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vendredi 18 juillet 2014

Human Brain, tempête sous un crâne


Big science ne signifie pas automatiquement bons projets

Début 213, l’Union Européenne a annoncé le lancement du Human Brain Project, un projet sur dix ans, de 21.2 milliards d’euros impliquant 120 laboratoires européens. Le but est de parvenir à modéliser le fonctionnement d’un cerveau entier de souris en 2020 (71 millions de neurones), et un cerveau humain (86 milliards) en 2024, en prenant en compte toutes les échelles de fonctionnement, du gêne à la cognition.

L’argument de départ était médical : disposer d’un modèle de cerveau permettant de faire des expériences virtuelles, manipuler à loisir certains paramètres pour observer les réactions, notamment l’apparition de maladies mentales, dont on espère ensuite mieux comprendre les causes et pouvoir en proposer de nombreux traitements. Le coordinateur principal du projet Henry Markram, de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, affirme « que c’est parce qu’on ne comprend pas le fonctionnement du cerveau qu’il faut le modéliser ». Il espère élaborer des neurones virtuels (« des puces neuromorphiques ») qui reproduiraient les règles de fonctionnement des neurones réels, par exemple, le fait qu’un gêne donné est exprimé dans une conditions particulières, qu’un type de neurones n’est activable que dans certaines conditions etc.

La Commission Européenne voulait son grand projet scientifique à l’américaine, pourquoi pas ? Seulement, Caramba, c’est encore raté ! (tiens au fait, que devient de programme Iter sur la fusion nucléaire, lui aussi géré par l’Union ?) Dans une pétition, plus de deux cent soixante scientifiques ( et parmi eux,nombre de leaders reconnus des neurosciences en Allemagne, en Suisse, au Royaume Uni, en France) alertent la Commission Européenne sur un risque d’échec majeur, qui représenterait un gaspillage énorme au vu des sommes en jeu.

Deux reproches principaux  me semblent émerger. L’un est que l’approche du bas vers le haut, du neurone vers les fonctions mentales a été exclusivement privilégiée ; ainsi, des domaines tels que la psychologie et plus généralement les neurosciences cognitive telles qu’étudiées par les équipes de Stanislas Dehaene, (Collège de France, CEA, Inserm) ont été écartées alors qu’elles étaient présentes dans le projet initial – en gros, la démarche consiste à partir des processus mentaux et à utiliser les techniques les plus avancées d’imagerie pour les comprendre – on peut ainsi mettre en évidence des circuits neuronaux, chez l’homme et certains animaux, codant la notion de nombre. Par ailleurs, il existe un doute sérieux sur la possibilité même d’expliquer utilement le fonctionnement du cerveau par une démarche aussi réductionniste que celle privilégiée par Human Brain. Enfin, il existe aussi un petit mais fondamental problème épistémologique souligné par exemple par Yves Frégnac (CNRS) : si le modèle devient aussi complexe que la réalité, il ne nous apprend plus rien. Le Prix Nobel Torsten Wiesel, spécialiste de la neurologie de la vision, et membre du Comité consultatif externe de Human Brain a   sans doute vendu la mèche : dès le début, Human Brain a été bien davantage conçu comme un programme d’intelligence artificielle que comme un programme de biologie et de médecine !

Il y a peu de doute que Human Brain nous apprendra à concevoir des robots aux capacités inouïes, mais beaucoup sur ce qu’il apportera en biologie et en médecine. Dans ces conditions, il y a un peu tromperie sur la marchandise !

Alzheimer : une certaine indécence

Pendant que les chercheurs se déchirent autour de Human Brain, de ses programmes et de ses milliards, qu’on parle d’une ambiance délétère et paranoïaque, on apprend que la totalité des essais cliniques concernant la maladie d’Alzheimer ont échoués. Ce n’est pas faute de chercher ou de vouloir, mais les firmes pharmaceutiques se désengagent de cette aire de recherche, pourtant prometteuse en termes de profits. C’est que nous n’avons rien sur les causes réelles de la maladie, sur son déclenchement, aucune piste valable à suivre, aucun modèle animal satisfaisant, aucun gène, aucune cible thérapeutique. Même les approches que l’on pouvait penser les plus pertinentes, telles les inhibiteurs de BACE, enzyme impliqué dans la formation des plaques amyloïdes, n’ont mené à rien. Nous n’avons simplement aucune des connaissances fondamentales qui nous permettraient d’avancer !

Alors, je trouve un peu indécent ces déchirements autour de Human brain de ses milliards, et, une fois de plus, inadéquat et inacceptable le mode de fonctionnement de l’Union Européenne En bon positiviste, je me permettrais de rappeler que la science est au service de l’Humanité et non l’inverse. Nous savons bien l’importance de la recherche de la recherche fondamentale, que l’on n’invente pas la lampe à incandescence en perfectionnant la bougie, ou comme le rappelait souvent Auguste Comte, que les marins doivent leur sécurité à des spéculations mathématiques désintéressées développées il y a plusieurs millénaires. D’ accord ! Mais je sais aussi que cela marche en sens inverse, et que la thermodynamique est née du désir et du besoin de comprendre, d’améliorer et de renforcer la sécurité de la machine à vapeur.

Il est inconcevable qu’un programme comme Human Brain ait pu être lancé sans des débats transparents et publics, et non d’obscurs conciliabules en petits comités. Il est inconcevable qu’il ait pu être lancé sans que scientifiques et décideurs, une fois d’accord ou d’accord sur leurs désaccords, soient venus devant l’opinion publique en expliquer les enjeux, les méthodes, les résultats attendus.

Pouvez-vous m’expliquer en quoi Human Brain aidera à résoudre le défi que nous pose la maladie d’Alzheimer ? Sinon, Messieurs, revoyez votre copie, ou appelez votre programme Robot Brain, ce sera plus franc.
 

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