociétés.
CRISPR
therapeutics
La
plus récente de ces deux sociétés est CRISPR therapeutics, fondée par Emmanuelle
Charpentier. C’est l’aboutissement de vingt-sept ans de recherche fondamentale
sur les mécanismes de virulence et de défense des bactéries. Les CRISPR
(courtes séquences palindromiques répétées) associés à des enzymes nucléases Cas (capables de couper l’ADN) ont été
découvertes chez les bactéries où elles servent à centraliser les infections
virales en intégrant une partie du génome viral, puis l’utilisant pour générer
des fragments complémentaires de l’ARN viral couplés à une nucléase cas qui dégrade le génome viral. Le couplage
CRIS cas9 avec des ARN guide permet de cibler
des sites d’insertion d’ADN précis et cette stratégie a été validée par la
démonstration qu’il est possible d’inactiver in vivo chez le singe des gênes d’intérêt
thérapeutique. Ces développements doivent beaucoup à la scientifique française
Emmanuelle Charpentier… mais qui n’exerce plus en France- elle est actuellement
professeur à l’Université de médecine de Hanovre.
Cellectis
L’autre
société, française celle-là- active dans
le domaine de l ’ingénierie génétique est Cellectis. Cellectis a été créée en
1999 par des chercheurs de l’Institut Pasteur (notamment André Choulika).
Cellectis a acquis une expérience unique en matière de design, de production et
d’utilisation des méganucléases. Ces enzymes, dont plusieurs centaines existent
dans les bactéries, les levures, les algues coupent l’ADN de manière très ciblée grâce à des
sites de reconnaissances de longue taille (12à 40 bases) d’ADN. Ces sites
peuvent être modifiés pour couper une séquence d’ADN bien particulière et
Cellectis a développé toute une famille d’outils génétiques TALEN™
particulièrement efficaces. Un premier succès significatif a été enregistré
avec la production de méganucléases capables de cliver le gène humain XPC dont
la mutation est en cause dans le Xeroderma pigmentosum, une maladie monogénique
grave prédisposant aux cancers cutanés et aux brûlures dès lors que la peau est
exposée aux rayons UV. Cellectis a signé des accords avec Servier et, cette année
surtout avec Pfizer (Pfizer prend 10 % du capital de Cellectis pour former une « alliance stratégique mondiale ».
Le but est de développer des thérapies originales du cancer en rendant les
cellules cancéreuses sensibles au systyème immunitaire. Pour cela, Cellectis a
développé des outils appelés CAR (récepteurs antigéniques chimériques), qui sont
des molécules artificielles qui, lorsqu'elles sont présentes à la surface des
cellules immunitaires effectrices, permettent à ces dernières de reconnaître
une protéine déterminée (antigène) et de déclencher l'élimination des cellules
qui portent cet antigène sur leur surface (cellules cibles). Il devient alors
possible de modifier des cellules du système immunitaire (généralement des
lymphocytes T) de façon à ce qu'elles expriment un CAR capable de reconnaître
des protéines présentes à la surface des cellules cancéreuses.
Deux remarques : en
1970, le Prix Nobel et généticien Jacques Monod affirmait : « Non
seulement, la génétique moléculaire moderne ne nous propose aucun moyen d’agir
sur le patrimoine héréditaire, pour l’enrichir de traits nouveaux, mais elle révèle
la vanité d’un tel espoir, l’échelle microscopique du génome interdit à pour l’instant
et sans doute à jamais de telles manipulations ». Prédiction aventurée :
nous entrons aujourd’hui clairement dans l’ére industrielle de la transformation
génétique de l’homme. Pour le meilleur évidemment- et la sagesse humaine
évitera le pire
Grâce à la recherche
française, la France est présente dans ce domaine ; mais on ne peut que
rêver à ce que serait le développement de sociétés comme Cellectis ou CRISPR
therapeutics si elles étaient issues de labos américains. Il serait temps que
le Ministère du Redressement Productif s’intéresse davantage aux industries d’avenir
qu’à celles du passé, et daigne s’intéresser à la thérapeutique, à la biologie
et au pharmaceutique au moins autant qu’à l’énergie et aux transports chers aux
Ingénieurs des Mines – peut-être suffirait-il d’introduire ces matières dans
leur cursus ?
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